Retraite et espérance de vie en bonne santé

Retraite et espérance de vie en bonne santé

28 avril 2019

L’espérance de vie en bonne santé est en France en dessous de la moyenne européenne.

Les poli­ti­ques disent sou­vent que l’on peut recu­ler l’âge de la retraite, du fait que l’on décède plus vieux. Mais l’impor­tant n’est pas le nombre d’années sup­plé­men­tai­res en EHPAD, uni­que­ment le nombre d’années à pro­fi­ter d’une retraite bien méri­tée après une qua­ran­taine d’années à tra­vailler.

Or, en France "l’espé­rance de vie en bonne santé à la nais­sance" stagne depuis 2005 :
- pour les femmes, elle est passée de 64,4 ans en 2005 à 64,1 en 2016 (de 2009 à 2012, elle était même infé­rieure à 64 ans).
- pour les hommes, elle est passée de 62,3 ans en 2005 à 62,6 ans en 2017.

Par ailleurs, "l’espé­rance de vie à la nais­sance" a effec­ti­ve­ment elle aug­men­tée, pas­sant :
- pour les femmes, de 83,8 ans en 2005 à 85,3 ans en 2017
- pour les hommes, de 76,7 ans en 2005 à 79,5 ans en 2017

Mais dans le lien de cause à effet, c’est bien parce que le temps de tra­vail a dimi­nué par semaine (39 h puis 35 heures), par an (5ème semaine de congés payés) et par vie (retraite à 60 ans), que les gens sont moins usés, et donc vivent plus long­temps. « Il ne faut pas cher­cher à rajou­ter des années à sa vie, mais plutôt essayer de rajou­ter de la vie à ses années », écrivait Oscar Wilde.

L’espé­rance de vie sans inca­pa­cité est déjà, par ailleurs, l’un des indi­ca­teurs uti­li­sés par la Commission euro­péenne et l’OCDE dans leurs tra­vaux, en lien avec la décla­ra­tion en 1997 du direc­teur géné­ral de l’OMS, le Dr Hiroshi Nakajima, selon laquelle «  sans qua­lité de la vie, une lon­gé­vité accrue ne pré­sente guère d’inté­rêt, l’espé­rance de vie en bonne santé est plus impor­tante que l’espé­rance de vie  ».

L’EVSI, "l’espé­rance de vie sans inca­pa­cité", le nombre années que l’on est censé pou­voir passer sans être limité dans la pra­ti­que de ses acti­vi­tés quo­ti­dien­nes (se dépla­cer, se nour­rir, se vêtir…) tend à aug­men­ter. Depuis 2004, les cin­quan­te­nai­res ont pres­que gagné une année et demie de vie mais, dans le même temps, leur espé­rance de vie en mau­vaise santé s’est, elle, allon­gée de deux ans !

A noter l’espé­rance de vie en bonne santé à la nais­sance, en 2016, dans les pays de l’Union euro­péenne :
- pour les femmes, de 73,3 ans en Suède, 67,1 ans en Italie, 69,7 ans en Irlande et 66,4 ans en Espagne,
- pour les hommes est de 73,0 ans en Suède, 67,5 ans en Italie, 67,3 ans en Irlande et 65,8 ans en Espagne

Source
- https://www.insee.fr/fr/sta­tis­ti­ques/3281641?som­maire=3281778#­consul­ter-som­maire

La reforme de 2010, qui a repoussé l’âge de départ à 62 ans, a eu deux consé­quen­ces :
- l’emploi des seniors s’est dégradé, et en réa­lité un grand nombre de gens se retrou­vent au chô­mage avant d’attein­dre l’âge légal de départ à la retraite
- tra­vailler plus long­temps a rendu plus de gens mala­des : les arrêts mala­die sont en hausse en grande partie parce qu’il a plus de per­son­nes âgées au tra­vail, alors que leur santé ne le permet pas.

