Des vies suspendues à une pendule, c’est la réalité à l’hôpital

Des vies suspendues à une pendule, c’est la réalité à l’hôpital

17 août 2024

127 patients âgés de plus de 75 ans qui ont passé en moyenne plus de 23h sur un brancard aux urgences entre le 10 juillet et le 7 août 2024

Les murs de l’hôpi­tal de Brest ne racontent plus seu­le­ment des his­toi­res de gué­ri­son. Un mur en par­ti­cu­lier attire l’atten­tion, celui que le per­son­nel appelle désor­mais "le mur de la honte". Oui, mais pour­quoi un hôpi­tal, lieu de soin et d’espoir, érige-t-il un tel monu­ment ? Ce mur expose les temps d’attente inter­mi­na­bles des patients, révé­lant une réa­lité crue : les heures inter­mi­na­bles avant qu’un méde­cin ne puisse les voir. Face à cette situa­tion, le per­son­nel hos­pi­ta­lier a décidé de ne plus se taire.

Le cons­tat est impla­ca­ble : cette "mal­trai­tance ins­ti­tu­tion­nelle", née des plans d’économies qui lami­nent l’hôpi­tal public, ne connaît aucune dis­cri­mi­na­tion. Tous les patients, qu’ils soient jeunes ou vieux, forts ou vul­né­ra­bles, se trou­vent pris au piège de délais de prise en charge tou­jours plus longs. Mais la "perte de chan­ces" frappe avec une vio­lence par­ti­cu­lière les plus âgés et les plus fra­gi­les. Une étude menée en 2023 par l’AP-HP, l’Inserm et plu­sieurs uni­ver­si­tés a révélé un chif­fre ter­ri­fiant : pour un patient âgé, passer une nuit sur un bran­card aug­mente de 40% le risque de mor­ta­lité. Un pour­cen­tage qui, loin de repré­sen­ter une simple sta­tis­ti­que, tra­duit une réa­lité tra­gi­que. Derrière chaque chif­fre se cache une vie, un nom, une his­toire bru­ta­le­ment inter­rom­pue ou mar­quée à jamais par une attente inter­mi­na­ble.

Les affi­ches qui cou­vrent ce mur sont plus que des plain­tes silen­cieu­ses. Elles sont les cris d’alerte d’un per­son­nel soi­gnant à bout de souf­fle, épuisé de voir leur enga­ge­ment se diluer dans des tâches admi­nis­tra­ti­ves infi­nies et une orga­ni­sa­tion déshu­ma­ni­sante. Les infir­miers, les aides-soi­gnants, les méde­cins, tous ceux qui autre­fois voyaient dans leur métier une mis­sion, une raison d’être, se trou­vent aujourd’hui en proie à un pro­fond malaise. "On ne soigne plus, on survit," confie amè­re­ment une infir­mière. Ce sen­ti­ment de perte de sens, ce fossé qui se creuse entre le ser­ment d’Hippocrate et la réa­lité du quo­ti­dien, est la source d’une détresse morale de plus en plus pal­pa­ble.

Au-delà de l’atteinte aux patients, ce sys­tème gan­gréné par l’aus­té­rité conduit également à une véri­ta­ble déshu­ma­ni­sa­tion des soins. Les soi­gnants, autre­fois en pre­mière ligne pour appor­ter réconfort et sou­tien, se retrou­vent faute de temps désor­mais relé­gués au rang de sim­ples exé­cu­tants, contraints d’appli­quer des pro­to­co­les rigi­des qui lais­sent peu de place à l’empa­thie. Ce mur est un miroir défor­mant de notre sys­tème de santé, où l’humain est réduit à un numéro, un dos­sier parmi tant d’autres. Cette perte de repè­res pro­fes­sion­nels, où les valeurs du soin se heur­tent à une logi­que de ren­ta­bi­lité, pousse nombre de soi­gnants à remet­tre en ques­tion leur enga­ge­ment déplore Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

Le mur de Brest, loin d’être un simple sym­bole de pro­tes­ta­tion, devient ainsi le reflet d’une crise bien plus pro­fonde qui secoue l’ensem­ble de l’hôpi­tal public en France. Une crise où l’on sacri­fie la qua­lité des soins, non par incom­pé­tence ou négli­gence, mais par manque de moyens et de volonté poli­ti­que. Comment accep­ter que dans la sixième puis­sance mon­diale, des citoyens voient leurs vies rac­cour­cies ou com­pro­mi­ses par un sys­tème qui peine à leur offrir les soins les plus basi­ques ? Un pays qui se targue de son sys­tème de santé uni­ver­sel, mais qui, dans les faits, laisse ses hôpi­taux s’enfon­cer dans une situa­tion indi­gne.

Loin des dis­cours offi­ciels et des pro­mes­ses non tenues, la réa­lité est bru­tale. Les plans d’économies suc­ces­sifs ont conduit à une dégra­da­tion des condi­tions de tra­vail des soi­gnants, et, par rico­chet, des condi­tions de prise en charge des patients. Les délais d’attente avant la réa­li­sa­tion d’exa­mens com­plé­men­tai­res ou l’admis­sion dans cer­tains ser­vi­ces sont catas­tro­phi­ques. Dans ce contexte, la France est-elle encore en mesure d’assu­rer à chacun un accès équitable à des soins de qua­lité ? La réponse se trouve peut-être ins­crite sur les murs de cet hôpi­tal de Brest, où le per­son­nel ne peut que cons­ta­ter, impuis­sant, les rava­ges d’un sys­tème à bout de souf­fle.

