Contribution du SNPI : Projet d’arrêté “Actes et soins infirmiers”
7 décembre 2025
L’arrêté relatif aux actes infirmiers constitue un moment déterminant pour donner effet à la loi du 27 juin 2025. Cette loi a posé des missions, des responsabilités et une autonomie proportionnée fondées sur la clinique infirmière, la prévention, la coordination et l’accès direct.
Pourtant, le projet d’arrêté transmis à la concertation reste largement construit selon la logique de 2004 : liste d’actes, absence de structuration par domaines, faible visibilité de la consultation infirmière et du diagnostic infirmier, ambiguïtés persistantes sur la délégation.
Notre objectif est de garantir la sécurité des patients, la cohérence de la réforme, et un exercice infirmier lisible, responsable, fondé sur les preuves et inscrit dans les besoins de santé publique.
Architecture attendue du texte
Afin de respecter la hiérarchie loi / décret / arrêté, et de garantir la lisibilité des compétences pour les professionnels, les patients et les employeurs, nous demandons que l’arrêté soit structuré en trois blocs clairement distincts :
1. Rôle propre délégable
Actes de la vie quotidienne pouvant être réalisés par un AS/AP uniquement en contexte clinique stable, selon des conditions strictes définies dans le texte (voir infra). Les AES sont des travailleurs sociaux, ils ne peuvent être totalement assimilés aux métiers du soins AS/AP.
2. Rôle propre exclusif infirmier
Actes relevant de l’autonomie clinique de l’infirmier, incluant l’évaluation, le diagnostic infirmier, l’examen clinique, la consultation infirmière, la prévention, l’éducation thérapeutique, la surveillance complexe, la coordination du parcours.
3. Rôle sur prescription médicale
Actes techniques ou à risque nécessitant une indication médicale préalable
Cette structuration est indispensable pour assurer la cohérence réglementaire avec la loi de 2025 et avec le décret « compétences et domaines d’activité ».
Propositions par articles
Article 1 – Rôle propre délégable
Nous proposons une réécriture brève et sécurisée :
Seuls peuvent être confiés à un aide-soignant ou personnel assimilé :
• les actes de la vie quotidienne (hygiène, installation, aide à la mobilité simple),
• réalisés dans un contexte clinique stable,
• après évaluation préalable infirmière,
• avec traçabilité,
• et dans le cadre d’une surveillance clinique restant sous responsabilité infirmière.
Cette délégation est basée sur quatre principes structurants :
1. Déléguer n’est pas transférer la responsabilité
L’IDE reste responsable :
• de l’évaluation initiale,
• de l’indication de délégation,
• de la surveillance clinique,
• de la réévaluation.
2. La délégation doit être limitée aux actes de vie quotidienne
Pas de délégation pour :
• l’évaluation clinique,
• la surveillance complexe,
• la gestion des risques,
• la prise en charge de situations instables,
• tout acte de décision thérapeutique.
3. La délégation nécessite des conditions strictes
• compétence démontrée de l’AS/AP,
• traçabilité obligatoire,
• protocole local de délégation,
• présence possible de l’IDE en cas de difficulté.
4. Une délégation non encadrée fragilise
• la sécurité des patients,
• la qualité des soins,
• la responsabilité infirmière,
• la reconnaissance des compétences infirmières.
Le SNPI demande que l’arrêté l’affirme explicitement pour éviter les glissements de tâches imposés et les dérives organisationnelles qui affaiblissent les équipes. Ces principes protègent la sécurité des patients, évitent la dilution du rôle infirmier et encadrent les pratiques de délégation qui, en l’absence de garde-fous, deviennent un instrument d’économie au détriment de la qualité.
Article 2 – Rôle propre exclusif infirmier : consultation, diagnostic, prévention
Ajout des points suivants :
V. - Prévention et traitement de la plaie :
Nous soutenons :
• le bilan clinique complet,
• la série iconographique,
• la détersion,
• la compression veineuse après IPS,
• l’élaboration d’un plan personnalisé de soins,
• la possibilité de prise en charge en accès direct des plaies simples et des plaies chroniques stabilisées.
Les exclusions doivent être recentrées sur des motifs de sécurité, et non sur une vision restrictive du champ infirmier. L’objectif est d’éviter les pertes de chance, en particulier dans les zones sous-dotées.
VIII. - Education pour la santé et éducation thérapeutique :
Le SNPI demande :
– l’extension des missions de prévention à tous les âges,
– la prise en compte de la santé environnementale : qualité de l’air intérieur, exposition aux polluants, logement, conditions de travail, déterminants sociaux.
