Les refus de soins illicites
11 décembre 2010
Les catégorisations des refus de soins
illicites font apparaître un nombre bien
plus élevé de cas prohibés de refus de
soins que dans la précédente hypothèse
où nous traitions des refus de soins
licites.
La dispensation de soins non
consciencieux est un premier cas de
refus de soins illicite, car c’est une
obligation légale et déontologique. L’article R. 4127-32 du Code de la santé publique dispose que : « Dès lors qu’il a
accepté de répondre à une demande, le
médecin s’engage à assurer
personnellement au patient des soins
consciencieux, dévoués et fondés sur
les données acquises de la science, en
faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers
compétents ».
Le défaut de soins consciencieux est entendu largement
par la jurisprudence. Est notamment
sanctionné le médecin dont le refus d’intervenir s’accompagne d’un manque
d’attention et de correction envers le
malade. Selon l’article R. 4127-7 alinéa 3,
le médecin « ne doit jamais se départir
d’une attitude correcte et attentive
envers la personne examinée ». À ce
titre, la jurisprudence a sanctionné un
praticien ayant refusé de pratiquer une
mammographie alors que la patiente
avait pris rendez-vous, et ce, sans lui
expliquer les motifs de son refus (CNOM, 29 mai 2001, dossiers n° 7525 et 7651).
Le manquement aux soins
consciencieux peut également se
caractériser par le fait de dispenser
volontairement des soins inefficaces ou
illusoires.
L’abstention d’agir en cas d’urgence
est un deuxième cas de refus illicite. En
effet, certains refus de soins peuvent se
manifester par des abstentions fautives
de la part des professionnels de santé,
qui n’interviennent pas, alors même que
pèse sur eux une obligation d’agir. Le
cas le plus évident recouvre les
situations d’urgence où le médecin est
tenu d’agir aussi bien en vertu de ses
obligations professionnelles (Articles L. 1110-5 et R. 4127-9 du Code de la santé publique) que d’une obligation plus générale de porter
secours en cas de péril (Article 223-6 du Code pénal).
Une fois le médecin informé de
l’urgence, son absence d’intervention
peut cependant être considérée comme
justifiée dans certaines circonstances.
C’est le cas notamment lorsque le
médecin doit assurer une autre
urgence (CNOM, 15 octobre 1981 ; CNOM, 23 mars 1983) ou qu’une intervention présenterait pour lui des risques
importants (CNOM, 3 mars 1998).
Dans tous les cas, il doit
néanmoins tenter de trouver une
alternative pour le malade.
La défaillance de la permanence ou
de la continuité des soins est un
troisième cas de refus de soins
illicite. Car ici deux principes
fondamentaux sont à respecter afin de
garantir un accès de toutes et tous à des
soins de qualité. Il s’agit de la continuité
et de la permanence des soins (Articles L. 1110-1 et R. 4127-47, alinéa 1 du Code de la santé publique). Les
refus de soins opposés par certains
professionnels ou par certains
établissements de santé contredisent
parfois ces obligations.
Même délicate à identifier, la
discrimination dans l’accès aux soins
est un quatrième cas de refus de
soins illicite.
Les situations de refus de soins
discriminatoires font l’objet d’une
attention particulière, notamment depuis
la mise en place de la CMU. Elles sont
aussi parmi les plus délicates à identifier
en raison de leur nature. Il est, en effet,
rare d’être confronté à un professionnel
affichant clairement un motif
discriminatoire afin de refuser de soigner
un patient.
Les textes normatifs prohibant les
comportements discriminatoires sont
nombreux et d’origine tant
supranationale que nationale. Peuvent
notamment être mentionnés l’article 14
de la Convention européenne de
sauvegarde des Droits de l’Homme et
des Libertés fondamentales et
l’article 1er de la Déclaration des Droits
de l’Homme et du citoyen.
Le Code pénal prohibe toute
discrimination et donne, en son article
225-124, une liste limitative des critères
considérés comme discriminatoires,
parmi lesquels l’origine, le sexe, la
situation de famille, l’état de santé,
l’orientation sexuelle ou encore l’âge.
