Effets des horaires atypiques sur la santé des soignants

Effets des horaires atypiques sur la santé des soignants

12 mai 2024

Alors que la nature du tra­vail infir­mier exige sou­vent des horai­res irré­gu­liers, de nuit et en rota­tion (alter­nance matin, après-midi, nuit), il est impor­tant de com­pren­dre les consé­quen­ces que ces horai­res aty­pi­ques peu­vent avoir sur la santé phy­si­que et men­tale et sur le bien-être des infir­miè­res.

Le simple fait de veiller quel­­ques nuits par an ne pré­­sente pas de ris­­ques par­­ti­­cu­­liers et cer­­tai­­nes per­­son­­nes sup­­por­­tent même assez long­­temps des horai­­res aty­­pi­­ques. Si l’adap­­ta­­tion du soi­gnant à ces contrain­­tes horai­­res est pos­­si­­ble, le tra­­vail pro­­longé de nuit pré­­sente, tou­­te­­fois, des ris­­ques pour la santé des sala­­riés et entraîne des per­­tur­­ba­­tions de la vie sociale et fami­­liale.

À terme, ces condi­­tions de tra­­vail pro­­dui­­sent néan­­moins des effets indé­­nia­­bles sur la santé, sans qu’il soit pos­­si­­ble de fixer avec pré­­ci­­sion un seuil limite d’expo­­si­­tion (5, 10 ou 15 ans) au-delà duquel les effets nocifs appa­­rais­­sent de manière cer­­taine, de nom­­breux para­­mè­­tres (condi­­tions de tra­­vail, tâche effec­­tuée, mode de vie, âge, ancien­­neté) venant aggra­­ver ou atté­­nuer les consé­­quen­­ces de l’expo­­si­­tion aux horai­­res de nuit.

Une abon­­dante lit­­té­­ra­­ture épidémiologique démon­­tre l’impact néga­­tif à plus ou moins long terme du tra­­vail de nuit sur la santé.

Troubles du sommeil : L’un des effets les plus évidents des horai­res aty­pi­ques est la per­tur­ba­tion des ryth­mes cir­ca­diens natu­rels, ce qui peut entraî­ner des trou­bles du som­meil tels que l’insom­nie et la som­no­lence exces­sive. Les prin­­ci­­paux effets sont les trou­­bles du som­­meil liés à des fac­­teurs chro­­no­­bio­­lo­­gi­­ques, et une dette chro­­ni­­que de som­­meil. Le som­­meil diurne est moins répa­­ra­­teur car plus court, per­­turbé par les éléments exté­­rieurs, mor­­celé et carac­­té­­risé par l’absence de som­­meil para­­doxal. Les infir­miè­res qui tra­vaillent de nuit sont par­ti­cu­liè­re­ment vul­né­ra­bles à ces pro­blè­mes, car leur hor­loge bio­lo­gi­que est sou­vent per­tur­bée par le déca­lage entre les heures de tra­vail et les cycles de som­meil natu­rels.

Fatigue chro­ni­que : La fati­gue chro­ni­que est une autre consé­quence fré­quente des horai­res aty­pi­ques. Le manque de som­meil régu­lier et répa­ra­teur peut entraî­ner une fati­gue per­sis­tante, affec­tant la concen­tra­tion, la vigi­lance et la capa­cité à pren­dre des déci­sions cri­ti­ques lors de la pres­ta­tion des soins de santé. Cette fati­gue peut également avoir un impact sur la sécu­rité des patients, aug­men­tant le risque d’erreurs médi­ca­les.

Problèmes de santé phy­si­que : Les horai­res irré­gu­liers peu­vent également avoir des réper­cus­sions sur la santé phy­si­que des infir­miè­res. Des études ont montré une cor­ré­la­tion entre les horai­res de tra­vail aty­pi­ques et des pro­blè­mes gastro-intes­ti­naux tels que des maux d’esto­mac, des trou­bles diges­tifs et des pro­blè­mes de poids. En effet, le tra­­vail de nuit entraîne un désé­­qui­­li­­bre nutri­­tion­­nel des sala­­riés de nuit et des trou­­bles diges­­tifs, résul­­tant non seu­­le­­ment d’un fac­­teur com­­por­­te­­men­­tal ali­­men­­taire (ali­­men­­ta­­tion pauvre en fibres, plats indus­­triels, consom­­ma­­tion exces­­sive de thé et de café notam­­ment), mais aussi de fac­­teurs chro­­no­­bio­­lo­­gi­­ques.

