Spécialisations professionnelles et pratiques avancées

6 octobre 2015
Pour le ministère de la Santé français (DGOS), la pratique avancée est une pratique globale (« pratique avancée de son métier ») et non une pratique centrée sur la maîtrise d’un champ disciplinaire. La pratique avancée n’est pas l’expertise disciplinaire ni la spécialisation. Sa définition cible clairement la prise de décisions complexes ce qui renvoie explicitement au positionnement du professionnel sur le champ de la décision médicale à la différence de l’expertise et la spécialisation.
Pour Thierry Amouroux, Secrétaire Général du SNPI CFE-CGC, "il y a une incohérence entre la position DGOS qui refuse de considérer les IADE comme des infirmiers de pratique avancée, alors qu’aux USA par exemple, l’infirmier anesthésiste est défini comme de la pratique avancée, et ce avec un recul de 60 ans".
Le même débat se pose en santé mentale : spécialisation ou pratique avancée ? Les IDE formés depuis la réforme de 1992 manquent d’une formation permettant de répondre à la diversification des soins offerts en psychiatrie. Le secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI-CFE-CGC), Thierry Amouroux, demande la création d’un cadre statutaire d’infirmier spécialisé en psychiatrie et santé mentale, dans le cadre d’une formation universtaire en Master 2. Il faudrait au moins un tel professionnel par unité de soins pour aider les équipes soignantes, et assurer la prise en soins des patients complexes. Leur présence serait également souhaitables dans les services d’urgences des hôpitaux généraux, qui manquent de telles compétences. Il existe déjà un master de sciences cliniques en soins infirmiers à l’Université de Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines qui propose une spécialisation en psychiatrie et santé mentale, mais il faut encore créer le métier statutaire pour que les professionnels formés puissent bénéficier d’une reconnaissance statutaire, avec une grille salariale.
A l’étranger, la pratique avancée est un terme générique qui désigne deux rôles :
Infirmière clinicienne spécialisée, qui exerce dans le même
champ réglementaire que l’infirmière généraliste, mais avec un niveau de compétence plus élevé et généralement dans un domaine plus restreint ;
Infirmière « praticienne », qui exerce dans le même champ
réglementaire que l’infirmière généraliste et a, par dérogation aux
conditions légales d’exercice, des activités relevant du champ
médical (diagnostic de pathologies, prescriptions de
thérapeutiques, prescription et interprétation d’examens,
dépistage, orientation etc.).
Il convient de faire le point sur l’orientation et l’accompagnement vers des filières de spécialisation paramédicales. Selon la DGOS, ces spécialisations peuvent être diverses :
Expertise dans un domaine spécifique relevant du métier socle ;
Métier spécialisé (IADE, IBODE, Puéricultrices) ;
Pratiques avancées.
Au niveau international, la définition de référence de la pratique avancée est : « L’infirmière de pratique avancée, ou infirmière spécialiste : experte, est une infirmière diplômée d’Etat ou certifiée qui a acquis les connaissances théoriques et le savoir-faire nécessaires aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de son métier, pratiques dont les caractéristiques sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière sera autorisée à exercer. Une formation de base de niveau maîtrise (Master’s Degree) est recommandée » (CII, Conseil International des Infirmières, 2008).
Au Québec et au Canada, la pratique infirmière avancée correspond à un cursus universitaire post-licence, à savoir master et doctorat. Il existe deux types d’infirmières en pratique avancée :
les infirmières praticiennes en néphrologie, cardiologie ou néonatologie, qui suivent des cours communs avec les étudiants en médecine durant la formation ;
les infirmières cliniciennes, spécialisées en situations ou domaines particuliers (santé mentale, gérontologie, santé communautaire). Les infirmières en pratique avancée investissent quatre axes permanents : la pratique clinique, la formation et l’éducation à la santé, la consultation et la recherche aussi bien en milieu hospitalier qu’extra-hospitalier.
Aux USA, les infirmiers de pratique avancée sont des infirmiers
diplômés d’état qui ont un niveau master ou doctorat en science
infirmière. Il existe 4 types de pratique avancée : sage-femme, infirmier anesthésiste, infirmière praticienne et infirmière clinicienne spécialisée.
En Israël, la qualification d’infirmier spécialisé dans le cancer du sein existe depuis 1996 et la formation est soutenue et financée par l’association israélienne de cancérologie. Elle est à un niveau académique. Pour accéder à ce cursus il faut avoir suivi le module de spécialisation en cancérologie (329 heures théorie et 160 heures pratiques).
