Arrêté “Actes et soins infirmiers” : pourquoi le SNPI demande une réécriture ambitieuse
7 décembre 2025
Le projet d’arrêté définissant les actes infirmiers devait permettre de mettre enfin en cohérence la pratique avec la loi infirmière de juin 2025. Il devait reconnaître l’autonomie clinique, sécuriser la délégation, structurer le rôle propre, donner corps à la consultation infirmière et rendre lisibles les compétences pour les patients comme pour les équipes. Mais le texte "fixant la liste des actes et soins pouvant être réalisés par les infirmiers diplômés d’Etat" transmis à la concertation reste largement ancré dans l’esprit de 2004. Une liste d’actes, sans mise en perspective avec les transformations du système de santé.
Face à cette situation, lors de son Congrès National de décembre 2025, le SNPI a présenté une contribution complète et structurée. Avec une exigence simple : faire en sorte que la loi devienne réalité, et que l’arrêté soit un outil de sécurité, de cohérence et d’accès aux soins.
Un texte encore trop éloigné de l’esprit de la loi 2025
La loi du 27 juin 2025 a posé des bases solides : missions explicites, raison d’être sanitaire, autonomie proportionnée, diagnostic infirmier, consultation infirmière, prévention populationnelle, accès direct.
En septembre 2025, le Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI CFE-CGC) avait déjà alerté sur la première version du projet de décret relatif aux activités et compétences infirmières. Un texte pourtant censé appliquer la loi du 27 juin 2025, mais qui en modifiait profondément l’esprit.
• Accès direct absent : alors que la loi ouvrait explicitement un recours direct aux infirmières, le projet n’en faisait plus mention.
• Orientation vidée de sa substance : la capacité d’aiguillage clinique des patients devenait une simple « coordination ».
• Soins relationnels invisibles : évoqués sans définition, malgré l’engagement du gouvernement de les préciser dans le décret.
• Prescription infirmière restreinte : limitée au « domaine des soins infirmiers », au risque de réduire l’autonomie professionnelle.
https://syndicat-infirmier.com/Decret-infirmier-le-SNPI-alerte-sur-la-denaturation-de-la-loi-et-saisit-les.html
Heureusement, la réaction rapide des organisations infirmières et de plusieurs parlementaires a permis à la DGOS de revoir sa copie : une seconde version, bien plus conforme à la loi et aux attentes des patients, a été réécrite et soumise aux instances. Ce texte est aujourd’hui entre les mains du Conseil d’État, avec l’espoir d’une publication d’ici la fin de l’année 2025.
C’est dans ce contexte que nous examinons le nouveau projet d’arrêté fixant la liste des actes et soins pouvant être réalisés par les infirmiers. Et l’impression de décalage revient : les besoins du terrain, l’esprit de la loi et les ambitions professionnelles semblent à nouveau s’éloigner de la proposition soumise à concertation. D’autant que nous attendons toujours le projet d’arrêté sur la prescription infirmière, indispensable pour évaluer la cohérence de l’ensemble. Analyser les textes séparément, sans vision d’ensemble, complique l’exercice et risque de fragiliser la mise en œuvre de la réforme.
Or, le projet d’arrêté ignore une partie de cette architecture.
Nous retrouvons une logique descendante, centrée sur des actes morcelés, sans structuration par domaines ni reconnaissance claire du rôle propre exclusif infirmier. La consultation infirmière, pourtant inscrite dans la loi, n’apparaît nulle part. Le diagnostic infirmier est absent. La prévention est minimale. La délégation est floue.
Ce décalage n’est pas un détail administratif. C’est un risque : celui de produire un texte qui affaiblit la réforme au lieu de l’appliquer. Certes, les 140.000 infirmières et infirmiers libéraux ont besoin d’une liste d’actes précise, indispensable pour négocier leur nomenclature avec l’Assurance maladie. C’est légitime, et c’est un outil nécessaire pour structurer la rémunération à l’acte.
Mais ce projet d’arrêté s’applique à l’ensemble des 640.000 infirmières généralistes, dont près de 500.000 exercent comme salariées : à l’hôpital, en clinique, en EHPAD, en médico-social, en santé scolaire, en santé au travail, en PMI, en prévention. La pratique professionnelle ne se réduit pas à une nomenclature d’actes : elle repose sur des missions, une autonomie clinique, une responsabilité propre, un raisonnement, un diagnostic et une capacité d’évaluation continue des situations.
L’écart est donc profond entre l’ambition d’une profession autonome et responsable, telle que définie par la loi, et une liste d’actes qui reflète davantage une logique de facturation qu’une logique de soins. Tant que l’arrêté reste structuré comme un inventaire technique, il ne peut traduire ni la richesse, ni la responsabilité, ni la complexité du métier infirmier. C’est tout l’enjeu de notre contribution : remettre de la cohérence là où, pour l’instant, le texte fragmente.
