QVT qualité de vie au travail des personnels hospitaliers

22 février 2017
Le SNPI a été auditionné par la Commission des Affaires Sociales du Sénat lors d’une table ronde sur la problématique de la qualité de vie au travail des personnels hospitaliers avec des représentants des syndicats infirmiers, le 01.02.17.
M. Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI CFE-CGC), qui représente des professionnels de l’hôpital, des cliniques et des entreprises :
"Qualité de vie au travail ? Je parlerais plutôt de souffrance au travail, car tel est notre quotidien.
Les avancées que sont, pour les patients, la baisse de la durée moyenne du séjour et le développement de l’ambulatoire, résultent pour les soignants en un doublement de la charge de travail, puisque seuls les patients les plus gravement affectés restent à l’hôpital. À nombre de lits égal, l’intensité des soins est plus élevée.
De plus, l’Ondam est contraint. Quand l’hôpital aurait besoin de 4 %, il n’en représente que la moitié. Les plans de retour à l’équilibre sont dès lors inévitables, tout comme la fermeture de lits ou la suppression de postes puisque la masse salariale représente 70 % des dépenses totales.
Résultat : mutualisations forcées et polyvalence imposée. Le suicide récent d’une infirmière en Normandie en est un triste exemple. Alors qu’elle était spécialisée en pédiatrie, cette infirmière a été mutée en réanimation, domaine dans lequel elle ne connaissait ni les pathologies, ni le matériel. Le sentiment d’être dangereux pour les patients peut conduire au pire.
La T2A n’est pas adaptée aux pathologies chroniques ni au vieillissement. La logique de standardisation, qui consiste à traiter des groupes homogènes de malades, est aux antipodes de nos valeurs : notre formation nous a appris à considérer chaque personne comme unique. Et voilà qu’on demande de nous d’être des techniciens spécialisés pour des usines à soins !
Notre travail est bien plutôt de prêter attention au patient, de décoder pour lui le discours médical et de l’accompagner dans sa souffrance. L’arrivée d’une logique industrielle à l’hôpital en fait une institution qui maltraite ceux dont le métier est de prendre soin, par exemple en les soumettant à des injonctions paradoxales - accroître l’activité avec moins d’agents - ou en les sommant de rechercher une rentabilité maximale.
Il existe d’ailleurs une vraie maltraitance institutionnelle. Ainsi, l’AP-HP a décidé, en septembre, que tous ses agents devraient alterner, par quinzaine, entre service du matin et service du soir. Pour une infirmière qui élève seul un enfant et qui habite en banlieue - c’est le cas de plus des deux tiers d’entre elles -, comment expliquer à la personne qui garde son bébé qu’elle doit commencer à six heures pendant quinze jours puis finir à 23 heures la quinzaine suivante ? Et l’administration répond qu’elle n’a qu’à embaucher une deuxième personne ! C’est considérer les agents hospitaliers comme des pions dans le cadre d’un management sans ménagement.
En les contraignant, de surcroît, à revenir pendant leurs jours de repos ou à enchaîner des gardes, on les pousse à la faute. Du coup, le nombre d’erreurs de soin a augmenté de 48 % en quatre ans et celui des événements indésirables graves double chaque année.
J’en viens enfin à la violence à l’hôpital. Chaque jour, quinze infirmières se font agresser. En effet, en fermant partout de petits services, on engorge ceux qui restent et l’attente aux urgences ne fait que croître. Comme ce sont les infirmières qui trient les patients selon le degré de gravité de leur pathologie, elles sont en première ligne face à leur colère - car il n’est jamais facile d’accepter qu’on vous passe devant, surtout lorsqu’on souffre physiquement. Le nombre et la gravité des agressions augmentent. On passe des insultes aux coups. Or les agents ne sont pas soutenus par leur direction : seules 2 224 des 11 835 agressions enregistrées l’an dernier ont donné lieu à des dépôts de plainte. Scandaleux !
(...)
M. Thierry Amouroux. - Nous souhaitons un moratoire sur les plans de retour à l’équilibre. Les fermetures de lits ont concerné pas moins de 12 % de la capacité française ! Nous sommes la cinquième puissance mondiale. Une épidémie de grippe survient et la ministre annonce que les opérations non urgentes seront suspendues. La même semaine, elle annonce la fermeture de 16 000 lits de plus cette année !
Il faut faire le lien entre une stratégie macroéconomique et la situation sur le terrain. Oui, nous sommes des professionnels et nous faisons au mieux pour soigner les patients. Mais enfin, nous lisons les études internationales : selon des études publiées dans le British medical journal ou dans le Lancet : sur 19 millions d’hospitalisations en Angleterre, la mortalité augmente de 7 % pour chaque patient supplémentaire dans un service ; une autre étude établit que chaque remplacement d’infirmière par une aide-soignante augmente le taux de décès de 21 %.
