Prendre soin de ceux qui nous soignent : du discours à la réalité
6 décembre 2016
Le SNPI n’a pas été associé aux travaux de préparation. Il en ressort beaucoup de vœux pieux, sans moyens financiers. Analyse point par point du document ministériel.
Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales et de la Santé, a présenté le 05.12.16 sa stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail "Prendre soin de ceux qui nous soignent". Un beau programme, mais sans réels moyens, et surtout sans cohérence avec les injonctions économiques qui frappent l’hôpital, estime le SNPI.
Le contexte de ces dernières années, c’est un enchainement de plans d’économies. La perspective votée par la loi de financement de la sécurité sociale, c’est une économie de trois milliards sur l’hôpital, soit la fermeture de 16.000 lits et la suppression de 22.000 postes. Le seul financement notifié de sa "stratégie", c’est 30 millions sur 3 ans. Un rapport de 1 à 100 ! "Le ministère décide de nous amputer d’un membre, mais nous donnera un comprimé pour soulager notre douleur, ou sa conscience" résume Thierry Amouroux, le Secrétaire Général du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI CFE-CGC). " Sans moyens, cette stratégie c’est un cautère sur une jambe de bois ".
La principale impasse, c’est l’absence de reconnaissance de la pénibilité pour la profession infirmière, alors que nous demandons une bonification retraite d’un an tous les ans, pour tous les secteurs d’activité (public, privé, libéral). Dans le public, attribuée par le Gouvernement Fillon en 2003, elle a été retirée en 2010 par la réforme Bachelot et son chantage salaire ou retraite.
Bien entendu, omerta sur la maltraitance institutionnelle et le harcèlement, ainsi que sur la responsabilité du ministère dans les causes (réformes successives, plans d’économies).
Par ailleurs, même la FHF a relevé une contradiction forte entre l’annonce de cette stratégie et la ponction de 300 millions d’euros sur les réserves de l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH), soit la quasi totalité de ses réserves, ce qui revient à priver les hospitaliers du levier de la formation professionnelle.
Ci-dessous la liste des mesures, et notre analyse, point par point :
Axe I Donner une impulsion nationale, pour porter une priorité politique
– Créer une mission nationale chargée de la qualité de vie au travail des professionnels de santé
– Mettre en place un observatoire national de la qualité de vie au travail et des risques psychosociaux des professionnels de santé
– Développer la recherche sur la qualité de vie au travail
– Organiser des médiations, reposant sur un premier niveau de conciliation locale, un deuxième niveau de médiation régionale et un troisième niveau de médiation nationale. Analyse SNPI : Pour les médecins, ce sera entre pairs. Pour les autre professionnels, il est précisé que ce sera par les cadres supérieurs. Une médiation organisée par la hiérarchie ? La technostructure a de l’humour !
– Intégrer un module « qualité de vie au travail » dans toutes les maquettes de formations initiales médicales, paramédicales et de directeurs d’établissements Analyse SNPI : un bon point !
– Former tous les professionnels amenés à conduire des femmes, des hommes et des équipes avant ou au moment de leur prise de fonction, afin de développer des pratiques favorisant le bien-être au travail des personnes qu’ils encadreront. Cette formation devra porter sur le management, la gestion et l’animation d’équipes, les leviers de la reconnaissance, la résolution de conflits et la conduite de projets. Analyse SNPI : un bon point ! Mais surprenant que l’on découvre cela en 2016
– Élaborer un volet du plan d’action pour l’attractivité de l’exercice médical à l’hôpital spécifique pour la médecine du travail. Analyse SNPI : D’une part aujourd’hui beaucoup de postes ne sont pas pourvus. D’autre part, il faudra dix ans pour un former d’autres.
– Créer au sein de chaque groupement hospitalier de territoire, des services de santé au travail pluri-professionnels. Concrètement, il s’agira a minima d’intégrer à l’équipe de santé au travail un psychologue, un assistant social et un conseiller en prévention des risques professionnels. Analyse SNPI : notre attente portait sur la création de postes d’infirmières de santé au travail, formées dans le cadre d’un master
– Engager un cycle de concertations nationales dans le cadre du dialogue social, afin de proposer des évolutions du régime indemnitaire adaptées à ces sujétions découlant notamment du travail de nuit et le dimanche. Analyse SNPI : un bon point ! Nous revendiquons depuis longtemps une juste rémunération des contraintes, comparable aux métiers du commerce et des services (qui sont payés double les dimanches et fériés), et qui ne doivent pas se contenter d’un euro par heure de nuit !
Axe II Améliorer l’environnement et les conditions de travail des professionnels au quotidien
– Intégrer systématiquement au projet d’établissement, dans la partie relative au projet social, un volet consacré à la qualité de vie au travail de l’ensemble des professionnels
– Créer au sein de chaque CME une sous-commission en charge de la qualité de vie au travail des personnels médicaux
– Généraliser l’élaboration de baromètres sociaux au sein des établissements Analyse SNPI : cela n’a d’intérêt que si l’établissement veut réellement cibler ses maigres moyens sur une attente particulière des agents. L’exemple mis en avant par le ministère est le baromètre APHP de 2014. Or en avril 2015, sortait la réforme Hirsch d’alternance en 15 jours matin/15 jours après-midi qui a fait exploser la QVT et débouché sur 15.000 manifestants et autant d’assignés pour refuser cette désorganisation vie perso/vie pro !
