Relation soignant-soigné : affirmer nos compétences autonomes

4 décembre 2012

Intervention de Thierry Amouroux, Secrétaire Général du SNPI, à l’ouverture des Etats Généraux Infirmiers, organisés en décembre 2012 à l’initiative de trois syndicats infirmiers : le SNPI pour les infirmières salariées du privé et du public, le SNIIL pour les infirmières libérales, le SNIES pour les infirmières de l’éducation nationale.

Ces « Etats Généraux Infirmiers 2012 » ont pour thème « Affirmer nos com­pé­ten­ces auto­no­mes », car en France cela ne va pas de soi, nous devons sup­por­ter le poids de notre his­toire, coin­cés entre l’admi­nis­tra­tion et le corps médi­cal.

La pro­fes­sion infir­mière doit déjà s’affir­mer dans les établissements hos­pi­ta­liers, parce qu’elle réa­lise une démar­che de syn­thèse, indis­pen­sa­ble pour indi­vi­dua­li­ser les soins, indis­pen­sa­ble pour appré­hen­der l’homme comme une per­sonne. Déterminer les actions à entre­pren­dre, les com­por­te­ments à adop­ter, impose une vue glo­bale, qui contre­dit l’ana­lyse qui découpe et isole une fonc­tion, face à cette « tari­fi­ca­tion à l’acti­vité » et ses impi­toya­bles GHM « grou­pes homo­gè­nes de mala­des ».

L’infir­mière sala­riée doit faire face à la pres­sion ins­ti­tu­tion­nelle, qui cons­ti­tue une force réduc­trice, ame­nui­sant les rôles de l’infir­mière aux seules dimen­sions pro­duc­tive, orga­ni­sa­tion­nelle, tech­ni­que et économique, pour en faire un simple rouage d’une orga­ni­sa­tion hié­rar­chi­sée et bureau­cra­ti­sée.

La pro­fes­sion infir­mière est autant mar­quée par la sub­ti­lité, la spon­ta­néité, la créa­ti­vité et l’intui­tion, que par la science et la tech­ni­que. D’où sa dif­fi­cile reconnais­sance dans un uni­vers bio­mé­di­ca­lisé, où les prin­ci­pes de ges­tion veu­lent tout para­mé­trer pour mieux maî­tri­ser l’acti­vité.

“L’archi­tec­ture, c’est ce qui reste de l’édifice, la pierre ôtée” : la défi­ni­tion de Plotin nous montre com­bien la volonté de décom­po­ser à tout prix les soins infir­miers, est aussi absurde que de penser com­pren­dre une œuvre d’art en la décom­po­sant en ses divers éléments. La ten­ta­tion tech­ni­cienne est tou­jours de réduire le réel au mesu­ra­ble, et donc d’éliminer tout ce qui n’est pas obser­va­ble, tout le qua­li­ta­tif, en igno­rant ainsi les aspects les plus pro­fonds de la pra­ti­que infir­mière.

Société civile

Il nous faut également « Affirmer nos com­pé­ten­ces auto­no­mes » à la société. Certes, les infir­miè­res et les pom­piers sont les pro­fes­sions les plus popu­lai­res. Mais nous sommes sou­vent mal aimées. Comparons deux pro­fes­sions pro­ches, infir­mière et Kiné : même niveau d’études, même grille sala­riale. Lorsque l’on vous demande votre pro­fes­sion, dans une soirée ou ailleurs, et que vous répon­dez « infir­mière », vous avez tout de suite droit à « Oh ma pauvre, cela doit être dur, je vous plains ». Mais pas le kiné.

Lorsqu’un méde­cin de ville pres­crit un pan­se­ment, il peut détailler l’anti­sep­ti­que et la taille des com­pres­ses qu’il sou­haite. Mais il va pres­crire « x séan­ces de kiné », sans détailler ni la tech­ni­que de mas­sage, ni la crème à uti­li­ser.

Pourtant, si dans le passé l’infir­mière était une ser­vante dévouée, aujourd’hui elle se situe sur le plan de la com­plé­men­ta­rité : dans com­bien d’unités de soins les inter­nes, qui pas­sent le temps d’un semes­tre, sont-ils conseillés par des infir­miè­res pré­sen­tes depuis des années dans le ser­vice, et aux­quel­les le chef de ser­vice accorde toute sa confiance ? Chacun met au ser­vice de l’autre ses connais­san­ces, sa tech­ni­que, son art.