En Belgique il existe depuis 2009 un « titre professionnel particulier d’infirmier spécialisé en oncologie »TPP. Pour accéder à ce cursus il faut avoir une licence en soins infirmiers et être infirmier diplômé. Ce programme universitaire post licence en cancérologie équivaut à 900 heures (450 heures théoriques et 450 heures pratiques), soit 60 ECTS. Les infirmiers doivent par la suite faire la preuve de 2 jours de formation continue et 50 jours de travail en cancérologie par an pour garder leur qualification. En Italie il existe un cursus universitaire, licence équivalent à 60 ETCS pour les pratiques avancées, encadrement d’équipe et coordination du parcours de soins, ainsi qu’un cursus master pour le management, pédagogie et recherche équivalent à 120 ECTS. Par ailleurs, il est possible de faire une spécialisation infirmière en sénologie post licence équivalent à 1500 heures, soit 60 ECTS.
En Europe, un diplôme en soins de réanimation est délivré en Norvège, Espagne, Suède (licence), Autriche. Un diplôme d’État d’infirmière de réanimation (Registered Critical Care Nurse) est délivré en Allemagne, en Hongrie et en Suisse.
En France d’autres spécialisations dans un domaine des soins infirmiers sont effectives par des formations (diplômes d’université, diplômes interuniversitaires, certificats délivrés par des associations, etc.) et/ou de l’expérience (ex. infirmier référent douleur, équipes mobiles en gérontologie).
Une personne peut être spécialiste d’un domaine, par exemple à l’issue d’une formation, alors qu’expert, au sens de niveau de compétence, comporte une dimension individuelle. Le
nombre d’étapes d’acquisition des compétences varie selon les auteurs : novice, débutant avancé, compétent, efficace, expert (Dreyfus et Dreyfus, 1980).
Quel bilan peut-on faire, quelles attentes, quelles pistes d’amélioration ?
Pour plusieurs participants du "groupe formation de la Grande conférence de la santé", la question est d’abord celle des poursuites de parcours au niveau master. La formation initiale de la plupart des professions paramédicales n’est reconnue qu’au niveau grade de licence dans le cadre de la réingénierie des diplômes. Il faudrait permettre des poursuites de cursus aux niveaux master et doctorat pour développer la recherche en soins paramédicaux et améliorer leur qualité et leur pertinence. Toutes les formations initiales devraient comporter des modules communs sur les démarches qualité et de recherche.
Une autre question concerne l’aval des cursus de spécialisation. Aujourd’hui, il n’y a pas de débouchés professionnels pour les titulaires de masters de pratiques avancées ni de valorisation de leur diplôme (pas de postes identifiés, pas de reconnaissance statutaire, pas de valorisation en matière de rémunération).
Les participants s’accordent sur la nécessité d’engager rapidement différents chantiers pour promouvoir les Pratiques avancées :
identifier les nouveaux métiers à développer en priorité dans le champ des pratiques avancées ;
définir les conditions d’accès aux formations correspondantes (modalités de sélection des candidats) ;
faciliter la reconnaissance de ces nouveaux métiers au sein du système de santé.
Différentes préoccupations sont exprimées concernant le développement des formations de pratiques avancées :
articuler ce chantier avec le développement du rôle propre de l’infirmer qui offre beaucoup de possibilités souvent méconnues ;
mettre en place des formations en commun avec les professionnels concernés par ces pratiques ;
Métiers spécialisés (IADE, IBODE, PUER)
Les attentes portent sur 3 points :
réintégrer dans la formation de base au métier socle (IDE) des modules sur ces métiers ;
développer des modules de formation en commun (avec les autres infirmiers spécialisés et avec les médecins) ;
revoir les conditions d’accès à ces métiers : mettre en place un recrutement sur dossier et entretiens en remplacement des concours d’accès.
Spécialisation, interprofessionnalité et universitarisation
Il peut sembler judicieux d’aller vers des facultés de santé regroupant l’ensemble des formations de santé pour :
faciliter les enseignements partagés ;
développer les formations numériques ;
favoriser l’interconnaissance des professionnels et les coopérations.
Les participants expriment diverses préoccupations dans cette perspective :
l’université doit s’ouvrir à l’ambulatoire, renforcer les formations en soins primaires et développer les recherches en soins primaires au lieu de favoriser l’hyperspécialisation ;
l’université devrait développer une offre de DPC réunissant des enseignants médicaux et paramédicaux ;
peu de DU sont ouverts à l’interprofessionnel aujourd’hui, les financements sont cloisonnés (enveloppes DPC) et se pose la question de leur reconnaissance ;
mettre en place des facultés santé nécessite un travail en amont sur les objectifs et les enjeux du travail en commun, notamment pour l’usager ; un changement de culture est indispensable.