Médicaments pédiatriques : rentabilité ou sécurité ?
25 juin 2012
Recommandations de l’Académie nationale de pharmacie (séance académique thématique du 16 mai 2012)
Le problème de la prescription hors autorisation de mise sur le marché (AMM) chez l’enfant est évoqué régulièrement depuis de nombreuses années. Or la population pédiatrique européenne représente plus de 100 millions d’individus (20 % de la population totale a moins de 18 ans).
En pédiatrie, une grande partie des médicaments (de 11 % à 80 %)1 sont prescrits en dehors du cadre de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), c’est-à-dire dans une indication, une posologie, avec une forme galénique ou à un âge différent de ceux précisés dans l’AMM, en
extrapolant à partir des données disponibles chez l’adulte, et sans que des essais cliniques spécifiques chez l’enfant aient été conduits.
Or la mise en application du règlement n°1901/2006 du Parlement européen et du Conseil de l’Union Européenne2 a démarré en juillet 2007. Les termes de ce règlement étaient précis : (il a) " …pour but de faciliter le développement et l’accessibilité de médicaments à usage pédiatrique,
d’assurer que ces médicaments fassent l’objet de recherches éthiques d’une grande qualité et qu’ils soient dûment autorisés en vue d’un usage en pédiatrie, et enfin d’améliorer les informations disponibles sur l’usage de médicaments au sein des diverses populations pédiatriques. Il importe
d’atteindre ces objectifs sans soumettre la population pédiatrique à des essais cliniques inutiles et sans retarder l’autorisation de médicaments destinés à d’autres tranches d’âges de la population."
Cinq années plus tard, la réalité montre que les mesures incitatives mises en place pour rendre disponibles des médicaments pédiatriques adaptés nécessitent sans doute d’être ajustées à la réalité des pratiques et aux contraintes économiques. En particulier, le nombre de dossiers soumis selon la procédure PUMA (Paediatric Use Marketing Autorisation) concernant les substances actives qui ne sont plus sous brevet mais largement administrées chez l’adulte, est très faible comparé aux dossiers
déposés conformément à un Plan d’Investigation Pédiatrique (PIP) pour de nouveaux produits.
Le niveau important des exigences des dossiers n’est pas forcément adapté ni à la faisabilité des essais chez l’enfant, ni à la pratique quotidienne d’administration de préparations pharmaceutiques
réalisées en l’absence de spécialités disponibles. Enfin, même si la période de cinq ans semble être un délai insuffisant pour mesurer toute la portée de ce règlement, il est raisonnable d’espérer pouvoir disposer à terme d’un nombre significatif de médicaments pédiatriques dont l’efficacité et
la sécurité pourront être démontrées, avec des formulations adaptées aux différentes tranches d’âges en pédiatrie et permettant de limiter l’utilisation des médicaments « hors AMM ».
L’Académie nationale de Pharmacie, au vu de ce premier constat, recommande de :
1. Assouplir et accélérer l’usage du règlement européen pour aider à l’enregistrement d’un plus grand nombre de médicaments et/ou favoriser les extensions d’indications en pédiatrie.
2. Revoir au niveau européen (CMPH de l’EMA) les exigences minimales permettant d’améliorer l’information (Résumé des caractéristiques des produits) des spécialités actuellement utilisées hors cadre légal chez l’enfant.
3. Encourager les efforts de mise au point de formes galéniques adaptées ou de conditionnement nouveau en acceptant systématiquement d’attribuer une ASMR et/ou un SMR supérieure, plus un prix en adéquation avec l’amélioration développée.
4. Développer les tests de palatabilité pour une meilleure évaluation de l’acceptabilité des formes pédiatriques.
5. Soutenir le développement de monographies pédiatriques dans le cadre d’un formulaire européen, en lien avec les besoins prioritaires identifiés et la pratique des différents états membres afin de mettre à disposition des patients des préparations de qualité de niveau comparable à celle des spécialités.
6. Reconnaître et de développer les moyens légaux existants permettant un usage sécurisé des médicaments en-dehors du cadre strict de l’AMM : ATU (autorisations temporaires d’utilisation), RTU (recommandations temporaires d’utilisation), en utilisant les recommandations des autorités et des sociétés savantes…
7. Mettre en application dans les établissements de soins un système d’information et d’éducation sur le bon usage, une traçabilité des prescriptions ainsi qu’une validation pharmaceutique afin d’améliorer la sécurité sanitaire des produits de santé
En conclusion, il est nécessaire de rappeler que l’utilisation en pédiatrie d’un médicament insuffisamment étudié :
n’est pas éthique,
peut exposer à un risque potentiel d’inefficacité ou de toxicité et d’erreur
d’administration,
De plus, il n’est pas non plus éthique d’empêcher l’accès des enfants à toutes innovations thérapeutiques et de ne pas favoriser la mise sur le marché de dosages et de formes pharmaceutiques adaptées à l’utilisation en pédiatrie.
En raison de la particularité de la population pédiatrique, la vigilance vis-à-vis de la sécurité et de la qualité du médicament pédiatrique doit être renforcée. Les autorités de santé y sont très sensibles lors de l’évaluation mais la mise en application de cette disposition ne doit pas se faire au détriment de l’innovation galénique et du développement de formes pédiatriques.
La sécurité des excipients doit faire l’objet de travaux de recherches publiés dans des articles scientifiques faisant office de référence pour les autorités de santé. Les nouveaux-nés et les nourrissons sont particulièrement concernés par cet aspect, d’autant plus que les formes qui leurs sont administrées sont souvent liquides et nécessitent la mise en oeuvre d’excipients dont la sécurité peut être mise en cause.
Le développement des médicaments pédiatriques nécessite une connaissance approfondie de la physiologie en fonction des tranches d’âges en lien avec la biodisponibilité et à terme l’efficacité des produits. Les attributs critiques de formulation pourront ainsi être mieux définis et partagés, certaines études cliniques allégées voire supprimées.
Les formes orales solides posent le problème de l’acceptabilité et de l’évaluation de la palatabilité. Les firmes pharmaceutiques doivent collaborer avec des laboratoires d’analyse sensorielle pour que les études de palatabilité effectuées scientifiquement selon les règles éthiques apportent les informations nécessaires. L’impact positif de la directive pédiatrique est sur cet aspect mesurable en 2012. De nouveaux dispositifs tels des micropompes, des formulations utilisant des excipients réellement inertes pour l’enfant, de nouvelles méthodologies évitant de cumuler les essais chez l’enfant et permettant, par exemple, l’évaluation du goût virtuellement avec des langues électroniques. Il apparaît finalement que les nombreuses contraintes imposées au développement pédiatrique sont de forts stimulants à l’innovation.