Ratios infirmiers : une exigence mondiale, un combat syndical, une loi en attente

11 juin 2025
Tout le monde le reconnaît désormais : la qualité des soins dépend de la présence suffisante d’infirmières auprès des patients. Ce constat, étayé par des décennies de recherches, est au cœur des discussions du 30ᵉ Congrès du Conseil International des Infirmières (CII), qui se tient cette semaine à Helsinki, avec plus de 6.500 participants venus du monde entier. Le thème du congrès, "Le pouvoir des infirmières pour changer le monde", trouve ici une traduction concrète : imposer des ratios de sécurité pour garantir des soins humains, sûrs et efficaces.
Car derrière les slogans inspirants, la réalité des services hospitaliers est souvent marquée par la surcharge, la fatigue, et une spirale de départs. Le CII, qui regroupe des associations infirmières de plus de 130 pays, prend position sans détour. Il plaide pour l’instauration de ratios minimums infirmière/patients, définis par spécialité, fondés sur des données probantes, et inscrits dans des textes opposables. L’organisation mondiale alerte depuis plusieurs années : les écarts non justifiés entre pays, services et établissements sont sources de maltraitance institutionnelle, pour les patients comme pour les soignants.
Le Livre blanc publié par le CII en 2019 posait déjà les bases scientifiques du débat. Les ratios ne sont pas une lubie militante, mais une exigence éthique et clinique : un patient de chirurgie aiguë a besoin d’une infirmière pour six, pas dix, autres malades ; en soins intensifs, c’est un pour deux au maximum. À chaque fois que ces seuils sont dépassés, les risques augmentent : erreurs de traitement, infections nosocomiales, réhospitalisations, voire décès. À l’inverse, lorsque le nombre d’infirmières augmente, c’est toute la chaîne de soin qui gagne en sécurité, fluidité et efficacité.
Cette vision est aussi portée à l’échelle syndicale par le Global Nurses United (GNU), fédération internationale des syndicats infirmiers. Le SNPI, qui y représente la France, défend depuis plusieurs années une approche structurée, s’appuyant sur les expériences réussies à l’étranger. Le syndicat avait ainsi organisé la venue en France des représentantes du syndicat des infirmières de Californie, pionnier dans l’instauration de ratios légaux depuis 2004. Une rencontre avec les parlementaires français avait permis de démontrer, chiffres à l’appui, que ces ratios sauvent des vies, tout en réduisant le turn-over et l’absentéisme. Et qu’ils sont soutenables économiquement, car les complications coûtent plus cher que les postes.
Ce travail de conviction a porté ses fruits. En janvier 2025, après des années de mobilisation, la loi sur les ratios infirmiers a été adoptée quasi à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Le texte prévoit la fixation de normes minimales de présence infirmière par service hospitalier, ainsi qu’une obligation pour les établissements de santé d’en rendre compte publiquement. C’est une avancée historique pour la France, alignée sur les recommandations internationales du CII et du GNU.
Mais cinq mois après la promulgation, l’élan est déjà menacé. La loi ne pourra pas produire ses effets sans décrets d’application précisant les niveaux de dotation par spécialité. Or, ces textes n’ont toujours pas été publiés. La Haute Autorité de Santé, pourtant désignée pour en assurer le pilotage scientifique, n’a reçu aucune lettre de mission officielle. Résultat : des équipes attendent, des directions temporisent, et la lassitude gagne du terrain.
À Helsinki, les interventions du CII résonnent comme un avertissement. Plusieurs pays, notamment anglo-saxons ou scandinaves, ont déjà intégré les ratios obligatoires à leurs politiques de santé. D’autres avancent vers des modèles hybrides, alliant seuils planchers et ajustements dynamiques en fonction de la charge réelle de travail. Le point commun reste une volonté politique claire : reconnaître que les soins ne peuvent être assurés sans effectifs suffisants et formés.
"Le SNPI, présent au Congrès, rappelle que le pouvoir des infirmières ne se résume pas à une belle idée. Il s’incarne dans des décisions concrètes, des législations protectrices, des choix budgétaires assumés. En Californie, les ratios ont réduit la mortalité hospitalière de 10 à 13 % selon les études. En France, nous avons enfin une loi. Il serait irresponsable de la laisser dormir." alerte Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.
Car les infirmières n’ont pas besoin d’un hommage de plus. Elles ont besoin d’être entendues, respectées, et protégées. Le CII le martèle : les ratios ne sont pas un luxe, ils sont un fondement de la sécurité des soins. Et chaque jour qui passe sans les appliquer, c’est une perte de chance pour les patients… et une perte de sens pour les soignants.