Série noire chez les infirmières : le point de rupture est atteint

5 janvier 2009

En 2009, notre pro­fes­sion a fait la une de l’actua­lité, avec la mort d’un enfant de trois ans la nuit de Noël 2008 (erreur de pro­duit) et celle d’un bébé de six mois lors du Jour de l’An 2009 (erreur de débit). De nou­veau au mois d’août 2009 les médias trai­tent des affai­res de Mérignac (erreur de patient) et du Havre (mort de pré­ma­tu­rés). Cruelle façon pour le public de réa­li­ser le très haut niveau de res­pon­sa­bi­li­tés qu’ont chaque jour les 500.000 infir­miè­res qui exer­cent en France. Il convient de com­pren­dre les rai­sons pro­fon­des du malaise.

Comment de telles erreurs peu­vent elles arri­ver ?

Chaque jour, à chaque geste, chaque infir­mière vit avec cette épée de Damoclès au dessus de la tête. Nous sommes des êtres humains, et l’erreur est humaine. Nous exer­çons une pro­fes­sion à haut risque, et nous por­tons la plus grande res­pon­sa­bi­lité qui soit : celle de la vie d’autrui.

Or, le manque de per­son­nel, de moyens, de repos et d’un cadre de tra­vail cor­rect peut deve­nir source d’erreur de la part de n’importe quel soi­gnant. L’infir­mière est sans cesse sur le qui-vive, parce qu’à coté des soins à faire, il faut répon­dre au télé­phone, aux patients, aux famil­les, pren­dre des rendez-vous, cher­cher les résul­tats d’exa­mens, bran­car­der, com­man­der du maté­riel, aller cher­cher des médi­ca­ments à la phar­ma­cie, deman­der au ser­vice tech­ni­que de faire une inter­ven­tion, envoyer du maté­riel en main­te­nance ou répa­ra­tion, etc.

Les condi­tions de tra­vail à l’hôpi­tal se sont consi­dé­ra­ble­ment dégra­dées car les hôpi­taux doi­vent faire des économies, alors on rogne sur tout, et de nom­breux postes sont sup­pri­més, les pre­miè­res années chez les admi­nis­tra­tifs et les tech­ni­ques, main­te­nant chez les soi­gnants.

"Avec la tari­fi­ca­tion à l’acti­vité, il faut faire du chif­fre, il faut enchai­ner les soins. Le métier a tou­jours été très dur, phy­si­que­ment, psy­cho­lo­gi­que­ment. Aujourd’hui, la logi­que du ren­de­ment prime sur l’aspect humain. Mais on ne peut pas tout quan­ti­fier, la durée de la toi­lette, le temps tech­ni­que d’une injec­tion, ça ne se passe pas comme ça. On frappe à la porte, on dit bon­jour, on parle avec le patient, on l’écoute, on l’accom­pa­gne, on répond à ses ques­tions, ses inquié­tu­des, etc."

"Un des pro­blè­mes de la pro­fes­sion infir­mière, c’est la dis­tance entre ce que nous sommes, et ce que l’on nous demande de faire au quo­ti­dien. Il faut cesser de nous deman­der d’enchaî­ner les actes de soins, au profit du sens qui motive ces soins : l’infir­mière a besoin de penser son action, et non d’être une simple exé­cu­tante d’actes tech­ni­ques. Une infir­mière hos­pi­ta­lière n’est pas une tech­ni­cienne spé­cia­li­sée dans une usine à soins !" pré­cise Thierry Amouroux, le Secrétaire Général du SNPI.

La charge de tra­vail en milieu hos­pi­ta­lier a beau­coup aug­menté ces der­niè­res années. Paradoxalement, cela est lié à une avan­cée. Avec le déve­lop­pe­ment des soins à domi­cile, des hôpi­taux de jour, les patients qui sont hos­pi­ta­li­sés le sont pour des rai­sons plus graves, donc ils néces­si­tent davan­tage d’atten­tion. Et la durée moyenne de séjour a dimi­nuée, ce qui concen­tre d’autant les soins à réa­li­ser. Mais il y a de moins en moins de per­son­nels infir­miers au lit des patients, donc les infir­miè­res tra­vaillent tou­jours plus, dans de moins bonnes condi­tions.

Le poids des heures sup­plé­men­tai­res et des repos non récu­pé­rés

Sur une année, on estime à 14 jours le temps d’heures sup­plé­men­tai­res non-payées mais reconnues, c’est-à-dire effec­tuées à la demande de l’admi­nis­tra­tion. Demande que les infir­miè­res ne peu­vent pas refu­ser, puisqu’il faut bien qu’il y ait quelqu’un pour s’occu­per des patients.

