Plan hôpital 2019 : analyse du syndicat infirmier SNPI CFE-CGC

1er décembre 2019
Face au malaise de l’hôpital et la mobilisation des hospitaliers, le 20 novembre, le Premier Ministre a présenté son Plan "Investir pour l’hôpital", décliné selon 3 axes :
1. Renforcer l’attractivité des métiers et fidéliser les soignants
2. Lever les blocages de l’hôpital public
3. Réinvestir dans l’hôpital en lui donnant des moyens nouveaux et de la visibilité dans le temps
Le SNPI décrypte ce plan hôpital et vous fait partager son analyse, mesure par mesure. Tout le monde est mobilisé, du médecin au cadre de santé en passant par les soignants, parce que cela fait dix ans que l’on retire du budget à l’hôpital. Pour le SNPI, plutôt que de recevoir une délégation pour entamer des négociations, le Gouvernement a préféré travailler dans son coin, pour proposer une semaine après des mesures sans rapport avec nos revendications (rouvrir des lits, créer des emplois, revaloriser les salaires) !
***Mesure 1 : accompagner les débuts de carrière des soignants
Pour les étudiants, étendre le contrat d’engagement de service public (CESP) assorti d’une indemnité mensuelle de 750 €, pour un certain nombre de professions les plus concernées par des difficultés territoriales d’accès aux soins (ex. : filière rééducation).
Mise en œuvre au 1er trimestre 2020 de 300 premiers CESP paramédicaux
Analyse SNPI : 300 ! Ridicule, alors que pour les seuls infirmiers, il y a 30.000 étudiants qui entrent en IFSI chaque année
Pour les soignants fonctionnaires en début de carrière, étendre aux non médecins la prime d’engagement dans la carrière hospitalière (PECH) afin qu’elle puisse répondre à la question des métiers en tension.
Mise en œuvre au 1er trimestre 2020 avec un objectif de 5 000 signataires/an
Analyse SNPI : Cette prime de 270 € bruts/mois pendant 3 ans serait réservée à certains kinés, manip radio, IADE ou IBODE selon les besoins locaux. Rien pour les IDE ou les IPDE.
***Mesure 2 : renforcer l’attractivité des hôpitaux situés dans les territoires en tension
Une prime annuelle nette de 800 € est allouée aux 20 000 infirmiers et aides-soignants travaillant à Paris, dans les Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis ou dans le Val-de-Marne et gagnant moins que le salaire médian (environ 1 950 € net par mois) en intégrant toutes les primes (semestrielle, de nuit, de WE, etc.).
À l’AP-HP, cette prime concerne environ 11.800 agents, dont 9500 AS/AP et 2048 infirmières (soit seulement 11% des IDE de l’APHP !).
Analyse SNPI : La demande était 300 euros pour tous, sur le salaire indiciaire. D’une part c’est une simple prime (donc on ne cotise pas dessus pour la retraite, et elle peut être supprimée plus tard), d’autre part elle ne concerne que 4 départements sur 100.
Nous demandons une revalorisation du salaire infirmier de 300 €/mois, pas l’aumône. Cette demande n’est pas démagogique, elle nous mettrait dans le salaire moyen infirmier européen. En effet, selon l’OCDE :
d’un part, le salaire des infirmiers (bac+3) est inférieur de 5% au salaire moyen des salariés français !
d’autre part, la France est 26ème sur 29 pays de l’OCDE en salaire infirmier
https://fr.statista.com/infographie/19645/remuneration-infirmiers-hospitaliers-par-rapport-au-salaire-moyen-ocde/
Pour avoir une équivalence avec les autres pays européens, la reconnaissance de la formation, des compétences, des responsabilités, et de l’engagement quotidien des professionnels infirmiers doit passer par une revalorisation de 300 euros/mois (et non l’aumône indiciaire de 9 euros/mois comme depuis 2017) et certainement pas avec une prime par ci et une prime par là, révocable à tout instant.
