Infirmières reléguées, soins déshumanisés : la vision inquiétante du MEDEF

11 juillet 2025

Déficits, vieillis­se­ment de la popu­la­tion, explo­sion des mala­dies chro­ni­ques  : les cons­tats du MEDEF sur notre sys­tème de santé sont connus, par­ta­gés, et bien réels. Mais les solu­tions qu’il pro­pose relè­vent d’une logi­que pure­ment ges­tion­naire, axée sur la traque des coûts, la per­for­mance mesu­ra­ble, la numé­ri­sa­tion sys­té­ma­ti­que. Dans ce modèle, les soi­gnants sont rare­ment nommés. Et lorsqu’ils le sont, ce n’est pas pour leurs com­pé­ten­ces rela­tion­nel­les, éducatives ou pré­ven­ti­ves, mais pour leur poten­tiel à flui­di­fier les flux. Les infir­miè­res ne sont pas des angles morts  : elles sont des varia­bles d’ajus­te­ment.

Le docu­ment publié début juillet, inti­tulé «  Qua­lité et péren­nité du sys­tème de santé  : les pro­po­si­tions du MEDEF  », ne manque pas d’ambi­tion. Il se veut à la fois outil d’influence sur le pro­chain projet de loi de finan­ce­ment de la Sécurité sociale (PLFSS) et contri­bu­tion au débat public sur le pacte inter­gé­né­ra­tion­nel à venir. Les 33 % que les entre­pri­ses ver­sent au finan­ce­ment de la bran­che mala­die leur confè­re­raient, selon le mou­ve­ment patro­nal, une légi­ti­mité à orien­ter la stra­té­gie natio­nale de santé. Mais dans ce plan de trans­for­ma­tion du sys­tème, les usa­gers sont réduits à des consom­ma­teurs, les soi­gnants à des res­sour­ces humai­nes, et les infir­miers à des auxi­liai­res d’effi­ca­cité.

Le cœur du docu­ment repose sur une pro­mes­se  : réduire les défi­cits en moder­ni­sant l’offre de soins. Traduction  : six axes de réfor­mes pour tra­quer les «  re­don­dan­ces  », favo­ri­ser les pres­crip­tions «  per­ti­nen­tes  », cen­tra­li­ser les don­nées, har­mo­ni­ser les pra­ti­ques, mesu­rer les résul­tats, ratio­na­li­ser les struc­tu­res. Les mots sont posés. Ceux qui pren­nent soin, eux, sont absents.

Pas un mot sur la rela­tion de confiance, le rôle d’écoute, l’éducation thé­ra­peu­ti­que, l’accom­pa­gne­ment au long cours. Pas un mot non plus sur les condi­tions de tra­vail ou la reconnais­sance pro­fes­sion­nelle. Le soi­gnant n’est évoqué qu’à tra­vers ses indi­ca­teurs, son obser­vance des recom­man­da­tions, ou sa ren­ta­bi­lité. L’essence même du soin dis­pa­raît au profit d’une logi­que de pilo­tage. L’infir­mière n’est plus celle qui accom­pa­gne, ras­sure, observe, évalue et ajus­te  : elle devient celle qui coche des cases dans un sys­tème d’infor­ma­tion ali­menté à flux tendu.

L’infir­mière, sala­riée du méde­cin ?

La seule pro­po­si­tion concrète visant la pro­fes­sion infir­mière tient en une ligne  : auto­ri­ser les méde­cins de ville à sala­rier des infir­miers pour «  ac­croî­tre leur niveau de consul­ta­tion  ». Derrière cette for­mu­la­tion lisse, un chan­ge­ment de para­digme lourd de consé­quen­ces  : trans­for­mer l’exer­cice infir­mier en simple adju­vant de l’acti­vité médi­cale. Une infir­mière sala­riée du méde­cin, uni­que­ment sou­mise à ses pres­crip­tions, dans un cabi­net centré sur l’opti­mi­sa­tion des flux et non sur les besoins de santé de la popu­la­tion. Oubliez l’auto­no­mie pro­fes­sion­nelle, l’évaluation cli­ni­que, le diag­nos­tic infir­mier ou la co-cons­truc­tion du par­cours de soins  : il s’agi­rait d’une subor­di­na­tion pure, dans un exer­cice éclaté hors de tout cadre éthique clair.

Alors même que la loi infir­mière de juin 2025 vient de reconnaî­tre et vali­der les consul­ta­tions et le diag­nos­tic infir­mier, et d’élargir le péri­mè­tre de pres­crip­tion, ces pro­po­si­tions igno­rent tota­le­ment cette évolution. L’ambi­tion d’une pro­fes­sion à part entière est dis­soute dans le silence des lignes.

