Avis du CCNE sur le "dossier médical personnel" DMP

16 juin 2008

Avis n°104 sur "Le « dossier médical personnel » et l’informatisation des données de santé", rendu le 12 juin 2008 par le Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé.

Les ris­ques liés au Dossier médi­cal per­son­nel que la sai­sine du Ministre de la Santé a
demandé au CCNE d’iden­ti­fier et d’expli­ci­ter, peu­vent être syn­thé­ti­sés à tra­vers les
trois points sui­vants :

1 - Risque d’échec économique en cas d’exten­sion du DMP à l’ensem­ble de la
popu­la­tion :

Comme le CCNE a eu récem­ment l’occa­sion d’y insis­ter dans son avis 101 sur « santé,
éthique et argent »(CCNE, « Santé, éthique et argent : les enjeux éthiques de la contrainte bud­gé­taire sur les dépen­ses de santé en
milieu hos­pi­ta­lier, Avis n°101, 7 nov.2007, www.ccne-ethi­que.fr), l’inter­ro­ga­tion éthique n’est pas sépa­ra­ble du souci de réduire les
dépen­ses de santé.

Le gas­pillage des res­sour­ces dis­po­ni­bles enclen­che une logi­que de
ration­ne­ment dont la qua­lité des soins ne peut que pâtir indi­rec­te­ment. C’est pour­quoi il n’y
aurait pas d’objec­tion éthique à confier au DMP un objec­tif de réduc­tion du défi­cit
public en matière de santé. Il importe seu­le­ment de sou­li­gner qu’en l’absence d’une
amé­lio­ra­tion sen­si­ble de la qua­lité des soins, cette effi­ca­cité économique devra être
démon­trée.

Un pos­si­ble échec économique du DMP sou­lève une grave ques­tion éthique tant il
est cer­tain que les res­sour­ces en temps et en argent que sa mise en place requiert pour­raient
être uti­li­sées pour amé­lio­rer les per­for­man­ces d’éléments défaillants de notre sys­tème de
santé.

2 - Risque du mas­quage si le DMP est i mposé et non pas pro­posé à titre faculta­tif :

L’impé­ra­tif de soli­da­rité col­lec­tive oblige à limi­ter les dépen­ses inu­ti­les engen­drées
par une mau­vaise coor­di­na­tion des soins (redon­dance des exa­mens, etc.). Cependant, il serait
périlleux d’oppo­ser la moin­dre réserve au droit au mas­quage qui remet­trait en cause
l’auto­no­mie des per­son­nes.
Il est vrai qu’en confé­rant au droit du mas­quage un statut incondi­tion­nel on semble a
priori vider le DMP d’une partie de son uti­lité.

Toutefois, le recours au mas­quage en dehors
de tout échange avec le méde­cin trai­tant demeure une simple éventualité. En effet, si l’usage
du DMP se limite aux usa­gers volon­tai­res, la pra­ti­que du mas­quage pour­rait être
rési­duelle. La confiance requiert que des moyens et du temps soient consa­crés à la
trans­mis­sion d’une infor­ma­tion que pour­raient pro­gres­si­ve­ment s’appro­prier les futurs
pos­ses­seurs d’un DMP. Cette appro­pria­tion du DMP sup­pose qu’il ne soit pas imposé à
tous mais pro­posé exclu­si­ve­ment à ceux qui le sou­hai­tent.

3 - Risque d’appau­vrir la dimen­sion cli­ni­que et confi­den­tielle de la méde­cine

Le DMP ne peut pas être consi­déré comme un outil neutre s’agis­sant de la rela­tion
entre méde­cin et patient. Assurément, il peut donner au méde­cin des pistes diag­nos­ti­ques
faci­li­tant le dia­lo­gue avec le patient, et s’accor­der en ce sens avec le prin­cipe de bien­fai­sance.

Un risque de mal­fai­sance existe cepen­dant si le DMP abou­tit insi­dieu­se­ment à réduire voire à
court-cir­cui­ter le col­lo­que sin­gu­lier et l’inter­ro­ga­toire cli­ni­que. Le danger serait que la prise
en charge du patient soit trop tri­bu­taire des infor­ma­tions vir­tuel­les mises à la dis­po­si­tion du
pra­ti­cien.

Indépendamment de la rela­tion de soin, l’infor­ma­ti­sa­tion de don­nées per­son­nel­les
sen­si­bles comme le sont les don­nées de santé peut géné­rer des inquié­tu­des sus­cep­ti­bles de
nuire à la qua­lité de vie de cer­tains mala­des. Le DMP doit ici faire face à une dif­fi­culté qui ne
lui est pas spé­ci­fi­que mais qui ren­voie de façon plus géné­rale aux capa­ci­tés de notre société à
sécu­ri­ser la cir­cu­la­tion électronique des infor­ma­tions en géné­ral. A cet égard, le rôle de la
CNIL sera déci­sif.

