Le Comité National d’Ethique réservé sur la T2A

9 novembre 2007

Le comité appelle les acteurs hospitaliers à « se réapproprier la dimension éthique des choix de santé » et stipule que "la Tarification à l’activité (T2A) s’adapte probablement mal à la prise en charge des maladies chroniques, des soins de suite, des soins palliatifs, des personnes âgées ou des enfants malades ou encore à la reconnaissance des actions de prévention, car elle ne prend pas en compte le temps passé auprès du malade pour l’écoute et l’examen clinique approfondi."

Le Comité consul­ta­tif natio­nal d’éthique pour les scien­ces de la vie et de la santé (CCNE) a rendu public le 7 novem­bre 2007 son avis sur "les enjeux éthiques de la contrainte économique bud­gé­taire sur les dépen­ses de santé en milieu hos­pi­ta­lier".

En voici les conclu­sions :

 Le carac­tère limité des moyens finan­ciers dévo­lus au sys­tème hos­pi­ta­lier impli­que des choix de société éthiques qui doi­vent conduire à des prises de posi­tion publi­ques.
La dimen­sion éthique de ces modes de déci­sions doit être clai­re­ment iden­ti­fiée dans les métho­des d’évaluation dont elle devrait être partie inté­grante. Une pra­ti­que d’évaluation qui ne retien­drait que des cri­tè­res para­mé­tra­bles quan­ti­ta­ti­ve­ment et ne pren­drait
pas en compte les cri­tè­res qua­li­ta­tifs et cette dimen­sion éthique ferait courir à l’hôpi­tal un risque grave de déshu­ma­ni­sa­tion, mais aussi fina­le­ment et prag­ma­ti­que­ment de sur­coût induit. S’agis­sant des choix poli­ti­ques, il n’est ni légi­time ni équitable d’en confier la res­pon­sa­bi­lité aux seuls acteurs hos­pi­ta­liers, alors qu’ils concer­nent la société toute entière.

 Le concept de ren­ta­bi­lité ne peut s’appli­quer à l’hôpi­tal de la même manière qu’à une acti­vité com­mer­ciale ordi­naire. En matière de santé toute pra­ti­que d’évaluation, quelle que soit sa valeur tech­ni­que propre, doit pren­dre en compte les mis­sions fon­da­men­ta­les de l’hôpi­tal et les inté­rêts sou­vent contra­dic­toi­res et conflic­tuels des « clients » du sys­tème de soins,
selon que ceux-ci, les mala­des, relè­vent du volet social, du volet thé­ra­peu­ti­que et tech­ni­que impli­quant la mise en oeuvre de trai­te­ments de haute tech­ni­cité, ou des deux. Cependant et au même titre, elle doit com­por­ter, dans un souci de bonne ges­tion des deniers publics dans le
cadre de la soli­da­rité natio­nale, une évaluation des pra­ti­ques pro­fes­sion­nel­les d’après les réfé­ren­tiels de bonnes pra­ti­ques.

 L’évaluation ne doit pas non plus faire obs­ta­cle à l’exer­cice du droit à un choix libre et éclairé dont béné­fi­cient les patients, qui est par­fois mis en
cause par des condi­tions d’une nature dif­fé­rente (comme l’auto­ri­sa­tion préa­la­ble d’usage de cer­tai­nes thé­ra­pies ou de cer­tains médi­ca­ments) - condi­tions qui doi­vent être défi­nies par concer­ta­tion entre les auto­ri­tés
poli­ti­ques et les par­te­nai­res sociaux.
Dans ce cas, la méde­cine ne peut éluder la néces­sité d’un contrôle économique de ses pra­ti­ques au nom de sa liberté de pres­crip­tion. Une évaluation qui n’est pas suivie d’une implé­men­ta­tion finit par être vide de sens. L’exem­ple de la fai­blesse des soins pal­lia­tifs en France (qui n’ont tou­jours pas de reconnais­sance uni­ver­si­taire) est frap­pant par l’écart qu’il y a entre le dis­cours et la mise en jeu.