Autrefois, lorsqu’une personne âgée avait besoin d’être requinquée à l’hôpital, on la prenait une semaine à l’hôpital local et elle pouvait revenir chez elle. Maintenant, l’établissement le plus proche est à 50 kilomètres. Ses proches, ses amis, son conjoint ne peuvent pas venir la voir. La personne âgée déprime, décompense, reste dans le circuit hospitalier et passe en long séjour.
Il y a des économies qui tuent des patients. La mortalité a augmenté de 7 % récemment - c’est la première fois depuis l’après-guerre qu’on a de tels chiffres. D’après l’Insee, l’espérance de vie a baissé d’un trimestre pour les hommes et de 4 mois pour les femmes ; ce n’est pas normal !
Il y a des endroits - Australie, Californie - où l’on a augmenté le ratio entre soignants et patients, et pas pour des raisons sociales. Plus de soignants auprès des patients, cela coûte plus cher au départ mais à la fin, on y gagne, avec la diminution des durées de séjour, du turn-over, de la morbidité et des réadmissions. C’est vrai que cela demande quelques années - plus que les cinq ans d’une mandature. Ce n’est pas dans le court terme que veulent les politiques, mais c’est dans un moyen terme assez rapide, puisqu’on observe aujourd’hui les retombées d’une mise en place en 2004-2005.
Nous réclamons une reconnaissance de la pénibilité de la profession. L’espérance de vie d’une infirmière, c’est 78 ans, contre 85 ans pour toutes les Françaises, selon la CNRACL. A l’âge de partir à la retraite, 30 % des aides-soignantes et 20 % des infirmières ont un taux d’invalidité.
Il faut reconnaître à nouveau la pénibilité de notre travail. La réforme des retraites de François Fillon en 2003 avait établi une bonification d’un an tous les 10 ans, qui a été ensuite supprimée par Roselyne Bachelot lors du passage en catégorie A : puisque nous étions mieux payés, notre travail n’était plus pénible... Nous ne vous demandons pas de rétablir des droits datant de l’époque des machines à vapeur pour les conducteurs de TGV, mais bien une mesure de 2003.
Autre revendication, la concordance des temps. Il faut synchroniser les organisations médicales et paramédicales ; cela engendrerait de vrais gains.
La T2A est sans doute adaptée à la chirurgie mais pas aux soins chroniques et à la gérontologie - soit la plus grande part des soins. Il y a plein d’hôpitaux où l’activité augmente, mais à qui on demande de rendre des postes, car il faut bien répartir les diminutions globales qui ont été décidées. Cela n’a pas de sens !
Il faudrait établir une seconde partie de carrière pour les soignants : un jour par semaine, l’infirmier senior serait sorti de l’effectif pour des tâches de tutorat des nouveaux professionnels, des infirmières de suppléance qui arrivent et des étudiants. Il y a aujourd’hui un turn-over si important que cela occasionne des problèmes de transmission des connaissances. Parfois, la plus ancienne infirmière d’un service a deux ans de diplôme ! Ce jour-là, l’infirmier senior pourrait aussi se consacrer à l’accompagnement des patients et des cas complexes.
Il faut revoir le rôle du cadre de proximité ; il doit être avant tout un animateur d’équipe. Le turn-over est de 20 % par an à l’AP-HP ; 30 % des nouvelles diplômées quittent leur métier dans les cinq ans. C’est un véritable gâchis ! Mais, se sentant incapables de tenir 42 ans à ce rythme, elles préfèrent repartir en formation pour devenir assistantes sociales ou professeurs des écoles.
Les budgets de formation se réduisent et ils sont monopolisés par les formations éloignées du cœur de métier, comme pour l’utilisation d’un nouveau système informatique. Il arrive de surcroît de plus en plus que l’on se voie accorder une formation mais qu’elle soit annulée, faute d’effectifs disponibles suffisants.
Nous réclamons enfin le statut d’infirmière de pratique avancée, au niveau master, qui existe déjà dans 24 pays depuis les années 1960. On en compte 330 000 au total dans le monde. Ces infirmières pourraient prendre en charge les consultations de routine pour les maladies chroniques, ce qui libère du temps médical. Cela représenterait un gain pour l’assurance maladie et une possibilité de progression pour les infirmières. Ce statut resterait minoritaire : cinquante ans après sa création, elles ne représentent que 5 % des effectifs aux États-Unis, soit autant que les infirmières de bloc opératoire, les infirmières anesthésistes ou en puériculture.
Le compte-rendu intégral est sur www.senat.fr