EHPAD : remettre de l’humain pour la dignité de nos anciens

14 février 2019
En France, en 2018 dans les EHPAD (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), il y avait seulement 0,6 agent pour un résident (y compris cuisinier, jardinier, administratif, etc.), tandis que le ratio est déjà de 1 à 1,2 agents par résident en Suisse ou au Danemark.
Le plan Grand âge 2008-2012 préconisait un agent pour un résident. Au vu des effectifs dans les pays européens précédemment cités, la France a bien un retard. L’Allemagne est à 1,2 agents, le double de la France, alors que la part des personnes âgées est plus importante : pourquoi ne pas suivre le "modèle allemand" cette fois ?
Des résidents plus âgés et plus dépendants
Les résidents décèdent 6 mois plus tard qu’en 2011, soit à 89 ans. Dans le même temps, nous constatons une entrée en institution plus tardive, 85 ans et 8 mois contre 84 ans et 9 mois en 2011 avec une dépendance accrue. (GMP de 840 contre 790 en 2011). Le GMP ou Groupe Iso-ressource Moyen Pondéré est une échelle permettant de mesurer la dépendance. Plus le GMP est près de 1000, plus la dépendance est importante.
Les résidents nécessitent plus de temps dans leur prise en charge au vue de l’augmentation de leur dépendance. Il y a moins de temps à consacrer à chacun car les effectifs ne suivent pas. Une aide-soignante témoignait avoir 3 minutes et 41 secondes pour “coucher” un résident. Ces situations amènent à des glissements de tâches où des agents hospitaliers font “faisant fonction” d’aide-soignant.
http://www.syndicat-infirmier.com/Jugement-en-EHPAD-les-ASH-ne.html
Pour le Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC, ces situations, inadmissibles, montrent à quel point les autorités négligent les compétences des professionnels diplômés et manquent de dignité envers nos aînés !
De surcroît, les professionnels se sentent démunis face au manque de formation en gérontologie. Celle-ci serait d’autant plus bénéfique qu’une pathologie démentielle a été diagnostiquée pour près de la moitié des résidents.
Pour limiter le besoin d’adresser aux urgences des résidents en EHPAD, l’administration expérimente des gadgets. Ainsi, l’ARS des Hauts-de-France s’est inspirée de Molière pour trouver une solution pour lutter contre l’engorgement des urgences : un kit pour les soins d’urgence en EHPAD ! "Combien y a t-il de résidents par infirmière ? Combien y a t-il d’EHPAD sans infirmière la nuit ? Un kit peut-il transformer une infirmière en EHPAD en IOA (infirmière organisatrice de l’accueil) ?" Pour le SNPI, syndicat national des professionnels infirmiers, cette hypocrisie se résume à une parodie de Tartuffe "Cachez cet ancien, que je ne saurais voir". L’étude ne précise pas l’impact sur la mortalité des anciens victimes d’une erreur de diagnostic. Ni la responsabilité du professionnel de santé qui n’adresse pas le résident aux urgences.
http://www.syndicat-infirmier.com/Cachez-cet-ancien-que-je-ne-saurais-voir.html
Perte de sens, maltraitance institutionnelle
Face au malaise infirmier, à la perte de sens au travail, à l’épuisement professionnel, l’administration n’apporte aucune réponse concrète à l’absence de reconnaissance, de revalorisation, de moyens pour accompagner les transformations, de prise en compte des solutions proposées par les professionnels infirmiers.
La nutrition des seniors vivant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes EHPAD est trop souvent sacrifiée pour des impératifs économiques et organisationnels.
http://www.syndicat-infirmier.com/EHPAD-et-malnutrition-maltraitance-institutionnelle.html
D’autre part, l’absence d’une infirmière 24h/24h augmente la probabilité de décéder à l’hôpital. La personne âgée, nécessitant des soins la nuit, est transférée à l’hôpital en l’absence d’infirmière. Ce transfert change l’environnement du résident et augmente le risque d’infection nosocomiale. L’expérimentation menée par l’ARS Ile-de-France a montré une diminution du nombre de jours d’hospitalisation des résidents d’EHPAD où il y avait une infirmière de nuit. Tandis que les hospitalisations, via un passage aux urgences, ont été divisées par 3 ! De quoi partiellement soulager les services d’urgences eux-mêmes engorgés.
http://www.syndicat-infirmier.com/Mutualisation-une-infirmiere-de-nuit-pour-3-EHPAD-soit-300-residents.html
Face à la dépendance qui augmente, la manutention par les professionnels est plus importante et les accidents du travail sont 2 fois plus fréquents en maison de retraite qu’en France en général.
Les professionnels n’ont plus le temps d’adopter les bons gestes et bonnes pratiques, de s’adapter aux habitudes de vies de chacun, de prendre soin d’un résident comme d’une personne unique, non pas comme un corps à laver et faire manger. Ils ne peuvent que constater la dégradation de l’autonomie des résidents, en ayant un sentiment de culpabilité. L’augmentation de la cadence ne permet plus l’entraide et les temps informels. En conséquence, les relations au sein de l’équipe soignante, essentielles pour une bonne prise en charge, se dégradent.
