Loi infirmière : sans les décrets, l’accès aux soins reste bloqué

28 juin 2025

Loi infir­mière : merci pour la loi, mais sans les décrets, les patients atten­dront. Car une loi sans textes d’appli­ca­tion reste une pro­messe. La loi est publiée. Maintenant, elle doit vivre. Les soi­gnants sont prêts. Les patients en ont besoin. Il appar­tient désor­mais aux auto­ri­tés de tra­duire ces avan­cées dans les textes régle­men­tai­res néces­sai­res.

Le 27 juin 2025, la France a offi­ciel­le­ment reconnu, dans sa loi, ce que les soi­gnants vivent au quo­ti­dien depuis des années : le rôle cen­tral de l’infir­mière dans l’accès aux soins, l’orien­ta­tion, la coor­di­na­tion, et la pré­ven­tion. Portée par une majo­rité trans­par­ti­sane, adop­tée à l’una­ni­mité par les deux cham­bres, la loi n° 2025-801 marque une avan­cée his­to­ri­que.
https://www.legi­france.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051806032

Le texte reconnaît sur­tout le rôle propre de l’infir­mier. Il reconnait dans la loi les consul­ta­tions infir­miè­res (qui exis­tent déjà dans les établissements de santé) et le diag­nos­tic infir­mier (qui était déjà dans le décret d’exer­cice depuis 1993). La consul­ta­tion infir­mière n’a pas voca­tion à concur­ren­cer la consul­ta­tion médi­cale. Elle por­tera sur des péri­mè­tres rele­vant du rôle propre de l’infir­mier, par exem­ple le trai­te­ment des plaies sim­ples.

La pro­fes­sion se voit de même accor­der un pou­voir de pres­crip­tion auto­nome et géné­ral sur les pro­duits et exa­mens com­plé­men­tai­res néces­sai­res aux soins infir­miers. Jusqu’à pré­sent, chaque nou­veau droit de pres­crip­tion devait être ins­crit dans la loi (comme les vac­ci­na­tions, les sub­sti­tuts nico­ti­ni­ques, les pro­duits médi­caux voir https://syn­di­cat-infir­mier.com/Que-peut-pres­crire-un-infir­mier-en-2025.html ). La liste des pro­duits et exa­mens sera défi­nie par arrêté minis­té­riel.

La loi redé­fi­nit le rôle de l’infir­mière dans le Code de la santé publi­que, en consa­crant notam­ment :
 l’accès direct au rôle propre infir­mier,
 la reconnais­sance offi­cielle des mis­sions de coor­di­na­tion et d’orien­ta­tion,
 l’inté­gra­tion des infir­miers au pre­mier recours via la modi­fi­ca­tion de l’arti­cle L1411-11,
 l’élargissement de la pra­ti­que avan­cée aux spé­cia­li­tés infir­miè­res, et une appro­che popu­la­tion­nelle de la santé inté­grée aux pra­ti­ques de ter­rain.

Enfin, le texte reconnait :
 les infir­miers de l’éducation natio­nale et de l’ensei­gne­ment supé­rieur, comme "une spé­cia­lité infir­mière auto­nome pou­vant être sanc­tion­née par un diplôme de niveau 7"
 le statut d’infir­mier coor­don­na­teur en Ehpad ("un infir­mier coor­don­na­teur exer­çant en col­la­bo­ra­tion avec le méde­cin coor­don­na­teur et en lien avec l’enca­dre­ment admi­nis­tra­tif et soi­gnant de l’établissement")

Autant de mesu­res conçues pour flui­di­fier les par­cours de soins, réduire les délais d’accès, mieux accom­pa­gner les patients, et uti­li­ser les com­pé­ten­ces de chacun à bon escient. En somme, une réforme utile aux patients autant qu’aux pro­fes­sion­nels.

Mais cette vic­toire légis­la­tive n’est qu’un début. Car aujourd’hui, cette loi n’est pas appli­ca­ble.

