Santé et dérives sectaires : l’infirmière, dernier rempart

18 avril 2025

Les chif­fres par­lent d’eux-mêmes : en 2024, 37 % des signa­le­ments adres­sés à la MIVILUDES concer­nent le domaine de la santé et du bien-être. Une per­sonne sur trois ciblée par des pra­ti­ques à risque est malade. Ou en souf­france psy­chi­que. Ou sim­ple­ment perdue. Dans ces failles du quo­ti­dien, cer­tains s’engouf­frent, pro­met­tent une issue, récla­ment de l’argent, puis cou­pent les liens.

Le rap­port 2022-2024 dresse un cons­tat impla­ca­ble : les déri­ves sec­tai­res chan­gent de visage. Elles ne sont plus can­ton­nées à des com­mu­nau­tés en marge. Elles s’infil­trent dans les par­cours de soins, au nom du bien-être ou de la spi­ri­tua­lité. Elles s’ins­tal­lent dans les failles du sys­tème, là où la méde­cine ne répond plus assez vite, là où le doute s’ins­talle, là où les patients cher­chent des répon­ses autre­ment.

Un patient atteint de cancer décide sou­dain d’aban­don­ner son trai­te­ment. Un autre refuse l’hos­pi­ta­li­sa­tion, convaincu qu’un régime dras­ti­que et quel­ques cris­taux suf­fi­ront. Une mère cesse les soins pour son enfant au nom d’une puri­fi­ca­tion spi­ri­tuelle. Une femme en dépres­sion inter­rompt bru­ta­le­ment son anti­dé­pres­seur, après avoir entamé un "retrait émotionnel" sous la super­vi­sion d’un coach non formé.

80 % des per­son­nes citées dans ces signa­le­ments ne sont pas des pro­fes­sion­nels de santé. Ce sont des natu­ro­pa­thes auto­pro­cla­més, des thé­ra­peu­tes énergétiques, des "gué­ris­seurs vibra­toi­res", des coaths holis­ti­ques, des cha­ma­nes d’appar­te­ment. Certains orga­ni­sent des stages, d’autres consul­tent en ligne. Tous ont un point commun : ils affir­ment pou­voir soi­gner, sou­vent mieux que la méde­cine conven­tion­nelle.

Le ter­rain est fer­tile. L’iso­le­ment, la défiance post-Covid, la perte de repè­res ont rendu une partie de la popu­la­tion vul­né­ra­ble à ces dis­cours. Et la santé devient un pré­texte. Les pro­mes­ses sont sédui­san­tes : guérir sans chimie, sans dou­leur, sans dépen­dance. Mais l’emprise s’ins­talle. Derrière leurs dis­cours apai­sants, les dégâts sont réels : pertes de chance, rup­tu­res fami­lia­les, rechu­tes, hos­pi­ta­li­sa­tions évitables… par­fois la mort. Les vic­ti­mes aban­don­nent les soins, s’endet­tent, rom­pent avec leur entou­rage. Parfois, elles ne revien­nent jamais.

Dans cette méca­ni­que silen­cieuse, l’infir­mière est sou­vent la seule à avoir le patient en face. Pas quinze minu­tes, mais par­fois des heures. À domi­cile, en ser­vice, en consul­ta­tion, en entre­prise, en établissement d’ensei­gne­ment, elle entend ce que d’autres ne veu­lent pas voir. Une phrase répé­tée. Un nom obscur. Une rup­ture sou­daine avec un méde­cin. Un silence gêné quand il est ques­tion de trai­te­ment.

« Il m’a dit qu’il n’avait plus besoin de sa chimio. Il fai­sait désor­mais confiance à un appa­reil à "réso­nance magné­ti­que" qui avait soi-disant éliminé sa tumeur », rap­porte une infir­mière en can­cé­ro­lo­gie. Témoignage gla­çant, mais loin d’être rare.

La loi du 10 mai 2024 a intro­duit deux nou­veaux délits : la sujé­tion psy­cho­lo­gi­que et la pro­vo­ca­tion à l’abs­ten­tion de soins. Elle offre un levier juri­di­que. Mais ce levier ne vaut rien si per­sonne ne s’en saisit. C’est là que la vigi­lance infir­mière devient un atout stra­té­gi­que. Depuis août 2024, une cir­cu­laire permet aux soi­gnants de par­ta­ger leurs obser­va­tions avec les ordres pro­fes­sion­nels, dans un cadre sécu­risé. Les signa­le­ments sont faci­li­tés, les relais iden­ti­fiés.

Encore faut-il oser parler. Encore faut-il être formé. Encore faut-il savoir à quoi res­sem­ble une dérive sec­taire aujourd’hui. La MIVILUDES insiste : l’action passe par la sen­si­bi­li­sa­tion des pro­fes­sion­nels de santé, en prio­rité ceux qui sont au contact direct des patients.

L’infir­mière, elle, reste à la croi­sée des che­mins. Présente dans la durée, atten­tive aux signes fai­bles, elle est sou­vent la pre­mière à repé­rer les glis­se­ments : arrêt de trai­te­ment sans raison médi­cale, dis­cours empreints de spi­ri­tua­lité new age, rejet du corps médi­cal. Elle est aussi, bien sou­vent, la der­nière à pou­voir recréer une alliance thé­ra­peu­ti­que.

Dans les cou­loirs d’un EHPAD, dans la cham­bre d’un ado qui parle de son "guide", dans l’entre­tien banal d’un soin à domi­cile, l’infir­mière peut être celle qui garde le fil. Elle peut repé­rer l’iso­le­ment, l’influence, la mise en danger. Mais elle peut aussi recons­truire. En repre­nant le dia­lo­gue, en réta­blis­sant un lien de confiance, en accom­pa­gnant le patient là où il en est, sans vio­lence ni condes­cen­dance.

À condi­tion qu’on lui en donne les moyens. Parce qu’au fond, qui connaît mieux les signes fai­bles d’un bas­cu­le­ment qu’une pro­fes­sion­nelle formée à soi­gner tout, même ce qui ne se voit pas ?

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