Ce à quoi il faut ajou­ter les heures sup­plé­men­tai­res non-reconnues, au moins une demi-heure en plus par jour. Sur le papier, les infir­miè­res sont aux 35 heures. Mais comme elles tra­vaillent en flux tendu et en sous-effec­tif, elles sont obli­gées de rester un peu plus à la fin de leur ser­vice pour ne pas alour­dir encore la charge de l’équipe qui prend le relais.

Les infir­miè­res sont épuisées, on leur demande de venir tra­vailler sur leurs repos pour rem­pla­cer des col­lè­gues en arrêt mala­die, de modi­fier régu­liè­re­ment leur plan­ning, etc. Le risque d’erreur est d’autant majoré.

Le manque de reconnais­sance

L’absence de reconnais­sance sociale : l’infir­mière est sou­vent vue comme une exé­cu­tante, alors qu’elle est au coeur du sys­tème. C’est la seule pro­fes­sion­nelle pré­sente au lit du patient 24h sur 24, 7 jour sur 7, mais à l’hôpi­tal, elle est rare­ment consul­tée. Et dans la société civile, les infir­miè­res sont exas­pé­rées d’être les éternelles oubliées : lors d’un débat sur la santé, les médias font inter­ve­nir un méde­cin, un direc­teur d’hôpi­tal, un économiste, un socio­lo­gue, un poli­ti­que, etc., rare­ment une infir­mière ! En tant que pro­fes­sion­nel­les, les infir­miè­res doi­vent pou­voir expri­mer leur vision de la poli­ti­que de santé, et pren­dre posi­tion sur les ques­tions rela­ti­ves aux soins, et à la pro­mo­tion de la santé.

La faible reconnais­sance sala­riale : il y a une évidente inco­hé­rence entre la res­pon­sa­bi­lité du soi­gnant, son niveau de com­pé­tence, et son salaire. L’évolution sala­riale entre la débu­tante et l’IDE en fin de car­rière est de seu­le­ment 800 euros !

Le manque de reconnais­sance des contrain­tes : les infir­miè­res tra­vaillent un week-end sur deux, mais la prime est de 45 euros seu­le­ment, alors que dans de nom­breux métiers, le salaire du diman­che est doublé. De même pour le tra­vail de nuit : la prime est d’un euro en plus de l’heure, c’est déri­soire. On ne demande pas l’aumône, mais la reconnais­sance des condi­tions de tra­vail du per­son­nel infir­mier.

Il faut savoir que l’espé­rance de vie d’une infir­mière qui a fait toute sa car­rière en milieu hos­pi­ta­lier est infé­rieure de sept ans à la moyenne des autres femmes. La péni­bi­lité du tra­vail n’est pas assez prise en compte : acci­dents du tra­vail, stress, épuisement pro­fes­sion­nel, mise en inva­li­dité pour lom­bal­gies (efforts de sou­lè­ve­ment et de « manu­ten­tion » de mala­des impo­tents ou alités)

Beaucoup d’infir­miers chan­gent de métier par manque de reconnais­sance

Face à cela, de plus en plus de jeunes diplô­més chan­gent rapi­de­ment de métier : c’est-à-dire, que pen­dant trois ans, on forme des gens qui ne vont tra­vailler que quel­ques années. C’est com­plè­te­ment contre-pro­duc­tif. Et c’est pour cela qu’il est urgent d’agir, pour res­tau­rer l’image que les jeunes ont de la pro­fes­sion.

D’autant que nous allons être très rapi­de­ment confron­tés à un pro­blème d’effec­tifs et de trans­mis­sion des savoirs. 55% des infir­miers en milieu hos­pi­ta­lier vont partir à la retraite d’ici 2020, et les 45% res­tant sont pour la plu­part de jeunes diplô­més. Traditionnellement, les anciens épaulent les nou­veaux, il y a une trans­mis­sion des acquis de l’expé­rience, mais la relève n’est plus assu­rée. "Les nou­vel­les diplô­mées res­tent quel­ques années à l’hôpi­tal puis se reconver­tis­sent ailleurs pour avoir de meilleu­res condi­tions de tra­vail, géné­ra­le­ment dans l’ensei­gne­ment, le social ou dans les métiers liées à la petite enfance. C’est un vrai gâchis humain. " pour Thierry Amouroux.

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