– Organiser chaque année au sein de l’établissement un rendez-vous dédié aux conditions et aux organisations de travail, ainsi qu’à l’amélioration de la qualité de vie au travail Analyse SNPI : au vu du dialogue social dans les établissement, c’est juste une case de plus à cocher pour les directions !
– L’ANAP, en lien avec l’observatoire national, mettra à la disposition des établissements des repères et des outils simples, facilement mobilisables, permettant d’évaluer la charge en soin. Analyse SNPI : L’ANAP, Agence Nationale d’Appui à la Performance des établissements de santé et médico-sociaux, est surtout utilisée par le ministère et les directions pour ses travaux d’accompagnement des restructurations. Il aurait été préférable de choisir l’ANACT, Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, qui travaille davantage avec les partenaires sociaux. C’est un mauvais signal envoyé aux professionnels.
– Mettre en œuvre le plan de sécurisation des établissements de santé présenté le 3 octobre 2016. Ce plan vise à renforcer la protection des établissements et de leurs personnels face aux différents types de violence, par la réalisation d’investissements et par le déploiement de formations.
– Faciliter le dépôt de plainte par les personnels en cas d’actes de malveillance ou d’agression subis dans le cadre de leur exercice professionnel. Des discussions seront conduites par les établissements dans le cadre des conventions santé-sécurité-justice afin de faciliter les relations des établissements et de leurs personnels avec les services de police et de justice, et améliorer l’information sur les suites données aux plaintes déposées. Analyse SNPI : notre revendication est que les directions doivent impérativement porter plainte, et adresser un courrier au procureur de la République En effet, en 2014, les évènements de violence signalés par les établissements ont donné lieu à seulement 2 224 dépôts de plainte, du fait d’un manque d’implication des directions (L’ONVS a comptabilisé 11.835 auteurs de violences aux personnes).
– Systématiser les réunions d’équipes de proximité afin de renforcer les liens professionnels Analyse SNPI : dans les faits, la création des pôles a mis fin aux conseils de service. Pas sur que ceux qui n’ont pas volontairement maintenu des réunions de service, y voient autre chose qu’une case de plus à cocher. Nous souhaitons un management participatif, avec un regard croisé entre médecins et soignants.
– Aider les établissements à améliorer la synchronisation des organisations de travail médicales et non médicales Analyse SNPI : un bon point ! Mais cela repose sur la bonne volonté médicale, et avait signé l’échec de l’aménagement du temps de travail lors de la mise en place des 35h. Dans la FPH, les médecins ont un statut à part, et conçoivent rarement les autres professionnels de santé comme des partenaires
– Systématisation d’un entretien annuel individuel pour chaque professionnel non médical comme médical Analyse SNPI :déjà dans la règlementation pour les personnels hospitaliers
– Concerter, au plus près des équipes, les modalités permettant d’assurer la continuité du service face à l’absentéisme impromptu de courte durée Analyse SNPI : plutôt que de l’intérim, nous sommes favorables au fait de faire appel à des volontaires préenregistrés pour faire des missions payées en heures supplémentaires dans des services qu’ils connaissent
– Encourager le développement d’une offre de services. Pour favoriser l’articulation entre vie professionnelle et vie privée des personnels, les établissements sont encouragés à développer des offres de services dédiés aux personnels sur le lieu de travail (pressing, livraisons de courses, démarches administratives, etc.).
Axe III Accompagner les professionnels au changement et améliorer la détection des risques psychosociaux
– Adopter au sein de chaque établissement une charte de l’accompagnement des professionnels en cas de restructurations
– Organiser des actions d’information et de sensibilisation des professionnels aux évolutions du système de santé
– Tirer profit de l’expérience des cadres expérimentés et des nouvelles approches managériales pour accompagner les cadres dans l’exercice de leurs responsabilités. Généraliser le co-développement, le coaching et le mentorat Analyse SNPI : un bon point !
– Systématiser les formations des faisant-fonctions de cadres et généraliser les dispositifs d’accompagnement Analyse SNPI : certains hôpitaux ont autant de FFC que de cadres, ce qui pose un véritable problème de management. D’une part du fait du manque de formation, d’autre part par le fait que leur fonction est au bon vouloir de la direction. Nous souhaitons des cadres formés et indépendants de telles pressions. La solution est de diplômer plus de cadres, pas d’améliorer la formation de ceux que la direction "tient en laisse"
– Permettre à l’encadrement de proximité de s’approprier les outils de gestion informatisée des plannings. Analyse SNPI : la difficulté de gestion des planning est liée aux effectifs insuffisants et à l’absentéisme qui découle d’une telle charge de travail. C’est insultant pour l’encadrement. Carton rouge !
– Proposer aux cadres des parcours professionnels pour la 3ème partie de carrière
– Élaborer et diffuser des outils de sensibilisation à la détection des risques psychosociaux
– Mettre en place un dispositif d’écoute, notamment téléphonique, offrant un soutien psychologique Analyse SNPI : ce numéro vert gratuit et accessible à tous 0805 23 23 36 existe déjà pour répondre à la souffrance des soignants
– Mettre en place des analyses des pratiques professionnelles et des groupes d’expression Analyse SNPI : on assiste partout à une réduction du temps de chevauchement entre équipes, et le temps passé en réunion hors temps de travail quotidien est irrégulièrement rendu.
– Signaler les suicides et les tentatives de suicide, au même titre que les évènements indésirables graves liés à des soins
Le document est en ligne sur http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/strategie_qvt_05122016.pdf