Trois blocs essentiels pour comprendre l’exercice infirmier
Le SNPI demande une architecture claire, lisible et conforme au droit :
– Le rôle propre délégable, limité aux actes de la vie quotidienne, réalisables par un aide-soignant formé, en situation stable, sous responsabilité clinique infirmière.
– Le rôle propre exclusif infirmier, qui rassemble ce que l’infirmier fait en autonomie : évaluation, diagnostic, consultation, prévention, éducation, surveillance complexe, coordination.
– Les actes sur prescription, qui relèvent d’une indication médicale.
Sans cette distinction, les glissements de tâches se multiplient, la responsabilité se brouille, la sécurité s’affaiblit.
Protéger la surveillance clinique : un enjeu vital pour les patients
L’un des points les plus préoccupants du projet concerne la délégation de la surveillance clinique. Le texte propose de confier à un accompagnant éducatif et social (AES) des actes tels que :
"- Surveillance de la personne ayant fait l’objet de ponction à visée diagnostique ou thérapeutique ;
– Surveillance de la personne en assistance nutritive entérale ou parentérale ;
– Surveillance de la personne sous dialyse rénale ou péritonéale ;
– Surveillance de la personne placée en milieu stérile ;
– Surveillance de la personne placée en chambre d’isolement
– Surveillance de la personne intubée ou trachéotomisée »
(article 1, point III. - Repérage et surveillance)
Confier cela à un professionnel du social est impossible. Non par corporatisme, mais parce qu’il s’agit d’actes nécessitant une vigilance clinique, une capacité d’alerte, une compréhension fine du risque. Le SNPI a donc demandé que ces actes soient retirés du rôle propre délégable et replacés dans le rôle propre exclusif infirmier, pour protéger les patients comme les professionnels.
Ces actes relèvent de l’observation clinique, et non du simple accompagnement. Ils exigent un niveau de vigilance, de compréhension des risques, de capacité d’alerte et de jugement qui s’acquiert par une formation sanitaire structurée.
https://syndicat-infirmier.com/Quelle-partie-du-role-propre-infirmier-peut-etre-confiee-a-une-aide-soignante.html
Confier ces activités à un AES revient à brouiller la distinction entre accompagnement de la vie quotidienne et surveillance clinique, au mépris du cadre réglementaire actuel et des référentiels de formation. C’est précisément pour éviter ces situations que la réglementation française distingue métiers du social et métiers du sanitaire. Supprimer cette frontière sans révision préalable des référentiels de formation revient à fragiliser la qualité des soins, tout en plaçant les AES dans une position intenable et les infirmiers dans une responsabilité impossible à assumer.
Prévention, santé environnementale, plaies : sortir enfin de l’angle mort
Le SNPI propose de renforcer trois volets essentiels :
– La prévention à tous les âges, y compris la santé environnementale (air intérieur, pollution, logement, travail).
https://syndicat-infirmier.com/Competences-infirmieres-et-sante-environnementale.html
– La prise en charge des plaies en accès direct, pour éviter les retards de soins et diminuer les hospitalisations évitables.
https://syndicat-infirmier.com/Plaies-et-cicatrisation-une-expertise-infirmiere-meconnue-par-la-reglementation.html
– La recherche infirmière, mission inscrite dans la loi, encore absente du projet DGOS.
https://syndicat-infirmier.com/Donnees-probantes-et-lien-de-confiance-l-art-infirmier-de-la-decision-partagee.html
Ces apports mettent l’arrêté au diapason des pratiques actuelles et des standards internationaux (OMS, OCDE, ICN).
https://syndicat-infirmier.com/Loi-infirmiere-2025-missions-competences-actes-responsabilites.html
Un arrêté qui doit devenir un outil, pas un obstacle aux soins
Le SNPI défend une position simple : un texte clair protège mieux les patients, les infirmières et l’ensemble du système de santé. Pour que cette réforme réussisse, l’arrêté doit : refléter l’ambition de la loi, sécuriser la pratique, clarifier les responsabilités, organiser la prévention, affirmer la consultation infirmière, encadrer strictement la délégation, et surtout fluidifier les parcours de soins, pour faciliter la vie des patients.
Le SNPI reste pleinement disponible pour un travail de précision rédactionnelle avec la DGOS. Un arrêté bien construit permettra enfin aux infirmières d’exercer pleinement ce que la loi reconnaît : un rôle clinique, autonome, responsable, au service de l’accès aux soins et de la santé publique.
Voir : Contribution du SNPI : Projet d’arrêté “Actes et soins infirmiers”
https://syndicat-infirmier.com/Contribution-du-SNPI-Projet-d-arrete-Actes-et-soins-infirmiers-3474.html