Redéfinir l’infirmière, c’est refonder la santé

12 juin 2025

À quoi reconnaît-on une infir­mière ? Par la blouse ? Les soins pro­di­gués au chevet ? Trop sou­vent encore, la repré­sen­ta­tion de la pro­fes­sion se limite à un rôle d’exé­cu­tion, de pré­sence et d’assis­tance. Pourtant, dans un monde en muta­tion, les infir­miè­res sont en pre­mière ligne pour éduquer, pré­ve­nir, soi­gner, coor­don­ner, pro­té­ger… et repen­ser les modè­les de santé.

Mais com­ment reven­di­quer ce rôle, si les mots pour le dire sont absents ? Comment être reconnus, si la défi­ni­tion de notre métier date d’un autre siècle ?

C’est à cette urgence que répond le Conseil International des Infirmières (CII), qui vient de publier à l’occa­sion de son Congrès mon­dial d’Helsinki en juin 2025 une nou­velle défi­ni­tion de l’infir­mière. Fruit d’un tra­vail col­lec­tif et rigou­reux, ce texte met fin à vingt ans de silence ins­ti­tu­tion­nel. Il apporte une réponse forte à une double néces­sité : repré­sen­ter fidè­le­ment la pra­ti­que contem­po­raine des soins infir­miers et servir de socle commun pour l’éducation, la régle­men­ta­tion et le plai­doyer à tra­vers le monde.

Voici cette nou­velle défi­ni­tion, telle qu’elle a été adop­tée par les repré­sen­tants de plus de 130 pays mem­bres du CII, repré­sen­tant 20 mil­lions d’infir­miè­res :

« Une infir­mière est une pro­fes­sion­nelle formée aux connais­san­ces scien­ti­fi­ques, aux com­pé­ten­ces et à la phi­lo­so­phie des soins infir­miers, et régle­men­tée de manière à pra­ti­quer les soins infir­miers sur la base des normes de pra­ti­que et des codes déon­to­lo­gi­ques en vigueur. Les infir­miè­res amé­lio­rent les connais­san­ces en matière de santé, pro­meu­vent la santé, pré­vien­nent les mala­dies, pro­tè­gent la sécu­rité des patients, sou­la­gent la souf­france et faci­li­tent le réta­blis­se­ment et l’adap­ta­tion en pré­ser­vant la dignité tout au long de la vie et en fin de vie. Elles tra­vaillent de manière auto­nome et col­la­bo­ra­tive, dans tous les contex­tes, afin d’amé­lio­rer la santé de tous grâce à la défense des droits, à la prise de déci­sions fon­dées sur des don­nées pro­ban­tes et à des rela­tions thé­ra­peu­ti­ques cultu­rel­le­ment sûres. Les infir­miè­res pro­di­guent des soins cli­ni­ques et sociaux axés sur les per­son­nes et empreints de com­pas­sion, gèrent des ser­vi­ces, amé­lio­rent les sys­tè­mes de santé et favo­ri­sent des envi­ron­ne­ments sûrs et dura­bles. Les infir­miè­res diri­gent, éduquent, recher­chent, défen­dent, inno­vent et façon­nent la poli­ti­que afin d’amé­lio­rer les résul­tats en matière de santé.

En outre, les infir­miè­res jouent un rôle unique dans les soins de santé et les soins sociaux pour des popu­la­tions de tous âges et dans tous les contex­tes, en établissant une rela­tion de confiance avec les indi­vi­dus, les famil­les et les com­mu­nau­tés, et en acqué­rant des connais­san­ces pré­cieu­ses sur les expé­rien­ces des gens en matière de santé et de mala­die. S’appuyant sur un socle cons­ti­tué de soins directs et sociaux per­son­na­li­sés, les infir­miè­res déve­lop­pent leurs capa­ci­tés par la for­ma­tion conti­nue, la recher­che et l’explo­ra­tion des meilleu­res pra­ti­ques.