Conclusion et pro­po­si­tions :

Le Comité dans son ensem­ble, estime que le DMP, tel qu’il est pro­posé, ne per­met­tra pas
d’attein­dre le but pour­suivi, à savoir d’asso­cier une meilleure coor­di­na­tion des soins
condui­sant à une amé­lio­ra­tion de leur effi­cience, de leur qua­lité, avec une meilleure uti­li­sa­tion
des dépen­ses pour un coût iden­ti­que ou dimi­nué.
Les rai­sons majeu­res invo­quées sont :
 1/ La prio­rité accor­dée aux carac­té­ris­ti­ques infor­ma­ti­ques du dos­sier cen­sées pou­voir
conduire au but recher­ché par la col­la­tion de don­nées pure­ment cli­ni­ques et bio­lo­gi­ques, sans
que soit prise en compte pré­ci­sé­ment la dimen­sion cli­ni­que de la rela­tion méde­cin/malade,
pour­tant essen­tielle, notam­ment dans la révi­sion éventuelle ou pério­di­que d’un diag­nos­tic ;
 2/ L’exi­gence éthique de res­pec­ter le droit des patients à mas­quer cer­tai­nes don­nées de santé dans leur dos­sier qui n’appa­raît pas conci­lia­ble avec les objec­tifs défi­nis ;
 3/ Le fait qu’en l’état actuel des choses aucun sys­tème infor­ma­ti­que ne soit sus­cep­ti­ble d’offrir des garan­ties abso­lues de bon fonc­tion­ne­ment ;
 4/ Les ris­ques impor­tants de levée de la confi­den­tia­lité du DMP liés à un croi­se­ment tou­jours pos­si­ble des don­nées entre divers dos­siers infor­ma­ti­ques ;
 5/ Le risque d’atteinte aux liber­tés indi­vi­duel­les au profit de cer­tains orga­nis­mes, notam­ment admi­nis­tra­tifs, finan­ciers ou assu­ran­tiels, en cas de non-com­mu­ni­ca­tion du contenu d’un dos­sier dont la mise en place aura été géné­ra­li­sée ;
 6/ Le coût exces­sif de la mise en place du sys­tème à l’échelle natio­nale face notam­ment,
d’une part aux résul­tats atten­dus, d’autre part à l’exis­tence d’autres prio­ri­tés en matière de
santé publi­que
n’ayant pas encore trouvé leur finan­ce­ment.
 Cependant le Comité est favo­ra­ble à la mise en place d’un DMP qui serait en mesure de
faci­li­ter le par­cours de soin de per­son­nes attein­tes de patho­lo­gies ou de han­di­caps au long
cours.
Ce DMP qui contien­drait les infor­ma­tions essen­tiel­les à la prise en charge de ces
patients pour­rait être utile aux pro­fes­sion­nels autant qu’aux usa­gers du sys­tème de santé
les­quels pour­raient béné­fi­cier en outre d’un enca­dre­ment de la part des asso­cia­tions
regrou­pant les per­son­nes mala­des, ou dans le cas d’enfants ou de sujets poly­han­di­ca­pés, leurs
famil­les.
 S’agis­sant des per­son­nes en situa­tion d’exclu­sion sociale et/ou de han­di­cap, le DMP, qui
s’adresse à des per­son­nes sus­cep­ti­bles de le gérer intel­lec­tuel­le­ment et maté­riel­le­ment, ne peut
être pro­posé en l’état. Il convien­drait de réflé­chir à l’amé­na­ge­ment du DMP pour faci­li­ter la
prise en charge de ces per­son­nes en termes de pré­ven­tion et de soins dans le res­pect de leur
auto­no­mie.
 Dans la mesure où les usa­gers du DMP seront uni­que­ment des volon­tai­res, la ques­tion
rela­tive au droit du mas­quage devien­dra mar­gi­nale.

En consé­quence, le Comité émet les pro­po­si­tions sui­van­tes :

1. Le DMP dans sa concep­tion actuelle ne peut être adopté pour chaque citoyen, à l’échelle natio­nale dans la mesure où il ne répond pas aux objec­tifs pour­sui­vis,
alors que son coût de mise en oeuvre est très élevé ;

2. Le DMP pour­rait être pro­posé aux condi­tions sui­van­tes :
 a. Pour des sujets volon­tai­res ;
 b. Atteints de mala­dies dont l’état néces­site l’inter­ven­tion de nom­breux pro­fes­sion­nels sur le long cours ;
 c. Ayant com­pris l’inté­rêt, pour eux de cons­ti­tuer un dos­sier infor­ma­tisé sus­cep­ti­ble d’assu­rer, notam­ment par l’exhaus­ti­vité des don­nées consi­gnées, l’opti­mi­sa­tion de la prise en charge de leur affec­tion par les
pro­fes­sion­nels de soin,
tant au plan diag­nos­ti­que, que thé­ra­peu­ti­que ;
 d. Possédant la clef d’entrée dans leur dos­sier avec la pos­si­bi­lité de n’en auto­ri­ser l’accès qu’aux per­son­nes de leur choix, et, en dehors de leur entou­rage proche (famille, per­sonne de confiance) uni­que­ment à celles qui
seront tenues au secret pro­fes­sion­nel ;
 e. N’encou­rant aucune sanc­tion en cas de refus d’accès à quel­que auto­rité ou orga­nisme que ce soit à un dos­sier dont eux seuls et les per­son­nes auto­ri­sées connaî­tront l’exis­tence ;
 f. La mise en place ini­tiale étant effec­tuée dans des régions pilo­tes, notam­ment dans celles ayant com­mencé à déve­lop­per une expé­ri­men­ta­tion en ce domaine ;
 g. Avec une évaluation des résul­tats obte­nus face aux objec­tifs pour­sui­vis au bout de 3 à 5 ans, et selon un ensem­ble de cri­tè­res défi­nis dès la mise en oeuvre de ce nou­veau DMP ;
 h. Avant exten­sion éventuelle à l’échelle natio­nale mais tou­jours uni­que­ment aux per­son­nes volon­tai­res.

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