https://www.syndicat-infirmier.com/Grilles-salaires-infirmiers-a-l-hopital-en-2019.html
« Face à la dégradation des conditions de travail, à la perte de sens à l’hôpital, à la maltraitance institutionnelle en Ehpad induite par le sous-effectif, 30% des jeunes diplômés abandonnent la profession infirmière dans les 5 ans qui suivent le diplôme » indique Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC, il est donc impératif de procéder à une revalorisation salariale, pour rendre attractif l’exercice hospitalier.
https://www.syndicat-infirmier.com/Infirmiers-30-des-nouveaux-diplomes-abandonnent-dans-les-5-ans.html
Mise en œuvre : Décret n° 2020-65 du 30 janvier 2020 portant création d’une prime d’attractivité territoriale https://www.syndicat-infirmier.com/Prime-specifique-aux-infirmiers-et-aides-soignants-des-departements-75-92-93-et.html
***Mesure 3 : mettre en place une politique de valorisation financière des équipes engagées dans des projets de transformation
Les hôpitaux auront à leur main des enveloppes pour valoriser, selon des critères qu’ils auront eux-mêmes définis, l’engagement et l’investissement des personnels. Cela représentera en moyenne une prime annuelle d’environ 300 euros. Cette prime pourrait concerner à terme jusqu’à 600 000 personnels.
Déploiement à compter de la fin du 1er trimestre 2020
Analyse SNPI : Ce système d’intéressement collectif débouchant sur des primes individuelles, en fonction du choix des directions ou des chefs de service, c’est clairement laisser libre-cours à l’arbitraire le plus opaque. Ce retour au mandarinat, avec distribution de bons points, est une insulte à notre niveau de qualification et de responsabilité.
***Mesure 4 : revaloriser le métier d’aide-soignant
La formation destinée à renforcer les connaissances et les besoins spécifiques de la prise en charge des personnes âgées exerçant en service de gériatrie sera plus accessible. Une prime de 100 € mensuels nets sera mise en en place pour les personnels formés, soit à terme 60 000 professionnels.
Mise en œuvre dès 2020, avec la Prime « Grand âge » pour les aides-soignants en gériatrie https://www.syndicat-infirmier.com/Prime-Grand-age-pour-les-aides-soignants.html
Analyse SNPI : Bonne mesure, de reconnaitre financièrement l’investissement et les compétences nécessaires en gériatrie. Par contre, cette mesure aurait du s’adresser à tous les AS travaillant en gériatrie, aussi bien dans le privé que dans le public.
Se pose également le problème des Assistants de Soins en Gérontologie ASG. Cette formation de 140 heures donne des outils efficients pour accompagner des personnes âgées, plus spécialement celles atteintes de la maladie d’Alzheimer. Leur prime de 90 euros n’est pas cumulable avec cette prime "grand âge", ce qui est inadmissible ! Les mieux formés sont les moins payés !
***Mesure 9 : faire confiance aux équipes de soins
La finalisation des protocoles de coopération entre professionnels sera accélérée.
Leur mise en œuvre permettra de libérer du temps médical et d’attribuer aux professionnels concernés, notamment les infirmiers, la prime de coopération de 100 € bruts mensuels.
La modification législative va aussi transformer d’anciens protocoles qui ont fait leur preuve en protocoles nationaux sous leur nouvelle forme (ex : protocoles asalée, prélèvement de cornée, filière visuelle).
Mise en œuvre à partir de 2020
Analyse SNPI :
ALERTE ROUGE Pour accélérer la mise en œuvre de protocoles locaux dans les établissements de santé, la loi ouvrira la possibilité, après validation de la commission médicale d’établissement et simple enregistrement auprès de l’ARS, de mettre en œuvre à leur niveau des protocoles de coopération. L’avis de la HAS n’interviendra désormais qu’a posteriori pour évaluer le bien fondé d’un déploiement de ces protocoles.
GARE AUX DERIVES DES GLISSEMENTS DE TACHES ! Que ces petits arrangements relèvent de la simple CME va permettre toutes les dérives. Les infirmiers ne sont pas des tacherons juste bons à faire ce que les médecins n’ont plus l’envie ou le temps de faire.