L’his­toire de cet hôpi­tal, qui pour­rait être celle de tant d’autres établissements en France, met en lumière une réa­lité que beau­coup pré­fè­rent igno­rer. En s’atta­quant à l’hôpi­tal public, c’est à l’ensem­ble de la société que ces poli­ti­ques d’aus­té­rité por­tent atteinte. Car c’est bien toute une popu­la­tion qui se voit sacri­fiée, privée de ses droits les plus élémentaires, au nom d’une logi­que économique qui déshu­ma­nise les soins.

Et pour­tant, les témoi­gna­ges affluent, révé­lant une souf­france quo­ti­dienne que rien ne semble pou­voir atté­nuer. "On ne compte plus les nuits pas­sées à courir dans les cou­loirs, à essayer de faire au mieux avec ce qu’on a, mais ce n’est jamais suf­fi­sant," déplore un soi­gnant. Ce sen­ti­ment d’impuis­sance, face à une machine admi­nis­tra­tive qui broie aussi bien les patients que ceux qui sont censés les soi­gner, ali­mente une colère sourde qui gran­dit chaque jour un peu plus.

Face à cette situa­tion, une ques­tion brûle les lèvres : com­bien de temps encore la France pourra-t-elle fermer les yeux sur cette réa­lité insou­te­na­ble ? Combien de vies devront encore être mises en danger avant que des mesu­res concrè­tes ne soient prises pour redres­ser la barre ? Le mur de Brest, avec ses affi­ches poi­gnan­tes, n’est pas seu­le­ment un cri d’alarme, c’est un appel à la cons­cience col­lec­tive, un rappel que der­rière chaque chif­fre, chaque sta­tis­ti­que, il y a des vies en jeu dénonce Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

Alors que faire pour que le temps, cet ennemi silen­cieux, cesse de hanter les cou­loirs de nos hôpi­taux ? Que doit-on entre­pren­dre pour que ce mur de la honte ne soit plus néces­saire, pour que les patients retrou­vent l’espoir de se faire soi­gner dans des délais rai­son­na­bles, pour que les soi­gnants puis­sent retrou­ver le sens de leur mis­sion ?

Peut-on vrai­ment se per­met­tre de conti­nuer ainsi, en sacri­fiant la santé de la popu­la­tion pour des rai­sons économiques, dans un pays qui se veut un modèle de jus­tice sociale et d’égalité ? Les répon­ses à ces ques­tions déter­mi­ne­ront l’avenir de notre sys­tème de santé, et par consé­quent, celui de mil­lions de vies.

Face à cette situa­tion dra­ma­ti­que, le syn­di­cat des infir­miè­res SNPI appelle à un véri­ta­ble Plan Marshall pour l’hôpi­tal, en 4 points :
https://www.infir­miers.com/pro­fes­sion-ide/actua­lite-sociale/face-la-crise-de-lho­pi­tal-les-infir­miers-atten­dent-un-vrai-plan-mar­shall

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Voir également
 https://www.infir­miers.com/pro­fes­sion-ide/actua­lite-sociale/lho­pi­tal-et-des-vies-sacri­fies-par-manque-de-moyens-denonce-le-snpi
 https://www.lefi­garo.fr/social/au-centre-hos­pi­ta­lier-de-brest-un-mur-de-la-honte-denonce-les-temps-d-attente-a-ral­longe-des-patients-20240816
 https://fran­ce3-regions.fran­cet­vinfo.fr/bre­ta­gne/finis­tere/brest/10-20-ou-30-heures-d-attente-des-syn­di­ca­lis­tes-denon­cent-les-condi­tions-d-accueil-aux-urgen­ces-de-brest-sur-un-mur-de-la-honte-3018074.html
 https://www.bfmtv.com/societe/urgen­ces-de-brest-un-mur-de-la-honte-pour-aler­ter-sur-des-delais-de-prise-en-charge-exces­sifs_AN-202408140173.html
 https://www.lete­le­gramme.fr/finis­tere/brest-29200/un-mur-de-la-honte-dresse-aux-urgen­ces-de-brest-pour-denon­cer-les-condi­tions-dhos­pi­ta­li­sa­tion-video-6642888.php
 https://www.infir­miers.com/pro­fes­sion-ide/actua­lite-sociale/urgen­ces-une-cin­quan­taine-dho­pi­taux-sous-ten­sion-indi­que-fre­de­ric-val­le­toux
 https://www.lin­ke­din.com/posts/thierry-amou­roux-16482937_com­ment-accep­ter-que-dans-la-sixi%C3%A8me-puis­sance-acti­vity-7230606632785760256-OQso?utm_source=share&utm_medium=member_desk­top
 https://x.com/infir­mierSNPI/status/1824850636745413100

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