Hôpitaux de Paris : des années de mauvaises décisions

15 mai 2022
En réponse à la récente tribune de Martin Hirsch publiée dans « Les Echos », un collectif de syndicats met en cause le bilan de celui qui dirige depuis 2013 l’Association publique hôpitaux de Paris. Aujourd’hui, l’AP-HP est un établissement en souffrance.
Dans une note publiée Martin Hirsch appelle à une refondation de l’hôpital public . Syndicats et collectifs réunis en dressent ici le constat : l’attrition du secteur public et le management maltraitant ne préoccupent pas celui qui dirige un établissement en souffrance. Ses propositions ne tirent aucun bilan de neuf ans de mauvaises décisions à la tête de l’AP-HP.
Sa première analyse erronée concerne les 35 heures Il occulte ce qui les a mis dans le mur : l’absence de recrutement. Les 35 heures ont engendré des RTT, des jours de repos, non compensés par des recrutements. La direction générale de l’AP-HP a aggravé les choses en introduisant en 2016 une réforme de l’organisation du temps de travail, réduisant le temps de chevauchement des équipes, indispensable aux transmissions et à la construction du collectif.
Erreur d’analyse
Pire, elle a alourdi la charge de travail en demandant que chaque infirmière assure les soins de douze patients (quand c’est six à huit dans les pays développés). Omettre les conditions de travail, la charge de travail, est une erreur d’analyse grave. L’erreur devient coupable quand elle se répète. Le plan récent pour embaucher les infirmières à l’AP-HP, exclusivement basé sur la logique contractuelle d’une forte rémunération, a échoué à attirer : 63 recrutements quand il en aurait fallu plus de 1.400.
Le contrat proposé était pourtant hors statut et d’importance : prime de 7.000,00 euros pour neuf mois. Des mécanismes similaires existent pour les médecins pour accroître leur rémunération, mais rien de tout cela n’a permis d’enrayer la fuite. Comment la proposition d’aller encore plus loin dans la rémunération individualisée réglerait le problème de l’attractivité ? Sa note propose des primes aux activités non soignantes (management, recherche, enseignement) alors même que ce sont les soignants, les « producteurs de soins » qui s’enfuient…
Norme du contrat individuel
Martin Hirsch plaide pour sortir des statuts qui « rigidifient » et homogénéisent les rémunérations nationales des personnels. Comme le président de la République, il apparaît d’une grande hostilité envers la réglementation statutaire. Sa norme est le contrat individuel, reniant de ce fait l’essence du travail hospitalier : le travail d’équipe.
Pourtant « les jeunes médecins veulent qu’on leur garantisse quelques années d’un exercice qui leur plaise pour pouvoir décider ensuite ce qu’ils feront […] les jeunes [paramédicaux] quittent l’hôpital parce qu’ils n’y trouvent pas leur compte en termes d’ambiance et de charge de travail […] et les plus expérimentés parce qu’ils veulent une meilleure articulation entre vie personnelle et professionnelle ».
Cela n’est donc pas lié au statut mais aux conditions de travail. Car le travail hospitalier n’est pas une activité individuelle. Chaque soignant ou médecin a besoin d’autres membres de son service ou des autres services pour mener à bien ses activités hospitalières. En préconisant d’individualiser le travail de chacun, Martin Hirsch expose donc des croyances. La cohésion et solidarité font la force de l’hôpital public : c’est la mobilisation collective des soignants qui a permis de faire face à la première vague COVID-19.
Cadences infernales
Les infirmières et aides-soignantes ne supportent plus les plannings infernaux, où elles sont des « bouche-trous ». Sur 100 infirmières recrutées à l’hôpital public seules 68 sont encore en poste 3 ans après l’embauche. Attirer les nouvelles infirmières est indispensable, mais les garder est essentiel. Martin Hirsch dit vouloir promouvoir la promotion professionnelle, alors qu’il l’a refusée en 2021 à 120 aides-soignants reçues au concours d’infirmière.
Martin Hirsch, peu attaché à la codécision, estime que l’autonomie des chefs de service et les pouvoirs éventuels donnés aux représentants élus des médecins sont des obstacles aux changements. Au lieu de s’entêter à accuser la rigidité des statuts, d’autres propositions auraient pu être faites.
Echec de Martin Hirsch
Par exemple, s’appuyer sur les conclusions récentes de la commission d’enquête du Sénat avec des mesures cohérentes et assez consensuelles parmi les hospitaliers : compenser financièrement les contraintes et la pénibilité (dont travail de nuit et WE), renforcer les effectifs afin d’avoir des ratios « patients par soignant » adaptés à la charge de travail, respecter et prendre en compte les avis des équipes dans une logique ascendante et non descendante, accepter d’associer aux décisions les représentants élus des personnels de toute catégorie et enfin modifier les modalités de financement : fixer l’ONDAM en fonction des besoins de santé et non en fonction de la seule logique budgétaire.
On comprend la difficulté d’être à la tête d’une structure de la taille de l’AP-HP, on comprend moins que les échecs de Martin Hirsch ne puissent être rationnellement analysés et qu’il rejette la responsabilité sur les médecins. Offrir ses services pour mettre en extinction l’hôpital public est un étonnant projet.
Signataires :
AMUF, APH, CFE-CGC Santé/Sociaux, CGT FD de la Santé et de l’Action Sociale, Collectif Inter Bloc, Collectif Inter Hôpitaux, Collectif Inter Urgences, le printemps de la Psychiatrie et la Coordination Nationale des Comités de défense des Hôpitaux et des Maternités de Proximité.