Relation soignant-soigné : respecter la personne malade

13 juillet 2007

Sommaire de l’article :
 Caractére intimiste de la relation
 Le véritable lieu de la discussion morale
 La relation soignant-soigné c’est donner du sens
 Le soignant est un acteur de la philosophie

Caractére inti­miste de la rela­tion

Traiter un malade en être humain est plus facile à envi­sa­ger qu’à mettre en pra­ti­que
jour aprés jour. Or, c’est dans la ges­tion de leur vie quo­ti­dienne que les mala­des
sont les plus per­tur­bés. Ils per­dent en effet tout ce qui fonde habi­tuel­le­ment leur
iden­tité (leurs sta­tuts sociaux confé­rés par leur état civil, leur pro­fes­sion, leur
appar­te­nance à dif­fé­rents grou­pes), pour endos­ser "l’iden­tité mala­die" qui enva­hit
tout leur champ spa­tial, tem­po­rel, et rela­tion­nel.

Respecter un malade, c’est d’abord res­pec­ter son nou­veau ter­ri­toire, en frap­pant par
exem­ple avant d’entrer dans sa cham­bre d’hôpi­tal (en lui lais­sant par ailleurs le
temps de se pré­pa­rer à cette intru­sion). C’est ne pas voir deux soi­gnants pour­sui­vre
leur conver­sa­tion privée dans la cham­bre, comme si la per­sonne hos­pi­ta­li­sée n’était
pas là. Respecter la per­sonne malade, c’est bien res­pec­ter son inti­mité.

L’une des spé­ci­fi­ci­tés de la rela­tion soi­gnant/soigné est pré­ci­sé­ment son carac­tére
inti­miste. La démar­che soi­gnante vise à réin­tro­duire ou conser­ver ce qui carac­té­rise
un malade et nous entraîne néces­sai­re­ment dans une rela­tion d’inti­mité. Vivre cette
rela­tion soi­gnante intime, c’est être intro­duit dans le monde de la per­sonne malade,
être le témoin de sa nudité, assis­ter aux mani­fes­ta­tions de son désar­roi, tou­cher et
mani­pu­ler ce corps qui ne se livre habi­tuel­le­ment qu’à des mains mater­nel­les ou
amou­reu­ses.

Respecter l’autre, c’est alors s’effor­cer d’être le dépo­si­taire bien­veillant et atten­tif de ses réac­tions et mani­fes­ta­tions. Ce carac­tére d’inti­mité est par consé­quent indis­so­cia­ble de la notion de res­pect. Ceci ne s’expli­que pas, ne se démon­tre pas.

Le véri­ta­ble lieu de la dis­cus­sion morale

Pouvons-nous cepen­dant parler de res­pect de la per­sonne malade, de sa liberté, de son droit de dis­po­ser d’elle-même, lors­que nous nous sub­sti­tuons à sa volonté pour
déci­der à sa place de ce qui lui convient
 ? Lorsque nous nous déro­bons pour échapper à ses inter­ro­ga­tions. Lorsque nous déci­dons de sa des­ti­née sans qu’elle puisse inter­ve­nir. Et tout cela, le plus sou­vent, au nom de l’orga­ni­sa­tion, de l’ordre, du régle­ment, etc.

Il y a dans le quo­ti­dien de nos pra­ti­ques des manié­res de faire, des habi­tu­des qui ne
nous cho­quent même plus, et qui pour­tant sont en contra­dic­tion avec notre idéal.
Que dire, par exem­ple, des soins qui sont dis­pen­sés sys­té­ma­ti­que­ment, sans se
sou­cier de savoir ce qu’ils signi­fient pour le malade (comme la pesée sys­té­ma­ti­que
ou la tour­née des " pouls, ten­sion, tem­pé­ra­ture " trois fois par jour) ?

Pour faci­li­ter le fonc­tion­ne­ment d’un ser­vice, ou l’orga­ni­sa­tion des soins, on n’hésite
pas à sacri­fier le confort du malade.
Les repas du soir sont ainsi sou­vent servis vers
dix-huit heures, voire dix-sept heures. Dans com­bien de ser­vi­ces les mala­des
sont-ils réveillés à six heures du matin pour la prise de tem­pé­ra­ture sys­té­ma­ti­que,
alors que les pre­miers méde­cins n’arri­vent pas avant neuf heures ? Et que dire des "peti­tes tor­tu­res" que l’on peut faire subir aux mala­des lors de la pose de per­fu­sion ou de prises de sang exé­cu­tées par des mains inex­per­tes et mala­droi­tes d’étudiants ?
Certes, il est indis­pen­sa­ble d’ini­tier les futu­res infir­mié­res aux tech­ni­ques de soins,
mais jusqu’à quel point peut-on consi­dé­rer le malade comme cobaye ?

Pour Paul Ricoeur, "les vrais pro­blé­mes com­men­cent avec les excep­tions et les excu­ses.
Toutes les cultu­res ont été confron­tées à cela : trou­ver quel­les sont les régles pour
sup­pri­mer les régles. Voilà la véri­ta­ble éthique : les vrais pro­blé­mes, qui ne sont pas noirs ou blancs, pour ou contre, mais qui sont tou­jours dans l’entre-deux. L’entre-deux est le véri­ta­ble lieu de la dis­cus­sion morale".

