Profession infirmière : il est temps que la loi rattrape le quotidien

21 avril 2025

Depuis des années, les infir­miè­res soi­gnent à la marge de la loi. Parce qu’entre le quo­ti­dien du ter­rain et le texte qui enca­dre leur exer­cice, il y a un fossé. Un vide juri­di­que où s’épuise une pro­fes­sion pour­tant au cœur du sys­tème de santé. La pro­po­si­tion de loi sur la pro­fes­sion infir­mière, actuel­le­ment exa­mi­née au Sénat, promet une refonte bien­ve­nue. Mais pour le SNPI, elle doit aller au bout. Car ce n’est pas un rôle d’auxi­liaire qu’il faut ren­for­cer, c’est une pro­fes­sion à part entière qu’il faut reconnaî­tre.

« Il est temps d’ali­gner les textes sur les pra­ti­ques. » C’est l’appel clair du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI) dans sa contri­bu­tion écrite à la com­mis­sion des affai­res socia­les du Sénat (voir PJ en fin d’arti­cle). La pro­po­si­tion de loi en débat cons­ti­tue une oppor­tu­nité his­to­ri­que de sortir la pro­fes­sion infir­mière d’un cadre hérité des années 70. Et de lui per­met­tre d’exer­cer plei­ne­ment ce qu’elle est déjà deve­nue sur le ter­rain : une pro­fes­sion experte, auto­nome, struc­tu­rante pour le par­cours de soins.

Une auto­no­mie bridée par un cadre dépassé

La der­nière défi­ni­tion légale de l’infir­mier date de 1978. Le décret d’exer­cice remonte à 2004, et les réfé­ren­tiels à 2009. Autant dire une éternité, à l’échelle d’un sys­tème de santé qui a connu une explo­sion des mala­dies chro­ni­ques, un vieillis­se­ment rapide de la popu­la­tion, et une désaf­fec­tion crois­sante des zones rura­les par les méde­cins.

Aujourd’hui, la France compte 640.000 infir­miers, et les 140.000 infir­miè­res libé­ra­les sont sou­vent les der­niers pro­fes­sion­nels de santé à se dépla­cer à domi­cile. Leur rôle est cen­tral dans le suivi des patients, la pré­ven­tion, l’éducation thé­ra­peu­ti­que. Mais sur le papier, leur auto­no­mie reste limi­tée à ce qu’on appelle le « rôle propre ». Une auto­no­mie théo­ri­que, cor­se­tée par des décrets obso­lè­tes et une reconnais­sance admi­nis­tra­tive par­cel­laire.

Consultation et diag­nos­tic : des évidences à ins­crire dans la loi

Dans les faits, les consul­ta­tions infir­miè­res exis­tent déjà  : pré­ven­tion, éducation thé­ra­peu­ti­que, suivi des mala­dies chro­ni­ques, accom­pa­gne­ment en soins pal­lia­tifs, exper­tise spé­cia­li­sée en plaies, santé men­tale ou encore pédia­trie. Mais elles dépen­dent encore trop sou­vent du bon vou­loir des établissements de santé ou des ARS. Le SNPI demande une reconnais­sance légale, claire et non équivoque. Parce que ces consul­ta­tions per­met­tent d’agir plus tôt, plus près du patient, avec une meilleure adhé­sion thé­ra­peu­ti­que et une conti­nuité des soins réelle.

Quant au diag­nos­tic infir­mier, il est ins­crit dans la régle­men­ta­tion depuis 1993. Mais il reste mal com­pris, sou­vent confondu avec le diag­nos­tic médi­cal. Or, le diag­nos­tic infir­mier n’iden­ti­fie pas la mala­die, mais les besoins, les symp­tô­mes, les ris­ques et les répon­ses du patient à sa situa­tion de santé. Il s’agit d’un outil d’ana­lyse, fon­de­ment de la démar­che de soins, qui permet à l’infir­mière d’agir dans son champ de com­pé­tence, de cibler ses inter­ven­tions, de les évaluer, et de les ajus­ter. Là encore, la reconnais­sance légale est une affaire de cohé­rence et de qua­lité des soins. Une reconnais­sance qui faci­li­te­rait la coor­di­na­tion des soins et valo­ri­se­rait l’intel­li­gence cli­ni­que de la pro­fes­sion.
https://syn­di­cat-infir­mier.com/Diagnostic-et-pres­crip­tion-l-auto­no­mie-infir­miere-sous-sur­veillance.html