Problèmes de santé car­dio­vas­cu­laire : Les tra­vailleurs en horai­res de nuit ou en rota­tion sont plus sus­cep­ti­bles de déve­lop­per des pro­blè­mes de santé car­dio­vas­cu­laire, tels que l’hyper­ten­sion arté­rielle, les mala­dies car­dia­ques et les acci­dents vas­cu­lai­res céré­braux. Les ris­­ques car­­dio­­vas­­cu­­lai­­res sont accrus, le tra­­vail de nuit favo­­ri­­sant cer­­tains fac­­teurs néfas­­tes, direc­­te­­ment (stress secondaire à la dette de som­­meil ou au sen­­ti­­ment d’iso­­le­­ment, par exem­­ple) ou indi­­rec­­te­­ment (hyper­­­ten­­sion arté­­rielle, trou­­bles du rythme car­­dia­­que, sur­­poids, taba­­gisme).

Risque de can­cers : diver­­ses études, dont celle du Centre inter­­na­­tio­­nal de recher­­che sur le cancer (CIRC) dépen­­dant de l’OMS, font un lien entre le tra­­vail de nuit posté et la pro­­ba­­bi­­lité de can­­cers (notam­­ment cancer du sein et cancer colo­­rec­­tal), en raison de la per­­tur­­ba­­tion des ryth­­mes cir­­ca­­diens et de l’affai­­blis­­se­­ment des défen­­ses immu­­ni­­tai­­res résul­­tant d’une insuf­­fi­­sance de la méla­­to­­nine, du fait de l’expo­­si­­tion noc­­turne à la lumière. Les femmes se trou­­vent expo­­sées à des ris­­ques spé­­ci­­fi­­ques liés à la gros­­sesse, un lien étant établi avec retard de crois­­sance intra-utérin, pré­­ma­­tu­­rité et risque de faus­­ses cou­­ches.

Stress et trou­bles men­taux : Les horai­res aty­pi­ques peu­vent également être une source de stress et d’anxiété pour les infir­miè­res. La dif­fi­culté à conci­lier le tra­vail avec la vie per­son­nelle, ainsi que l’incer­ti­tude quant à l’heure et à la durée des horai­res de tra­vail, peu­vent entraî­ner un stress accru. Certains tra­vaux sug­gè­rent même que les horai­res de tra­vail irré­gu­liers peu­vent aug­men­ter le risque de trou­bles de l’humeur tels que la dépres­sion et l’anxiété.

Impact sur la vie sociale : En plus des effets sur la santé phy­si­que et men­tale, les horai­res aty­pi­ques peu­vent également avoir un impact sur la vie sociale et fami­liale des infir­miè­res. Les horai­res irré­gu­liers ren­dent sou­vent dif­fi­cile la par­ti­ci­pa­tion à des événements sociaux ou fami­liaux, et limi­tent le temps passé avec les pro­ches. Le dépha­­sage est en effet impor­­tant par rap­­port aux ryth­­mes géné­­raux de la vie sociale, et par­­ti­­cu­­liè­­re­­ment aux ryth­­mes sco­­lai­­res. À la longue, les dis­­cor­­dan­­ces des emplois du temps ten­­dent à s’accom­­pa­­gner d’une alté­­ra­­tion de la qua­­lité des rela­­tions fami­­lia­­les et socia­­les. Cela peut entraî­ner un sen­ti­ment d’iso­le­ment et de déconnexion sociale, ce qui peut aggra­ver les pro­blè­mes de santé men­tale.

Usure pré­ma­tu­rée : Plus glo­­ba­­le­­ment, le tra­­vail de nuit est à l’ori­­gine d’une sur-fati­­gue, pro­­vo­­quant à long terme une usure pré­­ma­­tu­­rée de l’orga­­nisme et une dégra­­da­­tion accu­­sée de l’état de santé. Les effets irré­­ver­­si­­bles et inca­­pa­­ci­­tants du tra­­vail de nuit peu­­vent se faire sentir au-delà de la vie pro­­fes­­sion­­nelle.

