Diagnostic et prescription : l’autonomie infirmière sous surveillance

20 avril 2025
Poser un diagnostic, c’est penser.
Prescrire un traitement, c’est décider.
Deux actes réservés, dans l’imaginaire collectif, au médecin. Pourtant, la réglementation française dit autre chose.
Depuis 1993, les infirmiers sont autorisés à poser un diagnostic infirmier. Le décret du 15 mars 1993 précise noir sur blanc que l’infirmier « identifie les besoins du patient, pose un diagnostic infirmier, formule des objectifs de soins, met en œuvre les actions appropriées et les évalue. Il peut élaborer des protocoles de soins infirmiers relevant de son initiative. » Ce n’est pas une nuance : c’est une responsabilité propre, une autonomie dans le raisonnement clinique. Mais dans la pratique, cette compétence est souvent ignorée, minimisée ou confondue avec un simple recueil de données.
Le diagnostic infirmier n’a rien d’une imitation du diagnostic médical. Il ne cherche pas une pathologie, mais une réponse humaine à une situation de santé. Douleur, détresse, risque de chute, trouble du sommeil, anxiété : ce sont ces éléments que l’infirmier identifie, nomme, évalue. Le langage professionnel existe et il est international. La NANDA (North American Nursing Diagnosis Association) a été fondée en 1982. Cette organisation a été créée pour établir une classification normalisée des diagnostics infirmiers, afin de décrire les problèmes de santé des patients de manière cohérente et efficace. Il permet une prise en charge ciblée, traçable, partageable. Mais il reste absent de la majorité des logiciels, des outils institutionnels, et même des formations continues.
Pourquoi ? Peut-être parce qu’admettre la légitimité du diagnostic infirmier, c’est reconnaître une autre grille de lecture de la santé, qui échappe au modèle médical. Une lecture fondée sur l’observation, l’écoute, le vécu du patient. Et ce regard-là, bien qu’indispensable à l’efficacité des soins, dérange encore.
Même résistance du côté de la prescription infirmière. Elle existe, elle aussi, depuis plus de dix ans. Avec l’arrêté du 20 mars 2012, les infirmiers peuvent prescrire certains dispositifs médicaux : pansements, matériel pour perfusion, prévention des escarres, sonde naso-gastrique, produits d’incontinence ou des accessoires pour lecteur de glycémie. À cela s’ajoute la possibilité de renouveler certains contraceptifs oraux, et depuis 2016 de prescrire directement des substituts nicotiniques.
Voir https://www.syndicat-infirmier.com/Que-peut-prescrire-un-infirmier-en-2025.html
Et pourtant, les réticences persistent. Des médecins questionnent la légitimité de la démarche. Dans les établissements de santé, des logiciels médicaux n’intègrent toujours pas les ordonnances infirmières.
L’extension récente des droits de prescription en matière vaccinale illustre cette méfiance structurelle : autorisation à prescrire, oui, mais conditionnée à une formation spécifique, restreinte à certaines tranches d’âge, excluant les patients fragiles. Après la vaccination antigrippale, le décret du 26 mars 2021 a bien ouvert l’accès à la prescription infirmière du vaccin Covid. Celui d’août 2023 élargit encore le champ à tous les vaccins du calendrier vaccinal, mais à condition que l’infirmier soit "formé".
Comme si les connaissances acquises dans les trois années d’études initiales ne suffisaient pas à justifier la compétence. Dans la plupart des pays du monde, les infirmières sont en première ligne pour la vaccination des populations.
Thierry Amouroux, le porte parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI) dénonce régulièrement cette logique restrictive : "Chaque avancée dans l’autonomie des infirmiers est immédiatement suivie d’un frein administratif ou réglementaire. On concède un droit, mais on veille à en limiter la portée. Les infirmières sont prises en étau entre le corporatisme médical et les administrations centrales. Elles sont lentes à adapter leurs politiques et leurs pratiques aux évolutions des rôles et des responsabilités des infirmiers, même lorsque la recherche et les données probantes montrent que les infirmiers doivent jouer un rôle élargi dans les soins, pour répondre aux besoins de santé de la population."
Le SNPI alerte également sur la sous-utilisation de l’expertise des compétences infirmières dans un contexte de pénurie médicale. Donner aux infirmiers les moyens d’agir pleinement permettrait de soulager les urgences, d’améliorer l’accès aux soins, d’optimiser les parcours de santé.
Car il ne s’agit pas de faire à la place du médecin. Il s’agit de faire ce que l’expertise de la profession permet déjà. Et que l’organisation actuelle empêche ou invisibilise.
Ce paradoxe est d’autant plus frappant que dans d’autres pays (Canada, Suisse, Pays-Bas,...) les diagnostics infirmiers structurent les plans de soins et les prescriptions sont bien plus étendues. Non pas par militantisme, mais par nécessité et par reconnaissance de l’expertise infirmière comme levier d’efficience et de qualité.
En France, la loi donne des droits. Mais le système les étouffe dans les faits.
Les diagnostics infirmiers sont tus. Le concept de "prescription infirmière" est contesté. Entre reconnaissance théorique et application réelle, l’infirmier reste en porte-à-faux. Et si ce n’était pas un manque de compétence, mais un excès de corporatisme et de contrôle ?
Combien de temps faudra-t-il pour que les mentalités rattrapent enfin le droit ?
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