Dialogue social : de rapports en réforme
4 août 2006
Le rapport Chertier "Pour une modernisation du dialogue social", après analyse du système français de relations sociales, propose des solutions puisées dans l’expérience européenne. Il se donne pour objectif de renforcer les corps intermédiaires - organisations syndicales et groupements d’employeurs - dans leurs relations
avec l’état, en définissant clairement les rôles et responsabilités de chacun.
Le rapport Hadas-Lebel, pour sa part, s’intéresse à la légitimité des acteurs et à l’efficacité du dialogue
social à la française. D’oû son titre : Pour un dialogue social efficace et légitime : représentativité et financement des organisations professionnelles et syndicales...
LE RAPPORT CHERTIER
I - Une clarification des rôles et de la place laissés aux partenaires sociaux
Le rapport de Dominique-Jean Chertier part de l’idée que le poids des syndicats est avant tout déterminé par l’espace qui leur est réservé et tord le cou à des schémas
stéréotypés. En effet, les partenaires sociaux ne sont pas opposés aux réformes mais cherchent à être entendus dans
leur élaboration et leur réalisation.
C’est pourquoi, il préconise de construire en amont, entre le gouvernement et les partenaires sociaux, un agenda de réformes traitant des questions de fond et régulièrement
actualisé. Un temps de concertation réservé aux partenaires sociaux serait prévu avant que le Parlement légifère ou que le gouvernement décide des
suites à donner.
Un cadre juridique entourerait ce « temps réservé » aux partenaires sociaux dans une logique du « mieux légiférer ». La procédure de concertation s’échelonnerait sur trois mois à l’issue desquels le texte normatif, support de la réforme, passerait en Conseil des ministres.
Nouveauté du dispositif, le texte serait complété d’un document qui présenterait le déroulement de la concertation
et les suites données.
Sur le plan du droit du travail, la procédure du « temps réservé » serait conçue comme un temps dédié à la négociation collective compte tenu du rôle et de la
légitimité des organisations syndicales et professionnelles en la matière.
Cette variante renforcée du « temps réservé » aux partenaires sociaux s’explique aussi par l’existence de droits qui sont directement issus de la négociation collective.
Si les partenaires sociaux aboutissaient à la conclusion d’un accord, celui-ci devrait être fidèlement repris par
le Parlement et le gouvernement.
II - Restructurer les lieux du dialogue social et responsabiliser les administrations dans le processus de concertation, y compris dans la fonction publique
Les réformes et les changements de méthode préconisés devront pouvoir s’appuyer sur des instances du dialogue
social fortement redynamisées.
Le rapport trace trois axes : la clarification des rôles, la simplification du paysage institutionnel et des procédures et la responsabilisation des acteurs qui participent au dialogue social.
Il préconise, notamment, de changer la composition
du Conseil économique et social (CES) en vue d’un fonctionnement plus efficace.
Il propose aussi de laisser une plus grande place aux associations porteuses de grandes problématiques sociétales. Encore faudrait-il que la voix des organisations syndicales représentatives ne soit pas « étouffée » !
Enfin, il serait donné une valeur juridique aux accords
conclus entre l’État et les organisations syndicales dans la fonction publique à travers la mise en place d’une procédure d’homologation.
L’espace plus important laissé aux partenaires sociaux pose la question de leur capacité à représenter au mieux
les salariés. Les partenaires sociaux sont-ils légitimes ? Le dialogue social en France est-il efficace ? Le rapport
Hadas-Lebel tente de répondre par le biais de quatre approches : la représentativité, la validité des conventions et accords négociés, les petites et moyennes entreprises (PME) et enfin le financement des organisations syndicales représentatives
LE RAPPORT HADAS-LEBEL
I - De nouveaux critères de représentativité
Dans un scénario d’adaptation à la situation actuelle, le critère de l’attitude patriotique pendant la seconde guerre
mondiale est remplacé par celui du respect des valeurs républicaines.
Le rapport préconise de mieux tenir compte du critère jurisprudentiel de l’audience électorale du syndicat. Les élections prud’homales et professionnelles sont toutes deux citées comme pouvant servir d’étalon.
Par conséquent, la liste des organisations bénéficiaires de la présomption irréfragable de représentativité au niveau interprofessionnel serait révisée à l’issue
de chaque cycle électoral.
Est envisagée la facilitation des procédures de reconnaissance de la représentativité au niveau de la branche et dans l’entreprise par le remplacement du juge par l’inspecteur du travail ou le ministre, selon le cas. La CFE-CGC voit dans cette proposition un moyen qui favoriserait l’émergence de nouvelles organisations tel que
l’UNSA et SUD, avec le risque d’émiettement syndical que cela comporte.
La CFE-CGC, regrette que la représentativité des organisations d’employeurs ne soit qu’effleurée car les employeurs sont une partie toute aussi déterminante
à la négociation collective que les organisations
syndicales.
Raphaël Hadas-Lebel envisage également un scénario de transformation complète par lequel l’audience deviendrait
l’unique critère de mesure de la représentativité à tous les niveaux. Ainsi, le seuil plancher à obtenir, pour être représentatif, se situerait dans une fourchette entre 5 % et 10 % des voix exprimées.
Trois méthodes seraient envisagées :
L’élection de référence pourrait être celle des prud’hommes, réalisée par voie électronique.
Le rapport suggère la possibilité de connaître l’audience
des organisations syndicales par branche et cela dès 2013 : au moment du vote, le salarié renseignerait électroniquement le code NAF de son entreprise.
La consolidation des résultats obtenus à l’élection des délégués du personnel.
Quand on sait que l’élection DP s’organise légalement autour de deux collèges, on comprend que la représentativité de la CFE-CGC soit sérieusement mise en péril avec l’absence du troisième collège en tant que
tel.
