Déclasser les sciences infirmières, c’est affaiblir la santé publique
16 décembre 2025
Une décision administrative peut parfois révéler une vision politique. C’est le cas du choix récent du Département de l’Éducation des États-Unis d’exclure les sciences infirmières de la définition des disciplines professionnelles ouvrant droit à certains dispositifs de financement des études supérieures.
Derrière une réforme technique des prêts étudiants, c’est une question beaucoup plus large qui se pose : quelle place accorde-t-on aux infirmières dans les systèmes de santé contemporains ?
Pour le Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI), cette orientation est à la fois incompréhensible, contre-productive et dangereuse.
Un choix à rebours des besoins réels de santé publique
Partout dans le monde, les systèmes de santé sont confrontés aux mêmes défis : vieillissement des populations, explosion des maladies chroniques, pénurie de professionnels, inégalités territoriales d’accès aux soins.
Face à ces enjeux, une constante se dégage des politiques efficaces : investir dans des infirmières hautement formées, capables d’assumer des rôles cliniques avancés, de coordonner les parcours, de faire de la prévention, de produire de la recherche et d’innover dans les pratiques.
C’est précisément ce que permettent les formations universitaires de deuxième et troisième cycles en sciences infirmières. Les exclure du champ des disciplines professionnelles, c’est envoyer un signal inverse : celui d’un recul stratégique, déconnecté des réalités du terrain et des besoins des populations.
Une décision sans fondement scientifique ni sanitaire
Aucune donnée probante ne justifie ce déclassement. Au contraire. Les infirmières en pratique avancée, les cadres cliniques, les enseignantes-chercheuses et les infirmières expertes jouent aujourd’hui un rôle central dans la qualité et la sécurité des soins, en particulier dans les zones sous-dotées en médecins.
Restreindre l’accès au financement des études supérieures, c’est :
– freiner la formation d’infirmières expertes indispensables au système,
– décourager les jeunes talents d’investir des parcours longs et exigeants,
– fragiliser la recherche infirmière et l’innovation clinique,
– aggraver une pénurie mondiale déjà documentée.
Ce choix n’est pas neutre. Il produit des effets durables sur l’offre de soins.
Des conséquences qui dépassent largement les États-Unis
La réaction du Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (SIDIIEF) souligne un point essentiel : les décisions prises par de grandes puissances académiques ont un impact bien au-delà de leurs frontières.
Dans de nombreux pays francophones, notamment en Afrique, des efforts considérables sont engagés pour universitariser la formation infirmière, structurer des licences, des masters et des filières de recherche.
Ces réformes visent un objectif clair : améliorer la qualité des soins, renforcer l’autonomie professionnelle et former des leaders de santé capables de répondre aux crises sanitaires actuelles et futures.
Remettre en cause, même indirectement, la reconnaissance académique des sciences infirmières, c’est fragiliser ces dynamiques. C’est affaiblir la crédibilité des diplômes. C’est ralentir la montée en compétences là où elle est la plus nécessaire.
Le SNPI soutient la mobilisation internationale
Le SNPI s’associe pleinement aux prises de position des organisations infirmières internationales comme le SIDIIEF qui dénoncent cette décision et appellent à sa révision, aux cotés de l’American Nurses Association (ANA). Il s’agit d’un enjeu de justice éducative, mais aussi de cohérence des politiques de santé.
"On ne peut pas, d’un côté, reconnaître la place centrale des infirmières dans l’accès aux soins, la prévention, la coordination et la réponse aux crises… et, de l’autre, limiter leur accès à une formation universitaire reconnue au plus haut niveau" dénonce Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.
La recherche en soins infirmiers : pas un luxe académique, une exigence de terrain
La recherche en soins infirmiers n’est pas une affaire de diplômes, mais de qualité des soins. Elle ne vise pas seulement à permettre à quelques infirmières d’obtenir un master ou un doctorat : elle cherche avant tout à mieux soigner, prévenir, accompagner. Chaque protocole validé, chaque amélioration de pratique issue de la recherche se traduit par moins de douleur, moins de complications, plus d’autonomie pour les patients.
Quelques exemples concrets de recherche au service du soin :
1. Prévention des chutes chez les personnes âgées hospitalisées
Des études ont montré que des interventions simples (vérification systématique de l’environnement, repérage précoce des troubles de l’équilibre, éducation du patient et de la famille) réduisent de 30 à 50 % les chutes à l’hôpital.
➡️ Résultat : moins de fractures, moins d’hospitalisations prolongées, plus de retour à domicile.
2. Soulagement de la douleur post-opératoire
Des recherches menées dans plusieurs CHU français ont démontré que l’évaluation régulière de la douleur par l’infirmière, avec adaptation du traitement antalgique, améliore significativement le confort et la récupération des patients.
➡️ Moins de complications, reprise plus rapide de la marche, satisfaction accrue.
3. Prévention des infections liées aux cathéters
Des recherches en soins ont permis d’identifier des gestes simples mais décisifs : hygiène rigoureuse des mains, changement de pansement selon protocole standardisé, surveillance clinique quotidienne.
➡️ Diminution de 50 % des infections du site de cathéter, donc moins d’antibiotiques et moins de septicémies.
La recherche en soins, ce n’est pas que de la théorie : c’est la science du concret, celle qui observe, évalue, améliore. Chaque question posée par une infirmière (“pourquoi ce pansement cicatrise mieux ?”, “comment prévenir la désorientation ?”, “qu’est-ce qui réduit la douleur ?”) devient une porte ouverte vers un soin plus juste et plus efficace. Investir dans la recherche infirmière, c’est investir dans la sécurité, la dignité et la qualité de vie des patients.
Reconnaître les sciences infirmières, c’est investir dans la santé de demain
Les sciences infirmières ne sont ni accessoires ni périphériques. Elles sont une discipline professionnelle à part entière, fondée sur des savoirs scientifiques, une expertise clinique et une responsabilité directe vis-à-vis des patients. Les affaiblir, c’est affaiblir les systèmes de santé. Les reconnaître, c’est faire un choix rationnel, éthique et tourné vers l’avenir.
Le SNPI continuera à porter ce message, aux côtés de ses partenaires internationaux, parce que former des infirmières hautement qualifiées n’est pas une dépense : c’est un investissement en santé publique.
*****************************************
Voir Exclure les sciences infirmières de la liste des disciplines professionnelles : un choix incompréhensible aux conséquences graves https://sidiief.org/enonce2025-etats-unis/