 Comme pour toute appré­cia­tion d’ordre économique et finan­cier, celle de l’hôpi­tal doit mettre en balance les coûts et les recet­tes, l’actif et le passif. Mais ici les béné­fi­ces pour la col­lec­ti­vité ne se résu­ment pas aux
actes cotés par la T2A
effec­tués par les per­son­nels de l’établissement consi­déré. En effet les acti­vi­tés hos­pi­ta­liè­res peu­vent géné­rer des recet­tes et des pro­fits dans d’autres sec­teurs d’acti­vité. Il en est ainsi des actes tech­ni­ques, bio­lo­gi­ques ou phar­ma­ceu­ti­ques, effec­tués pour des mala­des exter­nes, ou pour d’autres établissements de soin.
Il en va de même pour la mise au point de nou­vel­les tech­ni­ques diag­nos­ti­ques et thé­ra­peu­ti­ques (sou­vent en col­la­bo­ra­tion avec les cen­tres hos­pi­talo-uni­ver­si­tai­res) qui à terme sont sus­cep­ti­bles de réduire glo­ba­le­ment le coût de la prise en charge de cer­tai­nes affec­tions, et qui peu­vent faire l’objet de dépôt de bre­vets.

Très posi­tif aussi est - et devrait être encore davan­tage - l’effet des actions de Prévention et d’Education pour la Santé, dont de nom­breu­ses études ont démon­tré l’impact posi­tif au plan économique, en termes de coûts directs et indi­rects (sur la meilleure adhé­sion au trai­te­ment et sur l’évitement de l’absen­téisme pro­fes­sion­nel, notam­ment).
Demander à l’hôpi­tal de résou­dre seul les ques­tions de pré­ca­rité abou­tit de fait à refu­ser de les pren­dre en compte. C’est à l’amont et à l’aval de l’uni­vers hos­pi­ta­lier que les solu­tions doi­vent être trou­vées. En effet, l’aban­don de l’accueil des per­son­nes vul­né­ra­bles en situa­tion pré­caire est pour­voyeur de divers coûts indi­rects pour la société.

 Les tâches aux­quel­les l’hôpi­tal doit faire face en termes de soin sont par nature mul­ti­ples, et ne se limi­tent pas aux seuls diag­nos­tic et trai­te­ment des mala­dies. Leurs com­po­san­tes médi­ca­les et socia­les
doi­vent être beau­coup mieux iden­ti­fiées et indi­vi­dua­li­sées. Ce qui n’est pas faci­le­ment évaluable par des cri­tè­res quan­ti­ta­tifs doit l’être selon d’autres modè­les, à défi­nir, et à mettre en oeuvre de manière pérenne.Cela néces­site d’asso­cier à la com­pé­tence d’économistes celle de méde­cins, de socio­lo­gues, de psy­cho­lo­gues voire de phi­lo­so­phes, dans des confi­gu­ra­tions qui pour­raient être struc­tu­rées par des ins­tan­ces
comme la Caisse Nationale de Solidarité.
Les dépen­ses excep­tion­nel­les pour mala­dies rares devraient après évaluation être prises en charge par une caisse spé­ci­fi­que. Cette caisse finan­cée selon les mêmes prin­ci­pes que la Caisse Nationale de Solidarité impli­que une mise en réseau des acteurs dans une fina­lité spé­ci­fi­que.

 Aucune méthode d’évaluation actuelle n’est à elle seule tota­le­ment adap­tée à toutes les mis­sions du sys­tème de santé hos­pi­ta­lier. La T2A est consé­quente d’une évaluation d’actes tech­ni­ques effec­tués au cours de diag­nos­tics ou de soins médi­caux ou chi­rur­gi­caux. En dehors de ces cir­cons­tan­ces, elle s’adapte pro­ba­ble­ment mal à la prise en charge des mala­dies chro­ni­ques, des soins de suite, des soins pal­lia­tifs, des per­son­nes âgées ou des enfants mala­des ou encore à la reconnais­sance des actions de pré­ven­tion, car elle ne prend pas en compte le temps passé auprès du malade pour l’écoute et l’examen cli­ni­que appro­fondi.D’autres cri­tè­res pre­nant en consi­dé­ra­tion les aspects qua­li­ta­tifs en santé,
comme par exem­ple le temps passé à l’écoute et à l’infor­ma­tion doi­vent donc être défi­nis pour évaluer les ser­vi­ces non tech­ni­ques rendus au patient. Ce n’est pas tel­le­ment la T2A qui est en cause que la notion
d’acte.

