Fin de vie : 21 organisations de soignants alertent sur l’euthanasie

Fin de vie : 21 organisations de soignants alertent sur l'euthanasie

20 mai 2024

Projet de loi sur la fin de vie : la boite de pandore est ouverte.
Le 19 mai 2024, 21 organisations de soignants réagissent

21 orga­ni­sa­tions soi­gnan­tes lan­cent l’alerte : en moins de cinq jours, les dépu­tés de la com­mis­sion spé­ciale ont davan­tage élargi l’accès à la mort pro­vo­quée que ne l’ont fait les deux pays les plus per­mis­sifs sur l’aide à mourir, la Belgique en 22 ans et le Canada en 8 ans, outre­pas­sant même les recom­man­da­tions du CCNE ou de la Convention citoyenne.

Alors que le texte ini­tial pro­po­sait un sui­cide assisté assorti d’une eutha­na­sie d’excep­tion pour les per­son­nes qui ne « sont pas en mesure d’y pro­cé­der phy­si­que­ment », la com­mis­sion spé­ciale a ouvert la pos­si­bi­lité du choix entre ces deux moda­li­tés de mort pro­vo­quée (amen­de­ment n° CS977). L’exposé de l’amen­de­ment sou­li­gne bien que « le choix entre « eutha­na­sie » et « sui­cide assisté » devrait incom­ber au malade et non au type de mala­die. » L’eutha­na­sie devient donc un choix et non une excep­tion.

L’eutha­na­sie devien­drait aussi un soin, à rebours de ce que rap­pel­lent les soi­gnants depuis des mois  : de nom­breux amen­de­ments adop­tés visent à codi­fier le projet de loi en créant une nou­velle sec­tion dédiée à l’aide à mourir dans le code de la santé publi­que. Le « droit à l’aide à mourir » est inté­grée au « droit d’avoir une fin de vie digne », tel qu’il est défini à l’arti­cle L. 1110-5 du code de la santé publi­que (CS647).

De plus, le cri­tère de pro­nos­tic vital engagé à « court ou moyen terme » a été rem­placé par celui d’une affec­tion grave et incu­ra­ble « en phase avan­cée ou ter­mi­nale » (CS1558). Ces termes « avan­cée ou ter­mi­nale » per­met­tront d’élargir la pos­si­bi­lité d’accé­der à l’aide à mourir « même si son pro­nos­tic vital n’est pas direc­te­ment enga­gé » (CS659). Cette exten­sion ouvre la mort pro­vo­quée à un nombre indé­fi­nis­sa­ble de situa­tions dont on a encore peine à mesu­rer l’ampleur et la diver­sité (insuf­fi­sance rénale, cancer avec métas­ta­ses osseu­ses, cir­rho­ses, insuf­fi­san­ces car­dia­ques ou res­pi­ra­toi­res…)

Alors que la ques­tion du plein dis­cer­ne­ment de la per­sonne devait être cen­trale, les dépu­tés ont voté pour une nou­velle rédac­tion per­met­tant de pren­dre en compte le cas d’un patient qui sou­hai­te­rait accé­der à l’aide à mourir mais per­drait sa cons­cience de manière irré­ver­si­ble, en pré­voyant d’inclure cette demande expresse dans ses direc­ti­ves anti­ci­pées, situa­tion qui n’était jusqu’ici pas cou­verte par le projet de loi (CS1990). Cela impli­que qu’un choix fait des années avant d’être malade et jamais révisé s’appli­quera irré­mé­dia­ble­ment. Aucune véri­fi­ca­tion des condi­tions dans les­quel­les ces docu­ments ont été rédi­gées ou qui les aura véri­ta­ble­ment rédi­gées n’est en outre prévue. (Il existe par exem­ple de nom­breux cas en EHPAD où ce sont les famil­les qui les signent, y com­pris pour des parents avec trou­bles cog­ni­tifs modé­rés , en "dis­cu­tant avec eux")

Enfin, de nom­breux amen­de­ments per­met­tent de faci­li­ter la pro­cé­dure. Citons notam­ment la pos­si­bi­lité de réduire le délai donné au requé­rant (2 jours dans le texte ini­tial) pour confir­mer sa demande. Le méde­cin aurait désor­mais « la pos­si­bi­lité de réduire ou sup­pri­mer ce délai s’il estime que celui-ci n’est pas néces­saire. » (CS1278). Par ailleurs, la demande serait vala­ble 12 mois au lieu des 3 mois ini­tia­le­ment prévus sans qu’un nou­veau contrôle de la « volonté libre et éclairée » du requé­rant ne soit néces­saire (CS1778).