IX. - Recherche :
Conformément à la loi de 2025, aux recommandations du CNPI, et aux travaux européens et internationaux, le SNPI demande l’ajout du paragraphe suivant :
« L’infirmier peut participer à des protocoles de recherche, rédiger des protocoles de soins infirmiers, conduire des évaluations en santé publique, participer aux études cliniques, épidémiologiques et SHS, contribuer aux programmes d’amélioration des pratiques et d’innovation organisationnelle. »
X. - Consultation infirmière
Formulation proposée : « L’infirmier conduit des consultations infirmières autonomes incluant : l’examen clinique infirmier, le diagnostic infirmier, le dépistage, l’éducation thérapeutique, la prévention, l’orientation et la coordination du parcours de santé. Ces consultations peuvent être initiales, de suivi ou de réévaluation et sont accessibles en accès direct. »
Cette formulation respecte la définition formulée par l’ONI, qui est la référence pour la profession, la loi infirmière de juin 2025, les pratiques internationales (ICN, OMS), les travaux scientifiques sur la réduction des renoncements aux soins et la continuité des parcours.
Article 3 – Rôle sur prescription
Le SNPI soutient une rédaction plus précise pour :
• sécuriser les actes techniques,
• définir clairement les actes à risque,
• éliminer les ambiguïtés entre actes sur prescription et actes autonomes.
Nous restons favorables à la création d’un groupe de travail spécifique pour la mise à jour régulière de cette liste, afin de tenir compte des évolutions technologiques et des pratiques.
Le SNPI soutient l’ambition de moderniser la liste des actes infirmiers
Pour réussir, l’arrêté doit :
1. refléter fidèlement la philosophie de la loi de 2025,
2. sécuriser la pratique,
3. clarifier les responsabilités,
4. renforcer la prévention et la consultation infirmière,
5. protéger le rôle propre,
6. éviter les délégations incontrôlées,
7. ouvrir un champ cohérent pour la recherche infirmière.
Nous restons pleinement disponibles pour un travail de précision rédactionnelle avec la DGOS, afin que cet arrêté devienne l’outil qui permettra réellement aux infirmières et infirmiers d’exercer leurs missions au service des patients et de la santé publique.
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Voir également : Arrêté “Actes et soins infirmiers” : pourquoi le SNPI demande une réécriture ambitieuse
https://syndicat-infirmier.com/Arrete-Actes-et-soins-infirmiers-pourquoi-le-SNPI-demande-une-reecriture.html
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Détail des amendements proposés par le SNPI :
AMENDEMENT n°1 : Article liminaire (Architecture du texte)
Insérer, avant l’article 1, un article liminaire :
« L’arrêté distingue :
1° Les actes relevant du rôle propre délégable à un aide-soignant ou un auxiliaire de puériculture conformément à l’article R.4311-5 ;
2° Les actes du rôle propre exclusif infirmier, qui relèvent de l’autonomie clinique de l’infirmier ;
3° Les actes réalisés sur prescription médicale. »
Motivation
– Alignement indispensable sur la loi du 27 juin 2025 et le futur décret « compétences / domaines d’activité ».
– Clarification pour les établissements, les professionnels et les patients.
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AMENDEMENT n°2 : Article 1 (Rôle propre délégable) : sécurisation de la délégation
Ajouter un paragraphe final
« Les actes du présent article ne peuvent être confiés à un aide-soignant ou un auxiliaire de puériculture que :
– lorsque la situation clinique de la personne est stable,
– après évaluation préalable par l’infirmier,
– lorsque le professionnel délégué dispose de la compétence requise,
– avec traçabilité de l’acte,
– et sous la surveillance clinique de l’infirmier, qui demeure responsable de l’indication, de l’évaluation et du suivi du soin délégué. »
Motivation
– Prévention des dérives organisationnelles identifiées par tous les rapports (HAS, IGAS).
– Protection de la sécurité des patients.
– Conformité juridique avec l’art. R.4311-5.
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AMENDEMENT n°3 : Article 1 (Rôle propre délégable) : sécurisation de la surveillance
Déplacer de l’article 1, Point III. - Repérage et surveillance :
« - Surveillance de la personne ayant fait l’objet de ponction à visée diagnostique ou thérapeutique ;
– Surveillance de la personne en assistance nutritive entérale ou parentérale ;
– Surveillance de la personne sous dialyse rénale ou péritonéale ;
– Surveillance de la personne placée en milieu stérile ;
– Surveillance de la personne placée en chambre d’isolement
– Surveillance de la personne intubée ou trachéotomisée »
Pour le mettre au début du point « VII. – Surveillance » :de l’article 2
Motivation
Ces actes relèvent de l’observation clinique, et non du simple accompagnement. Ils exigent un niveau de vigilance, de compréhension des risques, de capacité d’alerte et de jugement qui s’acquiert par une formation sanitaire structurée.
Confier ces activités à un AES revient à brouiller la distinction entre accompagnement de la vie quotidienne et surveillance clinique, au mépris du cadre réglementaire actuel et des référentiels de formation. C’est précisément pour éviter ces situations que la réglementation française distingue métiers du social et métiers du sanitaire. Supprimer cette frontière sans révision préalable des référentiels de formation revient à fragiliser la qualité des soins, tout en plaçant les AES dans une position intenable et les infirmiers dans une responsabilité impossible à assumer.