 Les acti­vi­tés d’ensei­gne­ment et de recher­che sont indis­pen­sa­bles à la pré­ser­va­tion et au déve­lop­pe­ment d’un sys­tème hos­pi­ta­lier effi­cace, notam­ment au sein des CHU mais, tout en res­tant de leur com­pé­tence, elles doi­vent faire l’objet d’une évaluation et d’une bud­gé­ti­sa­tion
spé­ci­fi­ques,
ce qui ne signi­fie pas exté­rio­ri­sa­tion du finan­ce­ment. En effet les CHU sont des acteurs majeurs de la recher­che bio­mé­di­cale et doi­vent contri­buer à leur finan­ce­ment. Il ne s’agit donc pas tel­le­ment d’iden­ti­fier un finan­ce­ment spé­ci­fi­que tou­jours dif­fi­cile à déter­mi­ner en raison du tis­sage étroit soin et recher­che, mais de reconnaî­tre ce fait majeur qui est leur contri­bu­tion essen­tielle.
Il en va de même des actions de Prévention et d’Education pour la Santé évoluant paral­lè­le­ment aux pro­grès des connais­san­ces. Leur finan­ce­ment devrait être envi­sagé sépa­ré­ment et adapté sur la durée en fonc­tion des résul­tats atten­dus.

Cet avis donne également des Recommandations :

Le CCNE recom­mande
 de réin­té­grer la dimen­sion éthique et humaine dans les dépen­ses de santé, afin de per­met­tre à l’hôpi­tal de rem­plir de manière équilibrée l’ensem­ble de ses mis­sions, et pas uni­que­ment les plus tech­ni­ques ou les plus spec­ta­cu­lai­res.
Sur le plan médi­cal, il convient d’avan­cer ici l’idée d’une méde­cine sobre, par oppo­si­tion à une méde­cine de la redon­dance. Cette redon­dance qui veut se donner des allu­res de pré­cau­tion n’est bien sou­vent que le masque d’une paresse intel­lec­tuelle et d’une peur à assu­mer des choix cou­ra­geux.

 d’adap­ter les échelles d’évaluation des acti­vi­tés en vue de trai­ter de manière appro­priée les dif­fé­ren­tes mis­sions de l’hôpi­tal, et, dans ce but, de déve­lop­per des modè­les spé­ci­fi­ques pour chaque grand objec­tif : soins rele­vant d’actes tech­ni­ques, soins rele­vant d’actions non
ins­tru­men­ta­les telles que Prévention, Education pour la Santé, accueil de tous les mala­des avec pré­ser­va­tion de la soli­da­rité et du lien social, enfin recher­che et inno­va­tion, diag­nos­tic et thé­ra­peu­ti­que.

 de se réin­ter­ro­ger sur la mis­sion pri­maire essen­tielle de l’hôpi­tal. Celle ci a en effet dérivé de sa mis­sion ori­gi­nelle d’accueil de la pré­ca­rité et de la mala­die, puis de sa mis­sion de recher­che et d’ensei­gne­ment, vers la
situa­tion actuelle qui fait de plus en plus de l’hôpi­tal un ser­vice public, indus­triel et com­mer­cial qui a pour consé­quence de débou­cher sur un primat absolu donné à la ren­ta­bi­lité économique, au lieu de conti­nuer à
lui confé­rer une dimen­sion sociale.

 d’ouvrir l’hôpi­tal à une dimen­sion réu­nis­sant le "sani­taire" et le "social" (dépen­dance, ado­les­cence, pré­ca­rité etc.), en pro­mou­vant autour de la
per­sonne une meilleure coo­pé­ra­tion de l’hôpi­tal hors les murs avec des struc­tu­res exté­rieu­res, comme les mai­sons de soins de longue durée, l’hos­pi­ta­li­sa­tion à domi­cile ou les unités de santé car­cé­rale, au sein du grou­pe­ment de coo­pé­ra­tion sani­taire (G.E.S.), sen­si­ble aux situa­tion
spé­ci­fi­ques de cer­tai­nes per­son­nes (accou­che­ment, grande pré­ca­rité).