Le Code de la santé publique participe
également à la lutte contre les
discriminations, en posant comme
principe à l’article L. 1110-3 qu’ « Aucune
personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la
prévention ou aux soins. Un
professionnel de santé ne peut refuser
de soigner une personne pour l’un des
motifs visés au premier alinéa de l’article
225-1 du Code pénal ou au motif qu’elle
est bénéficiaire de la protection
complémentaire ou du droit à l’aide
prévus articles L. 861-1 et L. 863-1 du
Code de la sécurité sociale, ou du droit à
l’aide prévue à l’article L. 251-1 du Code
de l’action sociale et des familles. […] ».
L’apport principal de ce texte est
d’ajouter expressément le bénéfice de la
CMU complémentaire ou de l’aide
médicale de l’État aux critères
discriminatoires de refus de soins. Le
même texte prévoit une procédure
particulière permettant à la personne qui
s’estime victime d’un refus de soins
illégitime de saisir le directeur de
l’organisme local d’assurance maladie
ou le président du conseil
territorialement compétent de l’ordre
professionnel concerné, et ce, en vue de
faire sanctionner le professionnel. Ce
dernier peut également être sanctionné
devant les juridictions civiles ou pénales.
Peu de patients victimes de
discriminations engagent des
démarches juridiques. Les raisons
poussant ces victimes à l’inaction sont
nombreuses. Outre certaines réticences
propres aux patients, des contraintes
matérielles peuvent expliquer l’inaction
des victimes. En effet, les difficultés
probatoires en la matière sont
évidentes : il est particulièrement délicat
d’établir la réalité d’un motif
discriminatoire.
Un important avis de la Haute autorité de
lutte contre les discriminations et pour
l’égalité (Halde) apporte un éclairage
nouveau sur la combinaison des textes
qu’une telle instance prend en compte
pour discerner les situations de
discrimination.
Ainsi, après une enquête réalisée par
testing dans le Val-de-Marne qui mettait
en exergue des refus de rendez-vous
opposés à des bénéficiaires de la CMU
par des médecins, un collectif des
médecins généralistes pour l’accès aux
soins (COMEGAS) a saisi la Halde. Pour
rendre sa délibération, celle-ci s’est
appuyée sur plusieurs textes : le
préambule de la Constitution de 1946
qui dispose que la Nation « garantit à
tous, notamment à l’enfant, à la mère et
aux vieux travailleurs, la protection de la
santé… », le pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et
culturels qui engage les États à
reconnaître « le droit qu’a toute
personne de jouir du meilleur état de
santé physique et mental qu’elle soit
capable d’atteindre. », la loi n° 98-657 du
29 juillet 1998 d’orientation relative à la
lutte contre les exclusions, la loi n° 99-
641 du 27 juillet 1999 portant création
d’une couverture maladie universelle, et
l’article 1110-03 du Code de la santé
publique qui dispose que : « Aucune
personne ne peut faire l’objet de
discrimination dans l’accès à la
prévention et aux soins. […] ».
La Halde
conclut ainsi : « Dès lors, tous refus
d’accès à la prévention ou aux soins
opposé par un professionnel de santé
aux bénéficiaires de la CMU est en
opposition avec les mesures et les
objectifs du législateur émis dans le
cadre des textes précités, et constitue
une discrimination au sens de la loi et
des engagements internationaux »25.
Dans une nouvelle délibération du
5 mars 200726, la Halde rendait la même
conclusion pour des refus de rendezvous
opposés à des bénéficiaires de
l’AME (aide médicale de l’État) mis en
lumière par une enquête de Médecins du
monde.
Les refus de vente des pharmaciens
et des vendeurs de dispositifs
médicaux constituent un cinquième cas
de refus de soins illicite.
Le pharmacien qui opposerait un refus
de vente peut, à ce titre, être sanctionné
pénalement en application des articles
L. 122-1, L. 122-7 et R. 121-13 du Code de la consommation. Ainsi un
pharmacien ne peut invoquer des
convictions personnelles pour refuser de
vendre des médicaments contraceptifs.
Les mêmes règles s’appliquent aux
vendeurs de dispositifs médicaux.