Le domaine de pra­ti­que d’une infir­mière est défini par son niveau de for­ma­tion, par son expé­rience, par ses com­pé­ten­ces pro­fes­sion­nel­les et par l’auto­rité dont elle est inves­tie aux termes de la loi. Les infir­miè­res jouent un rôle cen­tral dans la coor­di­na­tion et la super­vi­sion de la délé­ga­tion d’autres per­son­nes sus­cep­ti­bles de contri­buer à la four­ni­ture des soins de santé.

Souvent en pre­mière ligne, elles inter­vien­nent en cas de catas­tro­phes, de conflits et d’urgen­ces, fai­sant preuve de cou­rage, de dévoue­ment, d’adap­ta­bi­lité et d’enga­ge­ment en faveur de la santé des indi­vi­dus, des com­mu­nau­tés et de l’envi­ron­ne­ment. »

Par cette défi­ni­tion, le CII nous donne plus qu’un texte. Il nous rend visi­bles. Il affirme une réa­lité que tant de dis­cours poli­ti­ques ou admi­nis­tra­tifs igno­rent : les infir­miè­res sont des pro­fes­sion­nel­les auto­no­mes, enga­gées, qui allient com­pé­tence scien­ti­fi­que et enga­ge­ment humain. Leurs mis­sions ne se limi­tent pas au soin tech­ni­que : elles s’étendent à l’ensei­gne­ment, à la ges­tion, à la recher­che, au lea­der­ship et à la défense des droits fon­da­men­taux.

Cette reconnais­sance est d’autant plus essen­tielle que les défis sont immen­ses : pénu­rie mon­diale de per­son­nel, fra­gi­lité des sys­tè­mes de santé, vieillis­se­ment de la popu­la­tion, iné­ga­li­tés d’accès aux soins. Dans ce contexte, les infir­miè­res ne peu­vent plus être confi­nées à des rôles subal­ter­nes ou invi­si­bi­li­sées dans les déci­sions stra­té­gi­ques. Il est temps de leur donner toute leur place, dans la gou­ver­nance comme dans la pra­ti­que.

Ce texte du CII fixe une bous­sole. Il donne des repè­res pour réfor­mer la for­ma­tion, repen­ser la légis­la­tion, mieux pla­ni­fier les effec­tifs, ren­for­cer les droits pro­fes­sion­nels. Il sert aussi de fon­de­ment pour reven­di­quer une place pleine et entière dans les poli­ti­ques publi­ques de santé.

"Il ne s’agit pas d’un simple exer­cice séman­ti­que. Derrière les mots, il y a une exi­gence de jus­tice. Une infir­mière ne devrait jamais avoir à prou­ver qu’elle est légi­time à pré­ve­nir une chute, à orien­ter un patient, à pres­crire un vaccin ou à plai­der pour une réforme. Elle devrait pou­voir le faire parce que sa pro­fes­sion l’y auto­rise, parce que sa for­ma­tion l’y pré­pare, et parce que la loi la reconnaît." pré­cise Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

En redé­fi­nis­sant l’infir­mière, le CII redonne du sens, de la cohé­rence et de la force à une pro­fes­sion qui ne cesse de démon­trer son rôle essen­tiel dans la santé de nos socié­tés.

Reste désor­mais à faire vivre cette défi­ni­tion dans chaque pays, chaque sys­tème de santé, chaque pro­gramme de for­ma­tion. En France, elle devrait ins­pi­rer la refonte du décret de com­pé­ten­ces, l’élargissement du champ d’exer­cice, la révi­sion du réfé­ren­tiel de for­ma­tion et l’ins­crip­tion dans la loi de mis­sions trop long­temps occultées.

Définir, c’est reconnaî­tre. Et reconnaî­tre, c’est pro­té­ger. Il est temps de cesser de relé­guer les infir­miè­res à des cases étroites. Il est temps de leur donner les moyens d’être ce que le monde attend déjà d’elles.

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