 de s’assu­rer du main­tien du lien social pour éviter que la per­sonne ne sombre dans l’exclu­sion une fois le diag­nos­tic fait et le trai­te­ment entre­pris. Quelle logi­que est à l’oeuvre, si le succès médi­cal est suivi d’une mort sociale ?

 d’accor­der la plus grande atten­tion à la patho­lo­gie men­tale qui devrait être un axe prio­ri­taire compte tenu de son carac­tère para­dig­ma­ti­que de patho­lo­gie entre le médi­cal et le social, le bio­lo­gi­que et l’envi­ron­ne­ment,
l’indi­vidu et la société.

 d‘éviter d’affec­ter des sys­tè­mes de cota­tion à des usages pour les­quels ils ne sont pas les plus per­ti­nents ; s’agis­sant de la T2A, ces usages regrou­pent les actes dis­pen­sés notam­ment en psy­chia­trie, en géron­to­lo­gie, et en pédia­trie, où encore l’écoute et l’examen cli­ni­que
appro­fon­dis sont néces­sai­res au res­pect des bonnes pra­ti­ques.

Devraient aussi être jugées selon des cri­tè­res dif­fé­rents les autres mis­sions de ser­vice public de l’hôpi­tal, que la T2A n’est pas en mesure d’évaluer et donc de coter cor­rec­te­ment. Des éléments sup­plé­men­tai­res
(ou com­plé­men­tai­res), d’essence qua­li­ta­tive devront être inté­grés dans le sys­tème d’évaluation pour ne pas suc­com­ber à ce qui pour­rait être vécu comme une sorte de tyran­nie du « tout quan­ti­ta­tif ». La cota­tion
T2A devrait donc être limi­tée aux actes tech­ni­ques spé­cia­li­sés pour le diag­nos­tic et les soins.

 de ne pas négli­ger le "care" (pren­dre soin, prêter atten­tion) anglo-saxon au profit exclu­sif du "cure" (soi­gner). L’exem­ple des soins pal­lia­tifs en
est emblé­ma­ti­que.
La loi encou­rage leur pré­sence sans leur donner les moyens réels de fonc­tion­ne­ment. L’hôpi­tal répare mais les mala­des peu­vent aussi avoir besoin d’autres pres­ta­tions, comme le suivi, qui est
un des points forts de la Caisse Nationale de Solidarité.

 de rendre aux arbi­tra­ges leur dimen­sion poli­ti­que, sans les délé­guer aux seuls res­pon­sa­bles hos­pi­ta­liers, en appro­fon­dis­sant la concer­ta­tion entre les res­pon­sa­bles déci­sion­nels et l’ensem­ble des acteurs de santé,
par un par­te­na­riat per­ma­nent effec­tif entre tous et en impli­quant dans cette démar­che des ins­tan­ces telle que la Haute Autorité de Santé ou les Groupements Régionaux de Santé Publique (l’hôpi­tal devant être un obser­va­toire de l’état de santé de la région).

 De pren­dre en compte enfin le tissu social au sein duquel évolue l’hôpi­tal. Un envi­ron­ne­ment défa­vo­risé devrait jus­ti­fier un regrou­pe­ment de moyens spé­ci­fi­ques, adapté à la situa­tion réelle du lieu.

En conclu­sion, la garan­tie d’un accès juste aux soins de qua­lité n’est pas en contra­dic­tion avec une rigueur économique. L’adap­ta­tion per­ma­nente de l’offre de soins aux besoins démo­gra­phi­ques, aux modi­fi­ca­tions
épidémiologiques, aux pro­grès tech­no­lo­gi­ques jus­ti­fient plus que dans n’importe quelle acti­vité humaine des choix clairs, cou­ra­geux, expli­ci­tes aux yeux des citoyens, et en même temps sus­cep­ti­bles d’être sans cesse remis en
ques­tion en gar­dant comme objec­tif cen­tral le ser­vice rendu aux plus vul­né­ra­bles.

La ques­tion éthique posée par l’examen de la dimen­sion économique du soin explore la ten­sion entre l’auto­no­mie et la soli­da­rité, entre la liberté indi­vi­duelle et le bien public. Cette ten­sion ne peut rece­voir de réponse que
dans la recher­che d’équité, c’est-à-dire dans la jus­tice.

Document(s) joint(s) à l'article
CCNE avis T2A - (260.5 kio) - PDF
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