Le vocable novlangue "protocoles de coopération" ne désigne qu’une dérive en "glissement de taches" pour des soins low cost. « De la merde dans un bas de soie » dirait Napoléon !
Dix ans après cela ne concerne que 1190 professionnels (430 délégués et 760 délégants). A lui seul, le protocole ASALEE (travail en équipe pour la prise en charge du diabète) représente 487 professionnels médecins et IDE. En effet, ces protocoles de coopérations art 51 de la loi santé 2009 HPST sont refusés par 87% des infirmières
http://www.syndicat-infirmier.com/87-des-infirmieres-hostiles-aux-cooperations-de-l-article-51-de-la-loi-HPST.html
En cancérologie, cela peut déboucher sur une perte de chance pour les patients.
http://www.syndicat-infirmier.com/Cancerologie-low-cost-le.html
Cette mesure dérogatoire est massivement rejetée car :
1) la formation n’est pas validante (souvent sur le tas, par le médecin qui souhaite déléguer cette tâche), et différente d’un endroit à l’autre. Les compétences sont donc discutables, en particulier la capacité de réagir correctement en cas de problème ou de complication.
2) ces nouveaux actes sont pratiqués sans reconnaissance statutaire. C’est d’ailleurs une fonction « kleenex », dans la mesure où si le médecin s’en va, le protocole tombe, et l’infirmière retourne à la case départ.
3) La dérogation consiste à autoriser des professionnels de santé à effectuer des activités ou des actes de soins qui ne sont pas autorisés par les textes régissant leur exercice professionnel
Ces protocoles ne comportent aucune garantie pour les usagers sur les qualifications et les compétences des professionnels impliqués, ainsi que sur la régularité et les modalités de leur exercice.
S’il faut élargir les compétences infirmières :
soit c’est juste rajouter un acte technique, et il faut alors le rajouter au décret d’acte des 600.000 infirmières, introduire ce nouvel apprentissage officiellement dans la formation initiale et le valider par le diplôme d’État
soit c’est une nouvelle compétence, avec une prescription médicale limitée, sur le modèle de la sage-femme, et il faut créer des postes d’infirmière de pratique avancée (Master IPA).
***Mesure 11 : allouer des ressources supplémentaires pour le fonctionnement de l’hôpital avec un rehaussement de l’ONDAM sur 2020-2022 pour un total de 1,5 Md€
L’ONDAM pour 2020 sera porté à 2,45% soit un ONDAM hospitalier passant de 2,1% à 2,4%. Cela représente un effort de 300 M€ en 2020.
L’ONDAM sera porté à 2,4% en 2021 et 2022 soit une hausse concentrée sur les établissements de santé de 200 M€ chaque année par rapport à l’année précédente.
Analyse SNPI : C’est une présentation en trompe-l’œil, la #fakenews sur le chiffre d’1,5 milliards étant destinée à tromper le grand public, car le chiffre parait énorme, mais il est doublement faux :
d’une part c’est en fait 700 millions sur 3 ans (300 en 2020, 200 en 2021, 200 en 2022)
d’autre part sur les 300 millions de 2020, 100 sont fléchés sur les EHPAD
Le budget affecté aux hôpitaux est de 84 milliards, donc ces centaines de millions ne sont pas suffisants pour sauver l’hôpital de l’asphyxie financière provoquée par les coupes budgétaires !
Mais en fait, cette hausse de l’ONDAM, c’est toujours des moyens en moins en 2020
Dans le projet de loi de financement de la Sécu, l’ONDAM initialement prévu était à 2,1%, alors que les besoins sont à 4,4%, donc c’était retirer 800 millions aux hôpitaux.
Proposer aujourd’hui une hausse 0,3%, soit 200 millions pour l’hôpital (et 100 millions pour les EHPAD), pour passer à un ONDAM hôpital à 2,4%, c’est nous retirer encore 800-200 = 600 millions en 2020 !