Prescrire pour soi­gner sans délai

Aujourd’hui, un patient hos­pi­ta­lisé doit par­fois atten­dre des heures pour qu’un méde­cin pres­crive un simple para­cé­ta­mol. Une absur­dité dénon­cée de longue date. Des soins retar­dés, une perte de temps, et une frus­tra­tion gran­dis­sante. Le SNPI appelle à élargir les capa­ci­tés de pres­crip­tion des infir­miers aux médi­ca­ments en vente libre et aux exa­mens bio­lo­gi­ques néces­sai­res au suivi. D’autant qu’en Europe, cette évolution est déjà ancienne : depuis les années 90 au Royaume-Uni ou en Suède, les infir­miè­res peu­vent pres­crire dans le cadre de leur com­pé­tence.

La France auto­rise déjà la pres­crip­tion infir­mière de dis­po­si­tifs médi­caux, de trai­te­ments nico­ti­ni­ques ou de vac­cins. Mais ces auto­ri­sa­tions res­tent limi­tées, mor­ce­lées, par­fois inco­hé­ren­tes. "L’objec­tif du SNPI est clair : per­met­tre des pres­crip­tions ciblées, pour flui­di­fier les par­cours, éviter les pertes de chance, réduire les hos­pi­ta­li­sa­tions évitables et désen­gor­ger les cabi­nets médi­caux. Car le droit de pres­crire, dans un cadre défini, c’est avant tout le droit de soi­gner sans délai." rap­pelle Thierry Amouroux le porte-parole du Syndicat natio­nal des pro­fes­sion­nels infir­miers SNPI.

Accès direct, pré­ven­tion, rela­tion d’aide : redon­ner du sens au soin

Dans les ter­ri­toi­res en ten­sion, l’accès direct aux soins infir­miers est sou­vent la seule porte d’entrée dans le sys­tème de santé. L’infir­mière libé­rale, ou celle en PMI, à l’école, en santé au tra­vail ou en santé men­tale, est bien sou­vent le pre­mier recours. La loi pré­voit enfin de reconnaî­tre cette réa­lité. Pour le SNPI, c’est une mesure de jus­tice sociale autant que de santé publi­que : parce qu’un accès rapide à un pro­fes­sion­nel de santé ne devrait jamais dépen­dre du code postal.

Autre avan­cée, portée par l’ensem­ble des orga­ni­sa­tions : ins­crire expli­ci­te­ment dans la loi le rôle rela­tion­nel de l’infir­mière. Soutien psy­cho­lo­gi­que, rela­tion d’aide, accom­pa­gne­ment thé­ra­peu­ti­que : ces dimen­sions du soin, trop long­temps consi­dé­rées comme « natu­rel­les » ou invi­si­bles, sont en fait cen­tra­les. Parce qu’un soin effi­cace com­mence par une rela­tion de confiance. Et que l’infir­mière est sou­vent celle qui écoute, expli­que, ras­sure, refor­mule ce qu’aucun autre pro­fes­sion­nel n’a le temps de dire.

Changer de statut, chan­ger de regard

Mais au-delà des actes et des mis­sions, il y a un sym­bole fort : sortir enfin la pro­fes­sion infir­mière du livre des « auxi­liai­res médi­caux » dans le Code de la santé publi­que. Ce terme, hérité d’une époque où l’infir­mière était consi­dé­rée comme l’assis­tante du méde­cin, est aujourd’hui une insulte à la réa­lité de la pro­fes­sion. Le SNPI demande la créa­tion d’un livre propre, et l’adop­tion du terme « pro­fes­sion infir­mière ». Une évolution qui ne relève pas seu­le­ment du voca­bu­laire, mais de la reconnais­sance sociale, pro­fes­sion­nelle, et juri­di­que. Reconnaitre les infir­miè­res comme des pro­fes­sion­nel­les de santé à part entière, c’est urgent.

