80 ans de Sécurité sociale : il est temps d’un Plan Marschall pour la santé, financé par la taxe Zucman

5 octobre 2025

Combien de temps encore la Sécurité sociale pourra-t-elle compenser les fractures du système de santé ? Quatre-vingts ans après l’ordonnance fondatrice du 4 octobre 1945, l’institution la plus aimée des Français tient encore la digue. Mais la vague monte. Hôpitaux déficitaires et saturés, soignants à bout, désertification médicale, lits fermés, files d’attente, mortalité infantile en hausse. Face à des besoins de santé massifs, nous n’avons plus le temps des demi-mesures. Il faut un Plan Marschall pour la santé et les hôpitaux — massif, pluriannuel, lisible — et un financement à la hauteur : la taxe Zucman, impôt plancher de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros.

80 ans après, la promesse vacille

La Sécurité sociale devait garantir à chacun la protection contre la maladie, la vieillesse, les accidents de la vie. Elle est devenue un pare-feu permanent contre les défaillances du système.

Les hôpitaux publics, censés en être le cœur battant, s’enfoncent dans le rouge : plus de 2,8 milliards d’euros de déficit en 2024, après déjà 2,4 milliards en 2023. Les CHU, pourtant locomotives, affichent des pertes record. Les fermetures de lits se succèdent, faute de soignants broyés par le système, pas faute de besoins. En dix ans, 43 500 lits d’hospitalisation complète ont disparu.

"Chaque jour, des patients attendent sur des brancards, faute de place. Des urgences ferment la nuit, faute d’infirmiers (60.000 postes infirmiers vacants, avec 180.000 infirmiers de moins de 62 ans qui ont cessé d’exercer). Et la mortalité infantile, indicateur le plus sensible de la santé d’un pays, remonte à 4,1 pour mille (un décès sur 250 naissances). Ce n’est pas un simple artefact statistique ; c’est un indicateur / synthèse de la désorganisation périnatale et des inégalités sociales de santé. Alors que la mortalité infantile (décès avant un an) a chuté dans la plupart des pays depuis vingt ans, elle remonte chez nous. La France se classe désormais 23e sur 27 pays de l’Union européenne, derrière la Pologne, la République tchèque ou encore la Slovénie. Des centaines de vies perdues, silencieusement." alerte Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers SNPI.

Le vieillissement, les maladies chroniques et les inégalités territoriales achèvent de tendre le système. Dans les territoires ruraux, certains patients renoncent à se soigner. En ville, d’autres s’entassent dans des services saturés. Partout, la solidarité s’effrite.

Les milliards existent, mais pas où on les cherche

Le discours dominant évoque toujours le « coût » de la santé. Rarement ses recettes. Pourtant, l’argent existe, concentré au sommet.

Les travaux de Gabriel Zucman et d’une coalition d’économistes internationaux ont mis en lumière une anomalie : les milliardaires paient proportionnellement deux fois moins d’impôts que les classes moyennes. Le mécanisme est connu. Les plus fortunés dirigent leurs revenus vers des holdings ou des sociétés patrimoniales, qui échappent à l’impôt sur le revenu. Le résultat : un taux effectif d’imposition d’environ 27 %, contre près de 50 % pour les salariés et les cadres supérieurs.

La taxe Zucman veut corriger cette distorsion. Son principe : instaurer un impôt plancher de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, afin que chacun contribue au moins à cette hauteur, tous prélèvements confondus. Un « bouclier anti-exil » prévoit par ailleurs que les contribuables concernés restent imposables pendant cinq ans après un départ fiscal. Le 20 février 2025, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi. Le Sénat l’a rejetée, mais le débat public s’est installé.

L’objectif n’est pas symbolique. Il est budgétaire : 20 à 25 milliards d’euros par an pourraient être dégagés. Sept prix Nobel d’économie ont signé un plaidoyer commun : « La France peut montrer la voie au reste du monde. »

Un Plan Marschall pour reconstruire la santé

Ces recettes ne doivent pas se dissoudre dans le budget général, mais être fléchées vers la refondation du système de santé. L’histoire offre un précédent : après la guerre, le Plan Marschall avait permis de reconstruire l’Europe sur des bases solides. La santé publique d’aujourd’hui a besoin du même sursaut, autour de plusieurs axes :

1. Reconstituer les capacités hospitalières
Remettre à niveau les services sinistrés, rouvrir les lits fermés faute de soignants épuisés par des conditions de travail indignes, moderniser les plateaux techniques, investir dans la psychiatrie et la gériatrie. Un hôpital ne peut fonctionner durablement avec des effectifs en sous-nombre et des intérimaires épuisés.