Milieu uni­ver­si­taire

Au vu du réfé­ren­tiel de for­ma­tion fran­çais, il est indis­pen­sa­ble d’« Affirmer nos com­pé­ten­ces auto­no­mes » au milieu uni­ver­si­taire, qui nous a refusé la créa­tion d’une filière en scien­ces infir­miè­res, lors de la der­nière réforme du diplôme. Celle ci existe pour­tant déjà depuis des décen­nies dans les autres pays de l’Union Européenne. Alors qu’en France, les scien­ces infir­miè­res se voient diluées dans d’autres dis­ci­pli­nes comme la méde­cine, la psy­cho­lo­gie, la socio­lo­gie, etc…

Mais il nous faut aussi affir­mer l’impor­tance de nos com­pé­ten­ces auto­no­mes à cer­tai­nes de nos consœurs, qui ne voient le « rôle propre infir­mier » qu’à tra­vers les soins de confort et d’hygiène. A l’hôpi­tal, “pren­dre soin” n’est guère valo­risé, et cette fonc­tion est sou­vent délé­guée à l’aide-soi­gnante.

Il est normal qu’une infir­mière débu­tante ait besoin de se ras­su­rer aux tra­vers des soins tech­ni­ques. Mais l’infir­mière fran­çaise à ten­dance à trop se consa­crer aux actes rele­vant du rôle délé­gué, voire à les consa­crer.
Il faut dire que la règle­men­ta­tion fran­çaise est basée sur un « décret d’actes », même si entre nous, nous par­lons de « décret de com­pé­ten­ces », pour éviter cette image de tâche­ronne, pardon, d’auxi­liaire médi­cale.

Modèles étrangers

En Belgique, la légis­la­tion parle d’un “art infir­mier”, et, je cite « de col­la­bo­rer à l’établissement du diag­nos­tic par le méde­cin ». Cette réfé­rence à l’art est per­ti­nente, car il se dégage des soins infir­miers un esprit d’auto­no­mie, qui imprime la marque de l’être libre, sur la vie de l’ins­ti­tu­tion hos­pi­ta­lière qui aurait ten­dance à l’écraser.

Dans les autres pays, l’infir­mière est l’acteur prin­ci­pal des soins de santé pri­maire. Elle fait moins d’actes médi­caux, mais plus de pré­ven­tion, d’accom­pa­gne­ment, d’écoute, de rela­tion d’aide, d’éducation thé­ra­peu­ti­que.

L’habi­lité tech­ni­que est un préa­la­ble indis­pen­sa­ble, car on ne peut entrer en rela­tion qu’avec quelqu’un dont on la confiance, mais la pres­ta­tion infir­mière passe aussi par une pré­sence et une écoute authen­ti­que. L’infir­mière est là pour rap­pe­ler au malade, en pyjama, allongé et affai­bli, que le fait pour elle d’être debout et dans un uni­forme blanc, ne lui retire pas sa citoyen­neté, qu’il est avant tout un être humain, reconnu comme une per­sonne, et non « l’appen­di­cite du 12 ».

L’accom­pa­gne­ment véri­ta­ble consiste à faire un bout de chemin avec le malade, c’est-à-dire aller à sa ren­contre sur le chemin qui est le sien.
Soigner, c’est refu­ser une rela­tion infan­ti­li­sante et pater­na­liste, c’est aider celui qui souf­fre à sortir de son iso­le­ment, à bâtir un projet de vie com­pa­ti­ble avec son état.

Depuis la révo­lu­tion pas­teu­rienne, et le pas­sage de la méde­cine hip­po­cra­ti­que à la méde­cine scien­ti­fi­que, la pro­fes­sion infir­mière a recouru de plus en plus à la tech­ni­que, sui­vant en cela les pro­grès de la méde­cine, et la moder­ni­sa­tion des struc­tu­res de soins. Dans le même temps, elle a su conser­ver ce qui fait sa spé­ci­fi­cité, c’est-à-dire une rela­tion humaine très pro­fonde, et de tous les ins­tants, avec les patients, liée à la per­ma­nence des soins.

Ces deux carac­té­ris­ti­ques doi­vent être main­te­nues : il ne peut être ques­tion de pri­vi­lé­gier l’une aux dépens de l’autre, sous peine, soit de retour­ner au XIXe siècle, soit de concou­rir à une déshu­ma­ni­sa­tion des soins.

Nous devons « Affirmer nos com­pé­ten­ces auto­no­mes » pour rap­pe­ler aux déci­deurs ins­ti­tu­tion­nels, que l’appro­che humaine de la rela­tion avec le patient et son entou­rage est aussi impor­tante que la tech­ni­cité crois­sante de la santé.

Intervention de Thierry Amouroux, Secrétaire Général du SNPI CFE-CGC lors de l’ouver­ture des Etats Généraux Infirmiers (Paris, 04.12.12, "Consultation, pré­ven­tion, tuto­rat... Affirmer nos com­pé­ten­ces auto­no­mes"), orga­ni­sés à l’ini­tia­tive de trois syn­di­cats infir­miers : le SNPI pour les infir­miè­res sala­riées du privé et du public, le SNIIL pour les infir­miè­res libé­ra­les, le SNIES pour les infir­miè­res de l’éducation natio­nale.

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