Les refus de soins aux détenus qui
sont un sixième cas de refus de soins
illicites sont sanctionnés par la
Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés
fondamentales.
En effet, la question du refus de soins
aux personnes incarcérées est
appréhendée par la Cour européenne
des droits de l’homme (CEDH) via
l’article 3 de la Convention européenne
de sauvegarde des Droits de l’Homme et
des Libertés fondamentales. Aux termes
de cet article : « Nul ne peut être soumis
à la torture ni à des peines ou
traitements inhumains ou dégradants ».
Les juges ont déduit de cet article une
obligation positive mise à la charge des
États, tenus de protéger l’intégrité
physique des personnes privées de
liberté. Ainsi, le manque de soins
dispensés aux détenus pourra dans
certaines conditions être qualifié de
traitement inhumain29. La sanction
prononcée concerne simplement les
États membres et non les professionnels
impliqués.
Septième cas de refus de soins illicite, le
comportement du professionnel de
santé conduisant à un renoncement
aux soins. En effet, par des moyens
détournés et sans opposer un refus
direct au patient, les professionnels
peuvent par leur comportement
dissuader les patients de recourir à leurs
services.
C’est notamment la situation ouverte
par les dépassements d’honoraires.
Les dépassements d’honoraires
pratiqués par les médecins libéraux
installés en secteur 2 peuvent parfois
s’avérer prohibitifs pour certains patients
ne disposant pas des ressources
suffisantes.
Les sanctions envisageables à l’encontre
des médecins pratiquant des
dépassements d’honoraires sont
multiples. Des sanctions disciplinaires
peuvent être prononcées devant les
juridictions ordinales sur la base des
articles L. 145-1 et suivants du Code de
la sécurité sociale. D’autres sanctions
sont prévues par la convention du
12 janvier 2005, parmi lesquelles la
suspension du droit permanent à
dépassement, en cas de non respect du
tact et de la mesure, ou la suspension
du droit à pratiquer des dépassements
autorisés plafonnés.
Cependant, comme le précise un
rapport sur les dépassements
d’honoraires, les sanctions prononcées
sont peu nombreuses, et « il apparaît
que les caisses primaires d’assurance
maladie, qui opèrent sur un territoire où
l’offre de soins est plus faible qu’ailleurs,
pourraient renoncer à prendre des
sanctions par crainte de diminuer une
offre de soins estimée comme
insuffisante ».
C’est aussi le cas des obstacles
administratifs.
Les formalités administratives liées à la
prise en charge de certains patients,
comme ceux bénéficiaires de la CMU ou
de l’AME, conduisent des professionnels
ou établissements de santé à refuser de
les soigner.
Il est, en outre, pertinent de s’interroger
sur l’autre aspect de cette
problématique. Certaines exigences
administratives (dossier médical et
administratif, validité des droits,
attestation à jour, attestation de prise en
charge par les organismes de sécurité
sociale étrangers…) peuvent en effet
conduire des patients à renoncer aux
soins.
Le médecin doit adopter un
comportement attentif à l’égard de ses
patients et doit également faciliter
l’obtention par celui-ci « des avantages
sociaux auxquels son état donne
droit ». Une interprétation combinée
de ces articles pourrait conduire à
sanctionner un médecin décourageant
un patient le sollicitant, arguant de
difficultés administratives.
Enfin, une autre difficulté administrative
pouvant conduire à un renoncement aux
soins réside dans la difficulté rencontrée
par certains patients dans la désignation
d’un médecin traitant. Il apparaît à
première vue que le médecin est libre
d’accepter ou non de devenir médecin
traitant, conformément à l’article 47
alinéa 236 du Code de déontologie
médicale. Ce refus du médecin ne doit
cependant pas entraver la continuité des
soins. Le médecin opposant un tel refus
doit donc en avertir le plus rapidement
possible le patient et le rediriger vers un
confrère. En outre, ce refus ne devra pas
être fondé sur des motifs
discriminatoires, au risque de voir le médecin engager sa responsabilité.
Pour plus de détails : http://www.sante-sports.gouv.fr/IMG/pdf/Resoudre_les_refus_de_soins.pdf