La rela­tion soi­gnant-soigné c’est donner du sens

Le res­pect de la volonté d’un malade peut être par­fois bafoué du fait du manque de per­son­nel : celui que l’on fait atten­dre pour avoir le bassin, ou pour être recou­ché alors qu’il est fati­gué par des heures de fau­teuil. La per­sonne âgée que l’on amène de force dans la salle de res­tau­rant alors qu’elle ne veut pas pren­dre son repas avec les autres ce jour-là, etc. Pourtant, même lors­que l’on ne dis­pose pas tou­jours des moyens néces­sai­res, on peut tou­jours rendre les choses plus sup­por­ta­bles : c’est dans la détresse que l’on est le plus sen­si­ble au poids d’un mot, d’une into­na­tion, d’un regard, d’un sou­rire, d’un silence, d’une main sur la main.

Un soi­gnant doit donner du sens à un acte tech­ni­que afin de le rendre accep­ta­ble
pour le malade.
C’est toute la dif­fé­rence entre l’acte réa­lisé sur le corps objet, et le
sens qu’il peut pren­dre pour la per­sonne soi­gnée au tra­vers de son corps sujet.
Ainsi, la toi­lette ne consiste pas seu­le­ment à rendre le malade propre, mais à lui
appor­ter soin et bien-être, en essayant que cette toi­lette prenne du sens pour elle,
dans la vie qui est la sienne. En effet, nombre de mala­des ont ten­dance à moins se
laver, à ne pas s’habiller, à se négli­ger à l’hôpi­tal, non qu’ils n’en aient plus les
capa­ci­tés phy­si­ques, mais parce que cela n’a plus de sens à leurs yeux.

Alors que cer­tains les oppo­sent, il faut consi­dé­rer que faire des soins et pren­dre soin sont des notions com­plé­men­tai­res. L’habi­leté tech­ni­que est un préa­la­ble
indis­pen­sa­ble, car on ne peut entrer en rela­tion qu’avec quelqu’un envers qui l’on a confiance, mais la pres­ta­tion infir­mière est sur­tout pré­sence et écoute authen­ti­que.
L’infir­mier ou l’infir­mière, debout et dans un uni­forme blanc, est là avant tout pour
rap­pe­ler à la per­sonne, allon­gée et affai­blie, que cette dif­fé­rence ne lui retire pas sa
citoyen­neté, qu’il est avant tout un être humain, reconnu comme tel.L’accom­pa­gne­ment véri­ta­ble consiste à faire un bout de chemin avec le malade, aller à sa ren­contre sur le chemin qui est le sien.

Le soi­gnant est un acteur de la phi­lo­so­phie

Soigner, c’est libé­rer, c’est faire renaî­tre, et retrou­ver l’espé­rance. C’est aider celui qui souf­fre à sortir de son iso­le­ment, à bâtir un projet de vie com­pa­ti­ble avec son état. C’est refu­ser une rela­tion infan­ti­li­sante et pater­na­liste, en aidant l’autre à rede­ve­nir adulte. C’est offrir des choix et tenter de les faire accep­ter.

Le soi­gnant ne béné­fi­cie mal­heu­reu­se­ment pas encore de la for­ma­tion uni­ver­si­taire qu’il réclame pour­tant depuis des années. Il est loin de pos­sé­der les connais­san­ces
et les capa­ci­tés d’ana­lyse des phi­lo­so­phes. Mais de par sa fonc­tion pre­miére (rap­pe­ler l’huma­nité de la per­sonne, sa pré­sence et son ouver­ture au monde) et son vécu quo­ti­dien en confron­ta­tion avec la mala­die et la mort (ce qui l’améne chaque jour à affron­ter des ques­tions exis­ten­tiel­les), il incarne une phi­lo­so­phie en action. Le phi­lo­so­phe est un pen­seur, le soi­gnant est un acteur de la phi­lo­so­phie.

Article paru dans : Espace éthique, La Lettre 15-16-17-18, hiver 2001-2002

Auteur : Thierry Amouroux, diplômé de l’Institut éthique et soins hos­pi­ta­liers

lire la revue avec cet arti­cle

Sur le sens du soin, voir également :
 Thierry Amouroux : redon­ner du sens à notre exer­cice et affir­mer l’iden­tité infir­mière
https://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Thierry-Amouroux-redon­ner-du-sens-a-notre-exer­cice-pour-affir­mer-l-iden­tite.html

Pour plus d’infor­ma­tions, lire les arti­cles de notre site :
 Dérive au CHU Saint Louis : quand le sécu­ri­taire bous­cule l’éthique
 Relation soi­gnant-soigné et bra­ce­lets d’iden­tité
 Les patients ne sont pas des mar­chan­di­ses comme les autres
 Bracelet d’iden­ti­fi­ca­tion : le SNPI saisit le Ministère

Voir également :
 http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Relation-soi­gnant-soi­gnes-notre.html
 http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Un-patient-doit-il-par­ti­ci­per-a-la.html
 http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Le-res­pect-dans-la-rela­tion.html

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