En conclu­sion, les horai­res aty­pi­ques repré­sen­tent un défi majeur pour la santé et le bien-être des infir­miè­res. Pour le Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI, il est essen­tiel que les employeurs du sec­teur de la santé met­tent en place des poli­ti­ques et des pra­ti­ques de ges­tion du per­son­nel qui pren­nent en compte les besoins des infir­miè­res en matière d’horai­res de tra­vail. En four­nis­sant un sou­tien adé­quat, en pro­po­sant des horai­res de tra­vail plus sta­bles et en offrant des res­sour­ces pour aider les infir­miè­res à gérer le stress et la fati­gue, nous pou­vons contri­buer à amé­lio­rer la qua­lité de vie des pro­fes­sion­nels de santé qui consa­crent leur vie à pren­dre soin des autres.

Voir également :
- Une infir­mière mosel­lane qui a tra­vaillé de nuit à l’hôpi­tal pen­dant vingt-huit ans a obtenu la reconnais­sance de son cancer du sein comme mala­die pro­fes­sion­nelle
https://www.lemonde.fr/eco­no­mie/arti­cle/2023/03/29/le-tra­vail-de-nuit-reconnu-pour-la-pre­miere-fois-comme-un-fac­teur-du-cancer-du-sein_6167481_3234.html
- HAS iden­ti­fi­ca­tion des femmes à haut risque
https://www.has-sante.fr/upload/docs/appli­ca­tion/pdf/2014-05/depis­tage_du_cancer_du_sein_chez_les_femmes_a_haut_risque_volet_1_vf.pdf

*** Focus sur les per­­tur­­ba­­tions de la vie sociale et fami­­liale ***

Les sala­­riés tra­­vaillant la nuit ren­­contrent également des dif­­fi­­cultés à gérer les déca­­la­­ges entre vie pro­­fes­­sion­­nelle et vie per­­son­­nelle et fami­­liale. L’arti­­cu­­la­­tion entre tra­­vail et vie per­­son­­nelle est rendue plus dif­­fi­­cile en raison de la dis­­cor­­dance entre ces horai­­res et les moments de dis­­po­­ni­­bi­­lité requis pour par­­ta­­ger ses acti­­vi­­tés hors tra­­vail avec la famille et les amis.

Le déve­­lop­­pe­­ment des horai­­res de tra­­vail aty­­pi­­ques en géné­­ral, et du tra­­vail de nuit en par­­ti­­cu­­lier, accroît les dif­­fi­­cultés d’une vie de famille équilibrée. Peu de struc­­tu­­res col­­lec­­ti­­ves d’accueil de jeunes enfants ont une ampli­­tude d’ouver­­ture suf­­fi­­sante pour répon­­dre aux atten­­tes de ces famil­­les et les modes de garde indi­­vi­­duels sont bien plus oné­­reux.

Par ailleurs, le pro­­blème se pose de la récu­­pé­­ra­­tion phy­­si­­que dans une jour­­née mar­­quée par l’atten­­tion portée aux enfants, et les horai­­res sco­­lai­­res le cas échéant, et par les char­­ges domes­­ti­­ques, prin­­ci­­pa­­le­­ment dans le cas de famil­­les mono­­pa­­ren­­ta­­les, les femmes étant plus par­­ti­­cu­­liè­­re­­ment confron­­tées à un cumul de contrain­­tes.

La ques­­tion des trans­­ports repré­­sente également une dif­­fi­­culté encore plus pré­­gnante pour les soi­gnants de nuit sou­­vent contraints à uti­­li­­ser leur véhi­­cule per­­son­­nel, avec un risque accru d’acci­­dents, du fait du manque de vigi­­lance induit par la fati­­gue à la sortie de leur poste de tra­­vail.

