L’hôpital public en cours d’asphyxie ?
17 novembre 2008
Lettre ouverte des présidents de Comités Consultatifs Médicaux des hôpitaux de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (novembre 2008).
Madame la Ministre,
La politique déployée sur nos hôpitaux depuis plusieurs mois ressemble de plus à en plus à un étranglement financier pur et simple. Des restrictions budgétaires sans objectifs médicaux ni de santé publique clairement identifiés font courir des risques graves au système de santé que nous servons.
A l’heure où les parlementaires français réfléchissent à l’avenir du système de santé en France à l’occasion des discussions sur la loi « portant réforme de l’hôpital et des dispositions relatives aux patients, à la santé et aux territoires », il ne faudrait pas que toute tentative de changement, portée par une volonté justifiée d’améliorer l’organisation du système de santé, n’aboutisse à une paupérisation progressive de nos hôpitaux et à un découragement de l’ensemble des personnels qui y travaillent.
Déjà deux réformes majeures ont eu lieu :
Les présidents des Comités Consultatifs Médicaux (CCM) des hôpitaux de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris se sont engagés ces dernières années avec volonté dans la réorganisation de l’hôpital en mettant en place les pôles d’activité médicale.
Nous avons du convaincre ceux de nos collègues inquiets des changements importants que cela annonçait dans l’organisation quotidienne du travail. Nous avons réfléchi sur le terrain aux risques de perte d’identité de petites équipes performantes pouvant être « noyées dans de grands pôles ». Une modernisation de l’hôpital nous semblait indispensable et nous avons plaidé que cela passait par de nouveaux schémas, plus solidaires et plus responsables vis-à-vis de l’utilisation rationnelle des moyens dédiés par la communauté au système de santé. Nous avons dans le même temps accompagné la vague de la « tarification à l’activité », nouveau mode de financement des hôpitaux où les moyens alloués sont directement liés à l’activité, et les bouleversements qu’elle a induit.
La aussi nous avons plaidé l’aspect fortement incitateur de cette réforme en terme de réorganisation et d’optimisation des moyens utilisés. Nous avons examiné les risques que pourraient engendrer une volonté de développer prioritairement une activité financièrement « rentable », aux dépens de la qualité et des missions de service public. Dans cet esprit, nous avons approuvé les mécanismes compensateurs de soutien aux activités de recours de l’hôpital public, aux missions d’intérêt général, à l’accueil des urgences et des personnes âgées et aux missions de recherche. La recherche a en effet pris place désormais au coeur de nos métiers à l’hôpital public et à l’AP-HP, car c’est en innovant et en évaluant aujourd’hui nos pratiques que nous offrons de meilleurs soins dès demain.
La situation s’aggrave
Depuis quelques mois, le ton a malheureusement changé. La place n’est plus aux réorganisations et regroupements médicalement utiles et intelligents, aux investissements sur des projets prometteurs, la place est aux économies à très court terme et à tout prix. Les investissements non engagés sont arrêtés.
On nous demande désormais de recruter nos jeunes collaborateurs sur la base d’une masse salariale constante qui conduit inéluctablement à une réduction d’emplois et compromet l’avenir. Les crédits d’emplois non utilisés temporairement « disparaissent ». Les crédits dits « fléchés », c’est-à-dire devant servir à un besoin de santé publique spécifiquement identifié, sont gelés dès qu’il ne sont pas immédiatement engagés. Les dépenses de personnel supplémentaires (remplacement, intérim), si importantes dans les périodes de surchauffe, sont bloquées. Les heures supplémentaires pour les personnels, les plages « additionnelles » (équivalent pour les médecins), tout cela est soumis à la moulinette financière la plus drastique qui soit.
La direction générale de l’AP-HP ne fait, semble-t-il, que répercuter une politique qu’elle doit subir.
Un risque majeur
Nous, présidents de CCM de l’AP-HP, médecins de terrain, suivant au plus près les répercussions des réformes et des contraintes budgétaires sur le quotidien de l’hôpital sommes inquiets. Les deux réformes précédentes majeures (« pôles et nouvelle gouvernance » et « tarification à l’activité ») ont eu des effets stimulants pour mettre en place un meilleur fonctionnement. Ces réformes sont à peine mises en place et l’émoi qu’elles ont entraîné est loin d’être retombé.