Les actes de surveillance clinique ne peuvent être délégués à un AES.La liste des actes délégables doit être revue à l’aune des compétences réelles de chaque métier,
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AMENDEMENT n°4 : Article 2 (Rôle propre exclusif infirmier) : Consultation infirmière
Insérer le paragraphe « X. - Consultation infirmière «
« L’infirmier conduit des consultations infirmières autonomes incluant : l’examen clinique infirmier, le diagnostic infirmier, le dépistage, l’éducation thérapeutique, la prévention, l’orientation et la coordination du parcours de santé. Ces consultations peuvent être initiales, de suivi ou de réévaluation et sont accessibles en accès direct. »
Motivation
– La consultation infirmière figure désormais dans la loi ; elle doit figurer dans l’arrêté.
– Alignement avec les modèles OMS / ICN (nurse-led clinics).
– Réponse à l’enjeu d’accès aux soins (déserts médicaux, maladies chroniques).
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AMENDEMENT n°5 : Article 2 : Diagnostic infirmier
Ajouter dans la section I (Évaluation)
« Élaboration d’un diagnostic infirmier permettant d’identifier les réponses humaines aux problèmes de santé, d’orienter la planification des soins et de contribuer au raisonnement clinique pluridisciplinaire. »
Motivation
– Le diagnostic infirmier est explicitement mentionné dans la loi 2025 : il doit apparaître dans l’arrêté d’application.
– Nécessaire pour structurer le raisonnement clinique, la consultation et les parcours.
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AMENDEMENT n°6 : Article 2 : Prévention et santé publique
Ajouter dans la section VIII (Éducation / prévention)
« Actions de prévention primaire, secondaire et tertiaire, incluant la prévention environnementale (qualité de l’air intérieur, exposition aux polluants, conditions de logement et de travail), la promotion de la santé, la détection des situations de vulnérabilité et la réduction des renoncements aux soins. »
Motivation
– Alignement avec les missions publiques de prévention prévues par la loi (santé environnementale, prévention populationnelle).
– Mise en cohérence avec les enjeux de santé publique actuels (DREES, HAS, ANSES).
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AMENDEMENT n°7 : Article 2 : Plaies et cicatrisation
Compléter le chapitre V en ajoutant :
« L’infirmier peut, dans le cadre de l’accès direct, assurer la prise en charge initiale des plaies simples ou des plaies chroniques stabilisées, lorsqu’aucun signe de gravité ne requiert une évaluation médicale immédiate. »
Motivation
– Réduction documentée des pertes de chance (études internationales).
– Exclusions de sécurité maintenues, mais assouplies pour permettre la prise en charge rapide en zones sous-dotées.
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AMENDEMENT n°8 : Article 2 : Santé mentale / psychiatrie
Ajouter dans les sections :
– I (Évaluation) : « Repérage précoce des troubles psychiatriques, du risque suicidaire et des vulnérabilités psychosociales. »
– III (Soins) : « Participation aux engagements thérapeutiques et aux prises en charge psychosociales. »
Motivation
– Alignement avec la loi 2025.
– Mise en cohérence avec la pratique réelle (psychiatrie, pédopsychiatrie, CMP, services fermés).
– Nous demandons :
• la réintégration des actes de médiation,
• la reconnaissance de la surveillance clinique complexe,
• la participation aux engagements thérapeutiques,
• la place de l’infirmier dans la prévention du suicide et le repérage précoce.
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AMENDEMENT n°9 : Ajouter à l’Article 2, au point IX. - Recherche
Rédaction proposée
« L’infirmier peut participer à la recherche clinique, épidémiologique, en sciences humaines et sociales, et à l’évaluation des pratiques professionnelles. Il peut rédiger et mettre en œuvre des protocoles de soins infirmiers, participer à la collecte de données, à l’analyse et à la diffusion des connaissances. »
Motivation
– La loi a inscrit la mission de recherche : l’arrêté doit la concrétiser.
– Soutient les PHRIP, l’enseignement et la formation initiale.
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AMENDEMENT n°10 : Ajouter à l’Article 3, un point V transports sanitaires urgents
À la fin du texte, ajouter :
« V Transports sanitaires urgents
– Transports sanitaires urgents paramédicalisés du lieu de la détresse vers un établissement de santé effectués dans le cadre de l’aide médicale urgente
– Transports sanitaires urgents paramédicalisés entre établissements de soins ».
Motivation
– 224 479 interventions de secours ont été paramédicalisées par un ISP pour l’année 2024.
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AMENDEMENT n°11 : Article 6 (cohérence générale)
À la fin du texte, ajouter :
« Le présent arrêté est mis à jour régulièrement afin de tenir compte des évolutions scientifiques, technologiques et organisationnelles du système de santé. »
Motivation
– Permet d’éviter qu’un texte figé en 2025 devienne obsolète comme celui de 2004.