De plus, il serait mis fin au monopole des listes syndicales au premier tour des élections professionnelles pour permettre l’ouverture aux candidats sans appartenance syndicale.
Une élection dédiée au niveau des branches. Cette alternative n’est pas des plus simples à mettre en oeuvre,
compte tenu des moyens nécessaires à sa réalisation.
II - Vers la majorité d’engagement comme règle de conclusion des accords
Le rapport propose, comme simple adaptation, le maintien des règles actuelles qui découlent de la loi Fillon jusqu’au 31 décembre 2007. Toutefois, la majorité
d’engagement « relative » remplacerait la règle légale de la majorité « d’opposition ».
Concrètement, les syndicats signataires devraient représenter plus de voix que les syndicats qui s’opposent, tandis que le poids électif des syndicats abstentionnistes (qui ne signent pas sans s’opposer pour autant), ne serait pas pris en compte.
En revanche, après le 31 décembre 2007, la majorité d’engagement deviendrait la seule règle. Dans ce cas de figure, l’accord devrait être signé par un ou des syndicats représentant plus de 50 % des voix aux élections.
III - La négociation dans les PME affranchie du cadre juridique dessiné par la branche
Actuellement, la négociation dans les PME dépourvues de délégué syndical, est soumise à la conclusion d’un accord
au niveau de la branche.
À cette occasion, celle-ci met en place une commission de branche conçue pour valider les accords signés par les élus dans les entreprises dépourvues de DS. En l’absence
d’élus, la négociation se fait avec des salariés mandatés par les organisations syndicales représentatives.
D’une part, le rapport propose que la négociation dans les entreprises dépourvues de DS ne soit plus soumise à l’autorisation de la branche. D’autre part, le mandatement serait ouvert même dans les entreprises pourvues d’instances élues du personnel en instaurant une
« concurrence » entre élus du personnel et salariés mandatés, sans assurer pour autant une implantation syndicale effective.
Pour la CFE-CGC, seule la désignation d’un DS pérennise le développement syndical dans les PME.
Dans un contexte de transformation, le rapport préconise la fusion entre les DP, les CE et les DS dans une instance unique de négociation et de dialogue dans les PME de 50 à 250 salariés. Le CHSCT actuel deviendrait une section de cette instance. À l’intérieur de l’instance unique, le DS, éventuellement choisi parmi les élus, aurait le monopole de la signature des accords.
Dans un deuxième temps, l’instance unique serait intégralement élue par les salariés de l’entreprise. Les accords ne seraient plus signés par les DS mais validés
à la condition d’avoir recueilli la majorité des voix des membres salariés. Ce qui remettrait totalement en cause la mission du DS et la finalité même de l’existence des syndicats.
IV - Un financement public toujours « à la marge » par rapport aux cotisations mais moins aléatoire et plus
transparent
L’ensemble des partenaires sociaux est unanime pour exiger que les cotisations syndicales demeurent la pierre angulaire du financement des organisations syndicales
car elles matérialisent le lien indéfectible qui existe entre les syndicats et leurs adhérents.
Dans un premier temps, le rapport propose de confirmer légalement la création d’un statut fiscal propre aux organisations syndicales. La CFE-CGC salue la proposition consistant à sécuriser les mises à disposition de salariés du secteur privé auprès des organisations syndicales
représentatives.
Par ailleurs, le rapport préconise le renforcement du
financement du congé de formation économique, sociale et syndicale.
Dans un deuxième temps, un réexamen de la répartition des financements publics entre organisations pourrait également
être étudié en fonction de l’audience. Le rapport met en avant l’idée d’une contribution spécifique des entreprises destinée à financer le dialogue social. En fait, cette idée a déjà fait l’objet d’expérimentation dans certaines branches telles que l’agriculture ou l’artisanat.
Les rapports Chertier et Hadas-Lebel sont complémentaires. Si la CFE-CGC partage les constats et les points de vues du rapport Chertier et certains éléments du rapport Hadas-Lebel, elle est critique sur plusieurs des solutions proposées par ce dernier, car elles ne règlent pas les maux qu’elles stigmatisent.
Le rapport de Raphaël Hadas-Lebel fait actuellement l’objet d’un examen au Conseil économique et social qui rendra son avis en novembre 2006. À cette occasion, la CFE-CGC tentera de convaincre ses partenaires sociaux et ses interlocuteurs politiques du bienfondé de ses propositions.
Entre autres, la CFE-CGC souhaite être plus entendue sur la question de l’adhésion qu’elle souhaite non obligatoire
mais responsable. Le salarié doit pouvoir bénéficier d’un socle commun - celui de la loi - des accords interprofessionnels, voire de branche.
En revanche, l’application des accords d’entreprise pourrait être réservée aux salariés adhérents d’une organisation syndicale représentative.
Dans une perspective beaucoup plus ambitieuse, la CFE-CGC
estime que ce principe soit étendu à l’ensemble des accords, y compris au niveau interprofessionnel.
Par respect pour les valeurs républicaines, le secteur privé se doit de réserver à l’engagement syndical un traitement identique à celui appliqué dans la fonction
publique. C’est pourquoi la CFECGC milite en faveur d’un « contrat d’engagement social ». Il permettrait à tout militant de prendre sur son temps de travail pour accomplir les missions qui lui incombent au sein de son organisation syndicale ; cela en concertation
avec son employeur.
Assorti d’un retour à l’emploi d’origine et des mêmes modalités de paiement des rémunérations que ce qui existe dans le secteur public, ce dispositif favoriserait l’émergence du syndicalisme auprès des salariés de toutes
les entreprises, indépendamment de leur taille.