Aucune des avan­cées por­tées par le texte ne pourra être mise en œuvre sans les indis­pen­sa­bles mesu­res régle­men­tai­res qui doi­vent suivre. Et si le décret en Conseil d’État défi­nis­sant les mis­sions, domai­nes d’acti­vi­tés et com­pé­ten­ces ne semble pas poser de dif­fi­culté majeure, les arrê­tés lis­tant les actes rele­vant du rôle propre ou des com­pé­ten­ces auto­no­mes inquiè­tent sérieu­se­ment la pro­fes­sion.

La loi est claire, ambi­tieuse, portée par la repré­sen­ta­tion natio­nale. Mais les résis­tan­ces s’annon­cent féro­ces au niveau régle­men­taire. Les vieux blo­ca­ges refont sur­face.

Ce ne serait pas la pre­mière fois que l’admi­nis­tra­tion cen­trale freine l’appli­ca­tion d’un texte voté à l’una­ni­mité. Le pré­cé­dent est récent et dou­lou­reux : la loi sur les ratios de patients par infir­mière, adop­tée fin jan­vier 2025, fait l’objet d’un blo­cage mani­feste. Malgré l’enga­ge­ment clair du légis­la­teur, le minis­tère n’a tou­jours pas, cinq mois après, adressé une simple lettre de sai­sine à la Haute Autorité de Santé, pour­tant néces­saire pour enga­ger l’élaboration des recom­man­da­tions de bonne pra­ti­que.

Résultat : aucun décret d’appli­ca­tion, aucune avan­cée concrète, et une volonté par­le­men­taire lais­sée lettre morte. L’admi­nis­tra­tion fait la sourde oreille, et les patients conti­nuent de subir les effets délé­tè­res de sous-effec­tifs chro­ni­ques.

La loi infir­mière risque le même sort, entre lob­bies médi­caux et iner­tie admi­nis­tra­tive. Côté obs­ta­cles, les fronts sont mul­ti­ples. Il y a d’abord les inté­rêts caté­go­riels défen­dus par cer­tains syn­di­cats médi­caux et l’Ordre des méde­cins. On se sou­vient du recours déposé contre l’arrêté enca­drant l’accès direct aux infir­miers en pra­ti­que avan­cée (IPA) dans le cadre de la loi RIST, qui illus­tre par­fai­te­ment la volonté de main­te­nir un mono­pole de pres­crip­tion ou de consul­ta­tion.

De même, l’hos­ti­lité per­sis­tante de l’Académie de méde­cine à toute redé­fi­ni­tion du par­tage des com­pé­ten­ces inter­roge. Quand des pro­fes­sions mon­tent en res­pon­sa­bi­lité, c’est par­fois vécu comme une menace. Pourtant, le monde a changé, les besoins explo­sent, et la démo­gra­phie médi­cale impose de repen­ser les modè­les.

Mais les lobbys ne sont pas les seuls à ralen­tir les réfor­mes. L’immo­bi­lisme des admi­nis­tra­tions cen­tra­les, et leur manque de volonté de mettre en œuvre des mesu­res com­plexes, repré­sen­tent un obs­ta­cle tout aussi redou­ta­ble. En 2008 déjà, la loi HPST avait prévu des dis­po­si­tifs de coo­pé­ra­tion entre pro­fes­sion­nels de santé. Les textes étaient là. Mais sur le ter­rain, peu de choses ont bougé, faute de textes régle­men­tai­res. Et ce sont les patients qui en ont payé le prix.