Enfin, il faut tenir compte de la dif­fé­rence d’espé­rance de vie selon les caté­go­ries socia­les pour déter­mi­ner l’âge de la retraite. Par exem­ple, les hommes cadres vivent en moyenne six ans de plus que les hommes ouvriers. Chez les femmes, trois ans sépa­rent les cadres et les ouvriè­res.
- https://www.insee.fr/fr/sta­tis­ti­ques/1280972
- https://www.ined.fr/fr/publi­ca­tions/edi­tions/popu­la­tion-et-socie­tes/la-double-peine-des-ouvriers-plus-d-annees-d-inca­pa­cite-au-sein-d-une-vie-plus-courte/

Les iné­ga­li­tés entre milieux sociaux résul­tent d’un ensem­ble de fac­teurs. La qua­lité et l’acces­si­bi­lité du sys­tème de soins jouent un rôle secondaire par rap­port aux condi­tions et à la durée du tra­vail, l’atten­tion portée au corps, l’ali­men­ta­tion ou les modes de vie en géné­ral (consom­ma­tion d’alcool ou de tabac, pra­ti­ques à risque).

La remise en cause des pro­grès en matière de temps de tra­vail et la faible prise en compte de la péni­bi­lité dans les droits à la retraite ont un fort impact. Des pro­grès seraient pos­si­bles pour­tant, notam­ment en agis­sant sur la durée passée au tra­vail dans les pro­fes­sions les plus péni­bles.

Ainsi, le rap­port 2008 de la CNRACL (Caisse de Retraite) indi­que page 171 que l’âge moyen des femmes hos­pi­ta­liè­res pen­sion­nées décé­dées en 2008 est de seu­le­ment 78,8 ans (74,2 ans en inva­li­dité) et page 179 que la durée moyenne de ver­se­ment de la pen­sion pour les pen­sion­nés décé­dés en 2008 est de 20 ans. Arrêter un tra­vail péni­ble permet de vivre plus long­temps.

Pour le SNPI CFE-CGC, la péni­bi­lité du tra­vail infir­mier est de plu­sieurs natu­res (phy­si­que, psy­chi­que, men­tale) :
- aug­men­ta­tion de la charge de tra­vail : dimi­nu­tion de la durée moyenne de séjour, hausse de la gra­vité des cas (du fait du déve­lop­pe­ment des alter­na­ti­ves à l’hos­pi­ta­li­sa­tion, des hôpi­taux de jour, etc.), manque d’effec­tifs
- horai­res per­tur­bant la vie per­son­nelle : tra­vail de nuit, en horai­res alter­nés, en "grande équipe", repos déca­lés ou sup­pri­més, etc.
- manu­ten­tion de mala­des ou de char­ges lour­des entrai­nant lom­bal­gies et TMS
- expo­si­tion aux pro­duits toxi­ques (pro­duits de chimio, etc.)

La pres­sion psy­cho­lo­gi­que s’est aggra­vée ces der­niè­res années avec :
- la peur des agres­sions, suite à une hausse de l’agres­si­vité (par­ti­cu­liè­re­ment aux urgen­ces), et à la média­ti­sa­tion de cer­tai­nes affai­res
- un sen­ti­ment de soli­tude du fait du manque d’effec­tif
- la peur de l’erreur, liée à l’aug­men­ta­tion de la charge de tra­vail et à la fati­gue due aux heures sup­plé­men­tai­res non récu­pé­rées

Pour Thierry Amouroux, porte parole du syn­di­cat infir­mier de la CFE-CGC, « il y a une véri­ta­ble insa­tis­fac­tion au tra­vail avec la dis­tance entre ce que nous sommes, et ce que l’on nous demande de faire au quo­ti­dien. Il faut cesser de nous amener à enchaî­ner les actes de soins, au dépend du sens qui motive ces soins : l’infir­mière a besoin de penser son action, et non d’être une simple exé­cu­tante d’actes tech­ni­ques.

De plus en plus, nous quit­tons le tra­vail en nous sen­tant cou­pa­ble de ne plus pou­voir le faire comme nous aime­rions : pas assez de temps pour pren­dre soin, expli­quer un trai­te­ment, accom­pa­gner une per­sonne en fin de vie, éduquer un malade chro­ni­que, etc. L’infir­mière hos­pi­ta­lière a le sen­ti­ment d’être réduite à une tech­ni­cienne spé­cia­li­sée dans une usine à soins. »

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