Le cadmium s’accumule dans nos corps, l’inaction dans nos institutions

8 juin 2025

Pain, céréa­les, pommes de terre, pâtes… Les ali­ments les plus ordi­nai­res cachent un poison que nous avons cessé de voir ! Depuis plu­sieurs années, les don­nées scien­ti­fi­ques s’accu­mu­lent, les signaux sani­tai­res se mul­ti­plient, mais les poli­ti­ques publi­ques res­tent silen­cieu­ses. Le cad­mium, métal lourd classé can­cé­ro­gène cer­tain pour l’homme par le Centre inter­na­tio­nal de recher­che sur le cancer (CIRC), conta­mine aujourd’hui mas­si­ve­ment l’ali­men­ta­tion des Français. Et per­sonne ne semble s’en émouvoir.

Plus dis­cret que le plomb ou le mer­cure, le cad­mium n’en est pas moins redou­ta­ble. Issu des engrais phos­pha­tés mas­si­ve­ment uti­li­sés en agri­culture, il s’infil­tre dans les sols, puis dans les cultu­res, et s’invite dans nos assiet­tes. Santé publi­que France alerte depuis 2021 sur son rôle pro­ba­ble dans la hausse « extrê­me­ment préoc­cu­pante » des can­cers du pan­créas en France, dont l’inci­dence a plus que qua­dru­plé en trente ans. Ce cancer, qui pré­sente l’un des pires pro­nos­tics, devien­dra la deuxième cause de mor­ta­lité par cancer dans notre pays à l’hori­zon 2030-2040.

Le Syndicat natio­nal des pro­fes­sion­nels infir­miers (SNPI) se joint aujourd’hui à l’alerte lancée par plu­sieurs orga­ni­sa­tions médi­ca­les. Car les soi­gnants de ter­rain, ceux qui côtoient chaque jour les patients atteints de mala­dies chro­ni­ques, de trou­bles rénaux, de can­cers fou­droyants, ne peu­vent plus faire sem­blant d’igno­rer ce que la recher­che révèle depuis des années : plus de 16 000 études scien­ti­fi­ques docu­men­tent les effets délé­tè­res du cad­mium sur la santé humaine. Il s’accu­mule dans les reins, les os, le foie. Il favo­rise les mala­dies osseu­ses (ostéo­po­rose, frac­tu­res), les néphro­pa­thies, les trou­bles de la fer­ti­lité, et plu­sieurs types de cancer (poumon, pros­tate, sein…).

Un danger invi­si­ble, une expo­si­tion mas­sive, un silence cou­pa­ble

Ce qui rend le cad­mium si dan­ge­reux, c’est sa bana­lité. Il n’est ni inter­dit, ni régle­menté de manière stricte. Il est par­tout. Il affecte tous les Français, dès l’enfance, sans bruit ni odeur.

L’étude ESTEBAN menée par Santé publi­que France l’a confirmé : une part signi­fi­ca­tive de la popu­la­tion, notam­ment des enfants, dépasse les seuils sani­tai­res d’expo­si­tion. Et contrai­re­ment à d’autres toxi­ques envi­ron­ne­men­taux, l’expo­si­tion au cad­mium ne résulte pas d’un choix indi­vi­duel, mais d’une pol­lu­tion struc­tu­relle de l’agri­culture et de la chaîne ali­men­taire.

À l’heure où les poli­ti­ques de santé publi­que mul­ti­plient les cam­pa­gnes de res­pon­sa­bi­li­sa­tion des citoyens, les soi­gnants rap­pel­lent que la pro­tec­tion de la santé passe aussi – et sur­tout – par la régu­la­tion des causes envi­ron­ne­men­ta­les de mala­dies. Il ne suffit pas de dire aux Français de mieux manger, il faut leur garan­tir une ali­men­ta­tion réel­le­ment saine.

Comme sou­vent, les iné­ga­li­tés socia­les de santé s’aggra­vent. Les popu­la­tions les plus modes­tes sont les pre­miè­res expo­sées : elles consom­ment davan­tage d’ali­ments bon marché, sou­vent issus de cultu­res inten­si­ves où les engrais phos­pha­tés sont les plus uti­li­sés. Une fois de plus, la mal­bouffe n’est pas un choix mais une consé­quence. Et le prix se paie en santé.

"Les infir­miè­res, par leur rôle de proxi­mité et de confiance, sont aux pre­miè­res loges pour enten­dre les angois­ses, cons­ta­ter les effets sur les corps, et rap­pe­ler que la santé n’est pas seu­le­ment l’absence de mala­die, mais un état global de bien-être, tel que défini par l’OMS. Or, com­ment se dire « en bonne santé » quand on absorbe chaque jour, à son insu, une dose de poison ?" s’indi­gne Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

Cette alerte s’ins­crit plei­ne­ment dans la mis­sion infir­mière. Car le rôle des infir­miers ne se limite pas aux soins tech­ni­ques : il com­prend aussi une mis­sion de pré­ven­tion, d’éducation à la santé et de plai­doyer pour les patients (advo­cacy). Informer, aler­ter, expli­quer : telles sont les armes dont nous dis­po­sons pour pro­té­ger les plus vul­né­ra­bles. L’infir­mier est un maillon de la chaîne de santé publi­que, mais aussi un acteur du chan­ge­ment social. Et il ne peut rester silen­cieux quand un fac­teur envi­ron­ne­men­tal met en danger la santé de toute une popu­la­tion.

Le SNPI demande donc des mesu­res immé­dia­tes :

 La révi­sion des seuils régle­men­tai­res d’expo­si­tion au cad­mium dans les sols et les ali­ments.

 La tra­ça­bi­lité de la conta­mi­na­tion dans les filiè­res agri­co­les et indus­triel­les.

 Une poli­ti­que agri­cole favo­ri­sant des pra­ti­ques sans engrais phos­pha­tés à forte teneur en cad­mium.

 La reconnais­sance du cad­mium comme enjeu majeur de santé publi­que, avec des cam­pa­gnes d’infor­ma­tion natio­na­les à des­ti­na­tion des pro­fes­sion­nels de santé et du grand public.

 L’inté­gra­tion de cette ques­tion dans les pro­gram­mes de for­ma­tion des soi­gnants, y com­pris des infir­miers.

Protéger la santé, c’est regar­der au-delà des symp­tô­mes

Le cad­mium est peut-être invi­si­ble, mais ses consé­quen­ces sont bien réel­les. Si la France devient l’un des pays au monde les plus tou­chés par les can­cers du pan­créas, c’est aussi parce qu’elle n’a pas su tirer les leçons des aler­tes scien­ti­fi­ques.

Prévenir, c’est anti­ci­per. Prévenir, c’est agir tant qu’il est encore temps. Prévenir, c’est aussi avoir le cou­rage de remet­tre en cause les modè­les de pro­duc­tion qui ren­dent mala­des.

Face à un risque sani­taire aussi massif que méconnu, l’inac­tion devient une com­pli­cité. Tant que l’ali­men­ta­tion res­tera un vec­teur de conta­mi­na­tion, la santé res­tera en danger. Et nous serons là pour le dire. Parce que chaque jour compte. Parce que chaque vie vaut qu’on la défende.

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