Ignorer l’exper­tise infir­mière

"Le para­doxe est frap­pant  : au moment même où l’Assurance mala­die alerte sur les dif­fi­cultés à attein­dre les patients isolés, à main­te­nir l’adhé­sion aux trai­te­ments, à pré­ve­nir les hos­pi­ta­li­sa­tions évitables, le MEDEF pro­pose un sys­tème stan­dar­disé, indus­tria­lisé, piloté par algo­rith­mes. Le numé­ri­que est pré­senté comme une solu­tion uni­ver­selle, alors même qu’il aggrave les iné­ga­li­tés d’accès et génère des impas­ses rela­tion­nel­les. Or, ce qui soigne dura­ble­ment, ce n’est pas la data. C’est le lien."

"Les infir­miè­res sont en pre­mière ligne pour tisser ce lien  : elles iden­ti­fient les fra­gi­li­tés invi­si­bles, détec­tent les signaux fai­bles, assu­rent le suivi entre deux consul­ta­tions médi­ca­les, pré­vien­nent les rup­tu­res de par­cours. Cette exper­tise ne se mesure pas en taux de rem­plis­sage de dos­sier, mais en confiance cons­truite au fil du temps. Et elle ne se délè­gue pas à une inter­face." alerte Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

Le plus préoc­cu­pant reste l’absence totale de dia­lo­gue avec les pro­fes­sion­nels. Nulle men­tion des orga­ni­sa­tions repré­sen­ta­ti­ves de la pro­fes­sion infir­mière. Aucune réfé­rence aux avan­cées de la loi ratios patient/infir­mier adop­tée en jan­vier. Rien sur la réforme du réfé­ren­tiel de for­ma­tion, ni sur le déve­lop­pe­ment des pra­ti­ques avan­cées. Ce silence en dit long sur l’appro­che portée par le docu­ment  : réfor­mer le sys­tème de santé sans ceux qui le font vivre au quo­ti­dien.

On ne réforme pas la santé comme on restruc­ture un marché. Le soin n’est pas un ser­vice parmi d’autres. Il engage une rela­tion humaine, une éthique, un temps d’atten­tion, un ancrage ter­ri­to­rial. Les infir­miers ne sont pas des agents d’exé­cu­tion  : ce sont des pro­fes­sion­nels de santé auto­no­mes, formés à ana­ly­ser, déci­der, inter­ve­nir et évaluer. Les réduire à des varia­bles d’effi­cience, c’est perdre de vue ce qui fait la qua­lité réelle des soins.

Pour un modèle fondé sur la proxi­mité et la reconnais­sance

Oui, notre sys­tème de santé doit évoluer. Mais il doit le faire en s’appuyant sur les forces vives du ter­rain. Les 640.000 infir­miers sont la pre­mière pro­fes­sion de santé en nombre. Ils sont pré­sents par­tout, du cabi­net de ville au CHU, de la mater­nité à l’EHPAD, du ser­vice de réa­ni­ma­tion au centre de vac­ci­na­tion, de la santé sco­laire à la santé au tra­vail. Ils cons­ti­tuent un levier essen­tiel pour l’accès aux soins, la pré­ven­tion, la coor­di­na­tion des par­cours, le sou­tien aux per­son­nes vul­né­ra­bles. Encore faut-il leur faire une place.

Un nou­veau pacte pour la santé ne se cons­truira pas sans eux. Il sup­pose une vision par­ta­gée, où l’effi­cience ne se fait pas au détri­ment du sens, où la per­for­mance s’allie à la confiance, où l’inno­va­tion tech­no­lo­gi­que com­plète, sans rem­pla­cer, la rela­tion humaine. Les infir­miè­res doi­vent être au cœur de cette trans­for­ma­tion. Pas en péri­phé­rie. Pas comme outils. Mais comme actri­ces du soin.

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 Selon un rap­port de France Stratégie, la sup­pres­sion de l’ISF a causé un manque à gagner de 4,5 mil­liards d’euros. Calcul effec­tué en 2023 par le Comité d’évaluation des réfor­mes de la fis­ca­lité du capi­tal, à la demande du gou­ver­ne­ment :
https://www.vie-publi­que.fr/en-bref/291443-impot-de-soli­da­rite-sur-la-for­tune-isf-le-cout-de-son-rem­pla­ce­ment
 Le PFU (flat tax) coûte 1,8 mil­liard d’euros chaque année à l’État, et pro­fite prin­ci­pa­le­ment aux couche les plus aisées, sans un effet démon­tré signi­fi­ca­tif sur la crois­sance. Ce coût a été pré­cisé dans le rap­port économique, social et finan­cier annexé aux pro­jets de loi de finan­ces (loi de finan­ces 2022 à 2024).
https://www.tresor.eco­no­mie.gouv.fr/Articles/2024/10/14/publi­ca­tion-du-rap­port-eco­no­mi­que-social-et-finan­cier-plf-pour-2025

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