Pour comparaison :
en 2018, l’ONDAM hôpital à 2,1% s’est traduit par 960 millions d’euros d’économies pour les hôpitaux dans la circulaire tarifaire signée par Agnès Buzyn en mai 2018
Bas de page 3 "Pour 2018, le niveau des économies sur le champ des établissements de santé s’élève à 1,6 md€ dont 960 m€ d’économies pesant directement sur le budget des établissements de santé (le différentiel portant sur les médicaments et dispositifs médicaux, via les mécanismes de remise conventionnelle et de baisse de prix)."
https://solidarites-sante.gouv.fr/fichiers/bo/2018/18-05/ste_20180005_0000_0030.pdf
en 2019, l’ONDAM hôpital à 2,3% s’est traduit par 663 millions d’euros d’économies pour les hôpitaux dans la circulaire tarifaire signée par Agnès Buzyn en mai 2019
Milieu page 2 "L’évolution des ressources allouées aux établissements de santé en 2019 tient également compte, comme chaque année, d’un effort de maîtrise de la dépense hospitalière. Cet effort, qui est estimé dans le cadre de cette campagne à 663M€ (contre 960M€ en 2018), doit traduire l’amélioration de la performance interne des établissements, dont la rationalisation des achats hospitaliers"
http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2019/06/cir_44729.pdf
En 20 ans, les gouvernements ont fermé 100.000 lits, 95 services d’urgences, et la moitié des maternités. L’hôpital est asphyxié financièrement, on lui a retiré 8,4 milliards depuis 10 ans, soit 10% de son budget.
***Mesure 13 : relancer l’investissement courant
L’investissement du quotidien sera une priorité. Il s’agit de permettre aux hôpitaux d’acheter le matériel indispensable pour le travail des soignants au quotidien. Sur les 3 prochaines années, 150 M€ par an seront fléchés vers l’investissement courant pour répondre au besoin actuel d’investissement quotidien. Ces investissements devront être majoritairement à la main des chefs de service.
Analyse SNPI : Une mesure attendue, tant on manque de matériel. Mais ces 150 millions de plus, sont à mettre en parallèle avec les 600 millions retirés sur le budget de fonctionnement (via l’ONDAM) utilisé pour le matériel du quotidien si souvent en rupture de stock, qu’il faut aller négocier et chercher dans d’autres services qui peuvent nous dépanner !
***Mesure 14 : reprendre une partie de la dette hospitalière pour dégager les marges nécessaires pour les établissements
A partir de 2020, 10 Md€ de dettes seront repris aux hôpitaux en 3 ans afin d’alléger les charges d’établissements, assainir leur structure financière et leur permettre d’investir et de se transformer.
Analyse SNPI : La dette des hôpitaux ne concerne pas les soignants. Les effets ciblés vont prendre des années, car les dettes son étalées dans le temps.
« Les soignants n’ont rien demandé concernant la dette des hôpitaux, cela représente des jeux d’écriture pour la technostructure, mais ne répond pas aux besoins des soignants dans la vraie vie. Notre quotidien, c’est le budget de fonctionnement. La dette, c’est du budget d’investissement pour les travaux et les restructurations ».
Pire, nous savons qu’en Allemagne, la dette des hôpitaux avait été apurée, pour les rendre plus attrayants lors de leur privatisation. Un hôpital public du Maine-et-Loire devait être privatisé, et c’est la mobilisation des hospitaliers qui a repoussé le projet ce mois-ci.
L’argent existe, utilisons-le pour sauver l’hôpital
Sur le financement, l’article 3 du PLFSS 2020 autorise le Gouvernement à détourner l’argent de la Sécu pour financer ses mesures "gilets jaunes", contrairement à la loi Veil de 1994, qui oblige l’Etat à assumer ses choix budgétaires. Il est scandaleux de ne pas compenser à la Sécurité sociale la perte de ressources de 3,3 milliards d’€ induite par l’exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires, l’introduction d’un taux intermédiaire de CSG sur les revenus de remplacement et les réductions de forfait social prévues dans la loi Pacte. Avec ces 3,3 milliards on peut financer un vrai plan de sauvegarde de l’hôpital.
*** Pour voir les autres mesures qui concernent le corps médical, le dossier de presse du gouvernement est en téléchargement ci-dessous.