*** Démarche de pré­ven­tion pour tout sala­rié de nuit ***

Actions tech­ni­ques
- amé­na­ge­ment du poste afin de réduire la fati­gue (ergo­no­mie, confort…)
- amé­na­ge­ment d’un local de repos,
- amé­na­ge­ment d’un local adapté pour la prise de repas chauds,
- pré­voir des éclairages suf­fi­sants des postes et des dif­fé­ren­tes cir­cu­la­tions,

Actions orga­ni­sa­tion­nel­les
- limi­ter le tra­vail de nuit pour les tra­vailleurs qui en font la demande (par exem­ple, les seniors),
- orga­ni­ser les condi­tions dans les­quel­les la sala­riée en état de gros­sesse est infor­mée et peut béné­fi­cier d’un chan­ge­ment tem­po­raire d’affec­ta­tion dans les condi­tions pré­vues aux arti­cles L. 1225-9 et sui­vants du Code du tra­vail,
- orga­ni­ser et porter à la connais­sance des tra­vailleurs de nuit les pro­cé­du­res à suivre pour une demande de sortie du tra­vail de nuit,
- limi­ter la durée d’expo­si­tion aux horai­res de tra­vail de nuit par la mise en place de dis­po­si­tif de ges­tion anti­ci­pée des emplois et de for­ma­tion ad hoc per­met­tant la mobi­lité du sala­rié entre dif­fé­rents types d’horai­res, notam­ment de jour si néces­saire
- veiller à ce que les horai­res de tra­vail soient com­pa­ti­bles avec les horai­res de trans­port en commun,
- véri­fier que le dis­po­si­tif de pré­ven­tion et de sécu­rité (orga­ni­sa­tion des 1ers secours) prend en compte les ris­ques et condi­tions de réa­li­sa­tion du tra­vail de nuit,
- tenir compte de la nature des acti­vi­tés (charge de tra­vail, condi­tions ther­mi­ques…) pour ajus­ter l’ampli­tude de la durée du tra­vail de nuit,)
- pré­voir des temps de pause régu­liers (baisse de vigi­lance phy­sio­lo­gi­que­ment sen­si­ble vers 03 h du matin),
- per­met­tre une rota­tion des tâches pour main­te­nir la vigi­lance, évaluer régu­liè­re­ment (pério­di­cité à déter­mi­ner avec les acteurs de l’entre­prise) la péni­bi­lité perçue, phy­si­que et psy­cho­lo­gi­que, par le tra­vailleur,
- pri­vi­lé­gier le volon­ta­riat pour le tra­vail de nuit pour les tra­vailleurs.
- pren­dre en compte les contrain­tes fami­lia­les et le niveau d’accep­ta­bi­lité de ce rythme de tra­vail par l’envi­ron­ne­ment fami­lial,
- orga­ni­ser les condi­tions dans les­quel­les les tra­vailleurs peu­vent aussi béné­fi­cier des ser­vi­ces de l’entre­prise acces­si­bles en jour­née (ser­vice RH, ser­vice de santé au tra­vail, action sociale…). Ils doi­vent pou­voir également accé­der à l’offre de for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, aux équipements et locaux sociaux (ves­tiai­res, dou­ches, etc.) ainsi qu’aux fonc­tions de repré­sen­tants du per­son­nel,

Mettre en place un tableau de bord avec les indi­ca­teurs d’alerte sui­vants :
- acci­dents du tra­vail : taux de fré­quence et de gra­vité, acci­dents de trajet (tra­vail-domi­cile),
- inci­dents : suivre et exploi­ter les don­nées sur les inci­dents,
- mala­dies pro­fes­sion­nel­les reconnues et deman­des de reconnais­sance de « nou­vel­les » mala­dies, taux d’absen­téisme.

Actions médi­ca­les
- Organiser des cam­pa­gnes col­lec­ti­ves de sen­si­bi­li­sa­tion à une bonne hygiène de vie : ali­men­ta­tion et ges­tion du som­meil en rela­tion avec le tra­vail de nuit,
- Personnaliser si néces­saire l’infor­ma­tion sur des règles de bonne hygiène de vie,
- Assurer le suivi de l’expo­si­tion aux ris­ques pour les tra­vailleurs de nuit grâce à la tenue du dos­sier médi­cal en santé au tra­vail (DMST) et per­met­tre de détec­ter des « signes cli­ni­ques d’alerte »,
- Assurer le suivi du reclas­se­ment des sala­riés mis inap­tes au tra­vail de nuit,
- Participer à la mise en place des dis­po­si­tifs de suivi post expo­si­tions ou post pro­fes­sion­nels.

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