Quatre années pour former, une vie pour soi­gner

Enfin, la ques­tion de la for­ma­tion revient avec insis­tance. Trois ans pour former une infir­mière, c’est insuf­fi­sant. Le pro­gramme actuel est de 4600 heures (trois fois plus qu’une licence clas­si­que, ce qui pro­vo­que une usure pré­ma­tu­rée des étudiants). Résultat : des taux d’aban­don élevés, et une fuite mas­sive des jeunes diplô­més. L’épuisement pro­fes­sion­nel inter­vient dès la for­ma­tion.

Les études scien­ti­fi­ques inter­na­tio­na­les sont for­mel­les : une for­ma­tion infir­mière plus longue amé­liore signi­fi­ca­ti­ve­ment la sécu­rité des soins et réduit la mor­ta­lité hos­pi­ta­lière. Des tra­vaux de réfé­rence, publiés dans des revues médi­ca­les reconnues, établissent un lien direct entre le niveau de for­ma­tion des infir­miè­res et les résul­tats des patients. La France fait figure d’excep­tion. Belgique, Espagne, Finlande, Grèce, Irlande, Islande, Norvège, Portugal, Suède : tous ces pays ont opté pour une for­ma­tion infir­mière en quatre ans. Pourquoi ? Parce que les résul­tats sont là.

Le SNPI pro­pose une qua­trième année de pro­fes­sion­na­li­sa­tion, sur le modèle du « doc­teur junior ». Un temps pour conso­li­der les acquis, se spé­cia­li­ser, mieux accom­pa­gner les étudiants fra­gi­les, fidé­li­ser les jeunes diplô­més, ren­for­cer la qua­lité des soins. Une réforme portée par de nom­breu­ses orga­ni­sa­tions et ali­gnée sur les stan­dards euro­péens. Cet allon­ge­ment per­met­trait également de ren­for­cer l’ensei­gne­ment : com­bler les man­ques, notam­ment en psy­chia­trie, santé men­tale, pédia­trie et soins cri­ti­ques.

Profession infir­mière : une pro­messe à tenir

Derrière chaque pro­po­si­tion du SNPI, une même urgence : redon­ner sens et cohé­rence. Ce n’est pas une nou­velle répar­ti­tion des tâches qui est atten­due, mais une reconnais­sance pleine et entière de la res­pon­sa­bi­lité assu­mée chaque jour sur le ter­rain. Dans un sys­tème à flux tendu, où les soi­gnants tien­nent le fil fra­gile de la conti­nuité des soins, il n’est plus temps de dis­cu­ter des marges. Il est temps de chan­ger de cadre. Et de consi­dé­rer enfin les infir­miè­res pour ce qu’elles sont : des pro­fes­sion­nel­les de santé auto­no­mes, com­pé­ten­tes, et indis­pen­sa­bles.

La pro­po­si­tion de loi en débat peut être une rup­ture. À condi­tion qu’elle ne s’arrête pas à mi-chemin. Car reconnaî­tre les com­pé­ten­ces infir­miè­res, ce n’est pas leur faire un cadeau. C’est répon­dre à une urgence de santé publi­que. Chaque jour, des patients atten­dent un soin que l’infir­mière sait déjà pro­di­guer, mais que la loi ne l’auto­rise pas encore à faire. Combien de vies faut-il ris­quer avant d’agir ?

La contri­bu­tion de 17 pages est en télé­char­ge­ment ci-des­sous.
Voir également :
 Loi infir­mière : le Syndicat natio­nal des pro­fes­sion­nels infir­miers marque sa posi­tion
https://www.infir­miers.com/pro­fes­sion-ide/com­pe­tence-et-role-propre/loi-infir­miere-le-syn­di­cat-natio­nal-des-pro­fes­sion­nels-infir­miers-marque-sa-posi­tion
 La pro­po­si­tion de « loi infir­mière » actuel­le­ment exa­mi­née par le Sénat pour­rait tout chan­ger. Mais ira-t-elle assez loin ?
https://toute-la.veille-acteurs-sante.fr/232826/la-pro­po­si­tion-de-loi-infir­miere-actuel­le­ment-exa­mi­nee-par-le-senat-pour­rait-tout-chan­ger-mais-ira-t-elle-assez-loin-com­mu­ni­que/

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