2. Sauver la périnatalité
Le retour de la mortalité infantile est un signal d’alarme. Il faut renforcer le maillage périnatal, redonner des moyens aux sages-femmes et aux services de néonatologie, et recréer un maillage de suivi postnatal. Renforcer les effectifs dans les services de PMI. Elargir le champ d’intervention des puéricultrices pour leur permettre un suivi autonome des nourrissons. Systématiser les visites à domicile après la naissance, particulièrement pour les familles précaires ou isolées en créant des unités mobiles de suivi périnatal avec des infirmières et des puéricultrices pour aller au contact des familles qui ne se déplacent pas en centre de santé, en particulier pour le dépistage des infections, de la jaunisse et des troubles alimentaires. Chaque naissance doit être accompagnée avec sécurité, pas au prix du hasard géographique.

3. Répondre à l’épidémie silencieuse des maladies chroniques.
Nous devons faire un virage populationnel dans le suivi des maladies chroniques. Diabète, insuffisance cardiaque, cancers stabilisés : des millions de patients nécessitent un suivi régulier. La consultation infirmière, récemment reconnue par la loi infirmière, doit devenir un pilier du suivi de proximité, en lien avec les médecins traitants. Déployer l’éducation thérapeutique, la prévention secondaire à domicile et en soins primaires. Moins d’hospitalisations évitables, plus d’autonomie pour les patients.

4. Fidéliser les soignants
La pénurie infirmière est le nœud du problème. Former davantage ne suffira pas si les conditions d’exercice restent intenables. Les ratios de patients par soignants décidés par la loi de janvier 2025 doivent être appliqués (en France, une infirmière à deux fois plus de patients que les normes internationales), les carrières rendues attractives, et l’administratif hospitalier allégée pour redonner du temps de soin. Un paquet « RH santé » s’alignant sur les recommandations OMS/UE : parcours de carrière, tutorat, encadrement intermédiaire, temps de formation garanti, allègement des tâches non cliniques. Le tout évalué sur la sécurité des soins et la fidélisation des soignants.

5. Investir dans la prévention et la santé environnementale
Les maladies chroniques, les pollutions, les effets climatiques sur la santé imposent une stratégie intégrée. Un budget dédié, au moins 5 % des dépenses de santé à l’horizon 2030, doit financer le dépistage, la vaccination, la santé santé au travail et à l’école, la transition écologique des établissements (eau-énergie-déchets), avec le rôle pivot des éco infirmiers.

Un financement traçable, une gouvernance partagée

Pour garantir la confiance, un Fonds Sécu-80 pourrait être créé, alimenté par la taxe Zucman. Ce fonds, distinct de l’ONDAM, assurerait la transparence de chaque euro investi.

Sa gouvernance devrait associer l’État, les régions, les représentants des patients et des soignants (hospitaliers et URPS) . Une évaluation annuelle publique mesurerait les résultats : nombre de lits ouverts, temps d’attente aux urgences, couverture territoriale, évolution des indicateurs de santé.

Cette méthode romprait avec la logique d’austérité budgétaire. Elle donnerait un cadre pluriannuel aux investissements, permettant aux hôpitaux et aux équipes de planifier, d’innover, de respirer.

Ce Plan Marschall est un choix de société. Il s’appuie sur un principe simple : aligner l’effort fiscal des ultra-riches sur celui du reste de la population, aujourd’hui inférieur en proportion quand on intègre tous les prélèvements. Il répond, en retour, à un impératif républicain : garantir l’accès effectif aux soins pour tous, dans des délais raisonnables, avec des équipes stables et formées. La Sécurité sociale a été pensée en 1945 comme une assurance de dignité. Nous devons lui redonner des marges et une perspective.

La santé comme bien commun

Ce Plan Marschall ne serait pas une dépense. Ce serait une reconstruction. Un projet à la fois social, économique et moral. La santé est la première richesse d’un pays : sans elle, aucun système ne tient.

Les économistes rappellent qu’un État qui laisse se dégrader son système de santé perd bien plus : productivité, cohésion sociale, confiance collective. Chaque euro investi dans la prévention, dans les soins primaires, dans l’hôpital, est un euro économisé demain sur les arrêts, les handicaps, les dépenses évitables.

La Sécurité sociale a sauvé des vies, réduit les inégalités, construit un modèle admiré. Mais elle ne peut pas indéfiniment réparer seule les dégâts d’une politique budgétaire à courte vue. Les moyens existent, les besoins sont là, la légitimité est totale.

À 80 ans, la Sécu n’attend pas des promesses. Elle attend des actes, avec des objectifs mesurables : lits disponibles, ratios infirmiers, délais d’accès, baisse de la mortalité évitable, montée en puissance de la prévention. Reste à franchir le pas.

Alors, une question demeure : faut-il laisser les hôpitaux mourir à petit feu, ou demander enfin aux ultra-riches de sauver ce qu’il reste du pacte républicain ?

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