De manière inat­ten­due, les dépu­tés ont adopté un « délit d’entrave à l’aide à mourir » (CS1980) qui risque de péna­li­ser toute remise en cause de ce dis­po­si­tif et faire peser des mena­ces consi­dé­ra­bles sur la prise en soin des mala­des en fin de vie ou sur les poli­ti­ques de pré­ven­tion du sui­cide.

A l’inverse, plu­sieurs points de vigi­lance que nous avions sou­le­vés ont été igno­rés par les dépu­tés de la com­mis­sion spé­ciale, avec le sou­tien du Gouvernement. Citons notam­ment :
• Le geste létal pourra être pra­ti­qué par toute « per­sonne volon­taire », ce qu’aucune légis­la­tion au monde ne permet ;
• La for­ma­tion et l’accom­pa­gne­ment des soi­gnants et des pro­ches pra­ti­quant l’acte létal ne sont pas prévus ;
• L’admi­nis­tra­tion de la sub­stance mor­telle pourra se pra­ti­quer n’importe où, sans enca­dre­ment, ce qu’aucun pays n’a permis ;
• Les établissements de santé ou médico-sociaux seront tenus de per­met­tre la pra­ti­que de l’acte létal dans leurs murs ; les phar­ma­ciens ne pour­ront oppo­ser d’objec­tion de cons­cience.

Ce projet de loi cons­ti­tue un point de rup­ture majeur, car il remet en ques­tion dans la loi le devoir fon­da­men­tal de l’huma­nité de ne pas pro­vo­quer la mort, même à la demande de la per­sonne. La fra­ter­nité, en tant que valeur huma­niste, agit comme un rem­part contre la ten­ta­tion de répon­dre à des souf­fran­ces ponc­tuel­les par des solu­tions défi­ni­ti­ves, en affir­mant que la soli­da­rité et l’accom­pa­gne­ment par des soins de vie sont pré­fé­ra­bles à l’acte de pro­vo­quer la mort.

Il reste à espé­rer que les dépu­tés, réunis en séance publi­que à partir du 27 mai, com­pren­nent que les aler­tes que nous émettons depuis 18 mois n’étaient pas inu­ti­le­ment alar­mis­tes et revien­nent sur des dis­po­si­tions qui feraient porter de lour­des mena­ces sur les mala­des, les per­son­nes en situa­tion de han­di­cap et les per­son­nes âgées et cons­ti­tue­raient un bou­le­ver­se­ment majeur de la société fran­çaise.

Association Francophone des Soins Oncologiques de Support
Association Nationale Française des Infirmiers en Pratique Avancée
ClaroMed
Conseil National Professionnel de Gériatrie
Confédération des Syndicats Médicaux Français
Convergence infir­mière
Fédération Française des Infirmières Diplômées d’État Coordinatrice
Fédération Française des asso­cia­tions de Médecins COordonnateurs en EHPAD
Fédération Nationale des Établissements d’Hospitalisation à Domicile
Association des Psychologues Cliniciens et des Psychologues Psychothérapeutes
Association Nationale des Médecins Coordonnateurs et du Secteur Médico-social
Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs
Société Médico-Psychologique
Société Francophone de Néphrologie, Dialyse et Transplantation
Société Française du Cancer
Société fran­çaise de Soins Palliatifs Pédiatriques
Société Française de Gériatrie et géron­to­lo­gie
Syndicat National de Gérontologie Clinique SNPI
Groupe de Soins Palliatifs - Unicancer

https://x.com/infir­mierSNPI/status/1792597293901730285

Voir également :
- https://www.doc­tis­simo.fr/sante/droit-de-la-sante/eutha­na­sie/loi-sur-la-fin-de-vie-pour­quoi-le-texte-valide-par-la-com­mis­sion-par­le­men­taire-fait-hurler-les-soi­gnants/26f5c0_ar.html
- https://www.cadu­cee.net/actua­lite-medi­cale/16340/loi-sur-la-fin-de-vie-vers-une-libe­ra­li­sa­tion-contro­ver­see.html
- https://www.lequo­ti­dien­du­me­de­cin.fr/sante-societe/ethi­que/des-soi­gnants-oppo­ses-laide-mourir-denon­cent-une-ree­cri­ture-per­mis­sive-du-projet-de-loi-en
- https://www.gene­thi­que.org/eutha­na­sie-sui­cide-assiste-la-com­mis­sion-spe­ciale-adopte-le-projet-de-loi-le-plus-per­mis­sif-au-monde/

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