Aujourd’hui cependant, l’impression est qu’elles risquent de ne servir qu’à un étranglement progressif de l’hôpital public par, entre autres, une mécanique inquiétante de baisse annuelle des tarifs de remboursement de l’activité. Ni la tarification à l’activité ni la nouvelle gouvernance ne sont intrinsèquement en cause car ce ne sont que des outils de gestion et d’organisation. La vraie question est de savoir quelle santé nous voulons.
La santé est un investissement pour le pays. L’utiliser pour un objectif à court terme de réduction pure et simple des dépenses est dangereux. La qualité va en pâtir sans aucun doute, de même que l’accès aux soins pour tous, si efficace aujourd’hui en France. Le découragement des acteurs qui font l’hôpital public va s’en suivre. Il y a danger.
Les médecins impliqués dans l’organisation hospitalière à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris vous le disent solennellement.
Présidents de CCM de l’ Assistance Publique - Hôpitaux de Paris :
Pr Laurent Brochard, Président du CCM du Groupe hospitalier Albert Chenevier - Henri Mondor
Pr Denis Devictor, Président du CCM de l’hôpital de Kremlin-Bicêtre
Président de la collégiale des présidents de CCM de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris
Dr Marie-France Maugourd, Président du CCM de l’hôpital Georges Clemenceau ,
Pr Dominique Musset, Président du CCM de l’hôpital Antoine Béclère ,
Pr Philippe Grenier, Président du CCM du Groupe hospitalier Pitié - Salpêtrière
Pr Thierry Chinet, Président du CCM de l’hôpital Ambroise Paré
Pr Béatrice Crickx , Présidente du CCM de l’hôpital Bichat - Claude Bernard
Dr Nathalie Charasz , Président du CCM Groupe hospitalier Broca - La Collégiale - La Rochefoucauld
Pr Eric Rondeau, Président du CCM de l’hôpital Tenon
Pr René Adam, Président du CCM de l’hôpital Paul Brousse
Dr Nicole Okra, Présidente du CCM de l’hôpital Vaugirard,
Pr Jean-Louis Pourriat, Président du CCM de l’Hôtel-Dieu,
Dr Jean-Pierre Vincent, Président du CCM de l’hôpital Emile Roux ,
Pr Philippe Ruszniewski, Président du CCM de l’hôpital Beaujon
Dr Marie-Christine Mouren, Président du CCM de l’hôpital Robert Debré
Dr Véronique Simha, Présidente du CCM de l’hôpital San Salvadour
Dr Jean-Guy Périlliat, Président du CCM de l’hôpital Joffre Dupuytren
Dr Jean-Laurent Le Quintrec, Président du CCM de l’hôpital Sainte Perrine
Dr Olivier Drunat, Président du CCM de l’hôpital Bretonneau
Pr Yves Cohen, Président du CCM de l’hôpital Avicenne
Dr François Guyon, Président du CCM de l’AGEPS
Dr Patrick Bocquet, Président du CCM de Corentin Celton
Pr Noël Garabédian, Président du CCM de l’hôpital Armand Trousseau
Pr Christian Péronne, Président du CCM de l’hôpital Raymond Poincaré
Pr Stanislas Chaussade, Président du CCM de l’hôpital Cochin
Pr Jean-Noël Fabiani, Président du CCM de l’hôpital HEGP
Dr. Georges SEBBANE, Président du CCM de l’hôpital René Muret - Bigottini
Pr. Maurice MIMOUN, Président du CCM de l’hôpital Rothschild
Pr. Jean-Claude PETIT , Président du CCM de l’hôpital Saint-Antoine
Dr. Marie-France O’MAOLAIN, Présidente du CCM de l’hôpital Villemin - Paul Doumer
Dr. Jon Andoni URTIZBEREA, Président du CCM de l’hôpital Hendaye
Dr. Yves FLAMANT, Président du CCM de l’hôpital Louis Mourier
Pr. Daniel SERENI, Président du CCM de l’hôpital Saint Louis
Dr. Claude SEBBAN, Président du CCM de l’hôpital C Foix-J Rostand
Dr. Jean-Guy PERILLAT, Président du CCM de l’hôpital Joffre-Dupuytren
Dr. Claudine Gard, Président du CCM de l’hôpital Charles Richet
Pr. Nicolas SELLIER, Président du CCM de l’hôpital Jean Verdier
Pr. Roland RYMER, Président du CCM de l’hôpital Lariboisière - F. Widal
Pr. Pierre CARLI, Président du CCM de l’hôpital Necker - Enfants Malades