Alors même que la pro­fes­sion demande une refonte ambi­tieuse de sa for­ma­tion ini­tiale, capa­ble de répon­dre aux exi­gen­ces crois­san­tes des soins moder­nes, le minis­tère tra­vaille sur un réfé­ren­tiel de for­ma­tion dans une opa­cité totale. Aucun échange réel avec les orga­ni­sa­tions infir­miè­res repré­sen­ta­ti­ves du ter­rain, aucun débat public, aucune trans­pa­rence. Ce projet, mené en cati­mini, enté­rine une for­ma­tion tou­jours aussi conden­sée en trois ans, au mépris de toutes les don­nées pro­ban­tes et des com­pa­rai­sons inter­na­tio­na­les. Avec 4.600 heures de for­ma­tion à répar­tir, la majo­rité des pays euro­péens ont fait le choix d’un cursus en quatre ans, pour pré­ser­ver la qua­lité de l’appren­tis­sage, éviter l’épuisement des étudiants, et sécu­ri­ser les com­pé­ten­ces. En France, on per­siste à entas­ser, com­pres­ser, accé­lé­rer. Et l’on s’étonne ensuite du décro­chage massif pen­dant la for­ma­tion, du mal-être des jeunes diplô­més, et de leur départ rapide de l’hôpi­tal. Ce n’est pas une réforme. C’est un renon­ce­ment silen­cieux.

Cette nou­velle loi infir­mière était atten­due de longue date. Elle répond à un double impé­ra­tif : reconnaî­tre les com­pé­ten­ces infir­miè­res et faci­li­ter l’accès aux soins du quo­ti­dien, et pas seu­le­ment dans les ter­ri­toi­res où les méde­cins man­quent.

Mais sans arrê­tés d’appli­ca­tion, l’accès direct à une infir­mière ne pourra pas être orga­nisé. Les actes rele­vant du rôle propre ne seront pas listés, donc non reconnus ni rému­né­rés. Les moda­li­tés de coor­di­na­tion res­te­ront floues, et les par­cours de soins, tou­jours aussi frag­men­tés. Quant à l’inté­gra­tion des spé­cia­li­tés infir­miè­res à la pra­ti­que avan­cée, elle pour­rait rester théo­ri­que.

En clair, les patients ne ver­ront aucun chan­ge­ment. Les soi­gnants, eux, conti­nue­ront de faire ce qu’ils peu­vent, dans un cadre légal incer­tain, sous la menace per­ma­nente d’un rappel à l’ordre dès qu’ils s’écartent d’un décret obso­lète.

Le pre­mier signal fort de cette loi, c’est l’accès direct aux infir­miers dans le cadre de leur rôle propre. Cela signi­fie que les patients pour­ront consul­ter une infir­mière sans passer par un méde­cin, dans des cas rele­vant de sa com­pé­tence auto­nome. Ce n’est pas une révo­lu­tion idéo­lo­gi­que, c’est une mesure prag­ma­ti­que pour désen­gor­ger les soins de pre­mier recours et faci­li­ter l’accès aux répon­ses adap­tées. Mais pour cela, il faut un texte qui défi­nisse pré­ci­sé­ment le péri­mè­tre des actes concer­nés, les moda­li­tés de tra­ça­bi­lité, et les liens avec les autres pro­fes­sion­nels.

La repré­sen­ta­tion natio­nale a fait son tra­vail. À l’una­ni­mité, elle a décidé de confier plus de res­pon­sa­bi­li­tés aux infir­miè­res pour amé­lio­rer la prise en charge des Français. Il serait inac­cep­ta­ble que les blo­ca­ges admi­nis­tra­tifs vien­nent étouffer cette volonté démo­cra­ti­que.

Nous appe­lons donc solen­nel­le­ment les auto­ri­tés com­pé­ten­tes – minis­tère de la santé, direc­tion géné­rale de l’offre de soins, secré­ta­riat géné­ral des minis­tè­res sociaux – à enga­ger sans délai la rédac­tion et la publi­ca­tion des textes d’appli­ca­tion. Des grou­pes de tra­vail doi­vent être cons­ti­tués, les repré­sen­tants de la pro­fes­sion doi­vent y être asso­ciés, et un calen­drier clair doit être com­mu­ni­qué.

Ce n’est pas seu­le­ment une ques­tion de reconnais­sance. C’est une urgence de santé publi­que. Car der­rière chaque décret man­quant, il y a des retards de soins, des diag­nos­tics non posés, des patients qui renon­cent.

La loi est votée. Elle est publiée. Elle doit main­te­nant être appli­quée. Les patients n’ont pas le temps d’atten­dre. Les infir­miè­res non plus.

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