En EHPAD, avec l’absence de présence médicale continue, l’infirmière peut donner la pleine mesure de ses compétences, en autonomie ou sur prescription médicale.
Hélas, c’est aussi un lieu où des groupes financiers recherchent du profit, et favorisent glissement de tâches et sous-effectif, aux dépens des résidents. Les soignants en souffrance en d’autant plus de mérites.
http://www.syndicat-infirmier.com/EHPAD-les-competences-soignantes-confrontees-a-la-logique-comptable.html
Face à ces contraintes et à la non reconnaissance salariale, des établissements se retrouvent dans des difficultés de recrutement de médecins coordonnateurs, d’aides-soignants et d’infirmiers. Ceci est d’autant plus vrai dans les groupes privés lucratifs où l’emploi est assez précaire et les conditions de prise en charge sont encore plus dégradées. Dans ces derniers, les prix sont plus élevés alors que les effectifs sont plus faibles, notamment chez les soignants. Comment est-il possible de bien prendre en charge les résidents avec moins d’infirmiers, moins d’aides-soignants ?
Cerise sur le gros gâteau, la réforme du financement des EHPAD retire 200 millions d’€ aux établissements publics au profit des établissements privés. Or 5 fondateurs de groupes d’EHPAD privés font partie des plus grandes fortunes de France.
Mobilisation des soignants
Les appels à la mobilisation du 31 janvier et 15 mars 2018, par l’intersyndicale CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO, SUD, UFAS et UNSA, soutenues par l’AD-PA et rejointes depuis par la FSU et FA-FP, ont montré le refus de cette situation avec 31,8% mobilisation.
http://www.syndicat-infirmier.com/Le-mouvement-EHPAD-du-30-janvier-est-doublement-historique-31-8-de-taux-de.html
En Mai 2018, Mme la Ministre de la Santé avançait l’idée d’une 2ème journée de solidarité et annonçait une rallonge de 36 millions sur 3 ans, soit une infirmière de nuit pour 26 EHPAD !
http://www.syndicat-infirmier.com/Plan-EHPAD-nos-anciens-vont-encore-souffrir-du-manque-de-moyens.html
Depuis, une concertation sur la dépendance a été lancée sans, encore une fois, inviter les syndicats et l’AD-PA. Dernièrement, Mme la Ministre de la Santé, proposait une prime pour les aides-soignants des établissements publics en occultant ceux du privé et opposant les professionnels selon leur statut.
Depuis plus d’un an, aucune réponse concrète et sérieuse n’a été apporté alors que nous continuons à porter nos propositions :
Arrêt des baisses de dotation induites par convergence tarifaire soit moins 200 millions d’€ aux établissements publics, bénéficiant aux établissements privés.
Appliquer le ratio d’1 agent / résident comme dans le Plan solidarité grand âge 2008-2012.
Mettre en place une infirmière de nuit pour réduire les hospitalisations, ses coûts et conséquences pour le résident.
Mieux former les professionnels en gérontologie.
Donner la possibilité aux médecins coordonnateurs de prescrire.
Transformer les primes “rustines” par de vraies hausses de salaires pour les professionnels de la dépendance.
Créer une 5ème branche de sécurité sociale pour la dépendance.
Refus de la 2ème journée de solidarité car les grosses fortunes encaissent pendant que les pauvres et classes moyennes paient.
En cas de problème :
pensez à faire un signalement à l’Observatoire de la souffrance au travail (OSAT infirmier) sur le site https://souffrance-infirmiere.fr/
vous pouvez également vous exprimer sur les réseaux sociaux avec #souffranceInfirmière ou https://twitter.com/SouffranceIDE
Sources :
https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dd05.pdf
https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/etudes-et-resultats/article/l-ehpad-dernier-lieu-de-vie-pour-un-quart-des-personnes-decedees-en-france-en
https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/etudes-et-resultats/article/le-personnel-et-les-difficultes-de-recrutement-dans-les-ehpad
https://www.cnsa.fr/documentation/plan_solidarite_grand_age_2008.pdf
https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/conditions_de_travail_-_bilan_2017.pdf
https://www.francetvinfo.fr/societe/prise-en-charge-des-personnes-agees/sante-les-ehpad-prives-rapportent-gros-aux-proprietaires_2792597.html
https://www.lepoint.fr/societe/maisons-de-retraite-la-reforme-du-financement-sujet-qui-fache-29-01-2018-2190467_23.php
https://www.francetvinfo.fr/societe/euthanasie/video-maisons-de-retraite-3-41-minutes-pour-coucher-un-resident-s-insurge-une-salariee_2416037.html
https://www.cnsa.fr/documentation/analyse_statistique_prix_hebergement_2016_vf.pdf
https://www.francetvinfo.fr/societe/prise-en-charge-des-personnes-agees/maisons-de-retraite-la-solution-danoise_2586684.html
https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/sante/systeme-sante/etablissements-medico-sociaux.html