Formation infirmière : la France choisit l’impasse pendant que le monde avance

19 juin 2025

Mieux formés, les infirmiers sauvent plus de vies. C’est prouvé, documenté, validé. Mais la réforme française a choisi d’ignorer les preuves.

Lors du Congrès mondial des infirmières à Helsinki, un point a cristallisé l’attention : la durée de formation initiale. Dans le monde, sur 19 millions d’infirmières en poste, 31 % ont été formées en quatre ans. En Asie, cette proportion atteint 70 %. En Europe, elle est de 30 %. En Afrique, de 19 %. Ces chiffres ne sont pas théoriques. Ils traduisent une tendance nette à l’allongement de la formation dans les pays qui investissent dans des soins sûrs, efficaces et fondés sur des compétences avancées.

En France, la formation reste bloquée à trois ans. Un modèle instauré en 1979. Et reconduit, réforme après réforme, sans remise en question de sa durée. Ni en 1992. Ni en 2009. Ni dans la mouture actuelle prévue pour septembre 2026. Le gouvernement entend maintenir les trois années d’études, alors même que la loi infirmière votée en juin 2025 élargit fortement le périmètre d’action des professionnels infirmiers. Cherchez la cohérence.

À ce rythme, en 2040, la France n’aura toujours formé aucun infirmier généraliste en quatre ans.

Ce qui fait figure d’anomalie en Europe devient une politique assumée en France. Car ailleurs, les réformes ont déjà eu lieu. Belgique, Espagne, Finlande, Grèce, Irlande, Islande, Norvège, Portugal, Suède : tous ont fait le choix d’une formation en quatre ans. Pas pour le plaisir d’allonger les études. Mais pour améliorer la qualité des soins. Et les résultats sont là.

Les études scientifiques internationales sont formelles : une formation infirmière plus longue améliore significativement la sécurité des soins et réduit la mortalité hospitalière. Des travaux de référence, publiés dans des revues médicales reconnues, établissent un lien direct entre le niveau de formation des infirmières et les résultats des patients :
 Aiken et al. (2014) – The Lancet : une augmentation de 10 % des infirmières formées sur 4 ans entraîne une réduction de 7 % de la mortalité hospitalière.
 Tourangeau et al. (2007) – Nursing Research : les établissements avec plus d’infirmières diplômées en 4 ans constatent une diminution significative des décès à 30 jours après hospitalisation.
 Blegen et al. (2013) – Journal of Nursing Administration : des services comptant une majorité d’infirmières formées sur 4 ans enregistrent moins d’infections nosocomiales, moins de chutes et moins d’ulcères de pression.

Les données probantes indiquent bien que plus la formation est longue, plus les infirmiers identifient les signes de complications, agissent plus tôt, réduisent les erreurs médicamenteuses, les réhospitalisations, les infections nosocomiales. À la clé : moins de décès évitables.

Une année supplémentaire, c’est du temps pour développer les compétences cliniques. Mais aussi pour renforcer des domaines trop souvent survolés : santé mentale, soins critiques, pédiatrie, santé publique, gestion de parcours complexes. Dans un système de soins saturé, les pathologies ne se laissent plus enfermer dans des protocoles simples. La polyvalence ne suffit plus. Il faut des expertises croisées, et des soignants capables d’analyser, de prioriser, d’anticiper.

La profession infirmière n’a pourtant aucun problème d’attractivité. C’est même, chaque année, le premier vœu sur Parcoursup. Le problème est ailleurs. Sur 36.000 étudiants admis en première année d’IFSI, seuls 26.000 obtiennent leur diplôme trois ans plus tard. Et la déperdition continue après la Licence. Selon le rapport de mai 2023 de la DREES, la moitié des infirmières quittent l’hôpital dans les dix années suivant leur diplôme. Il ne reste donc qu’environ 13.000 professionnels réellement en poste. C’est un gâchis humain, un gâchis social, mais le gouvernement s’obstine.

L’épuisement professionnel ne commence pas à l’hôpital. Il commence à l’IFSI. Le programme est trop dense : 4.600 heures réparties sur trois ans, soit trois fois plus qu’une licence classique. Les abandons sont nombreux. L’idée d’une quatrième année ne vise pas à prolonger la charge, mais à mieux la répartir, à renforcer l’accompagnement, et à redonner du sens.

Cette année supplémentaire permettrait aussi un ancrage territorial des futurs diplômés. Un semestre de professionnalisation, sur le modèle du « docteur junior », avec un tutorat dédié et un compagnonnage en stage. Une passerelle concrète vers l’autonomie. Et un levier pour éviter la fuite des jeunes diplômés vers d’autres pays ou d’autres métiers.

Le gouvernement veut limiter les coûts de formation. Mais il faut se poser la vraie question : combien coûte une erreur médicamenteuse ? Une infection nosocomiale évitable ? Une réhospitalisation due à une surveillance insuffisante ?

Le Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI) alerte depuis des années sur ce paradoxe français : élargir les missions sans augmenter les moyens ni le temps de formation. « Ce n’est pas une année de plus, c’est une année pour faire la différence. Refuser d’augmenter la durée de formation, c’est priver la France d’un levier prouvé d’amélioration des soins. C’est, en somme, mettre en péril des vies qui pourraient être sauvées." précise Thierry Amouroux, le porte-parole du SNPI.

L’évolution des besoins de santé rend la question plus urgente encore. Vieillissement de la population, explosion des maladies chroniques, souffrance psychique, troubles du développement de l’enfant : les patients sont de plus en plus complexes, les situations plus instables, les parcours plus fragmentés. Former des infirmiers à la chaîne ne suffira pas. Il faut leur laisser le temps d’assimiler les savoirs pour utiliser des outils de décision, d’évaluation, de coordination.

Et pourtant, sur le terrain, les attentes changent. Les patients veulent comprendre, anticiper, agir avec leurs soignants. L’autonomie ne se décrète pas, elle se construit. Former mieux, c’est permettre aux infirmiers d’assurer des soins plus sûrs, de participer aux politiques de santé, de répondre aux défis sanitaires avant qu’ils ne deviennent des crises. Ce n’est pas une posture idéologique. C’est une exigence de qualité.

Dans ce contexte, la France prend du retard. Volontairement. L’OMS recommande des formations plus longues dans les pays à haut niveau de responsabilité infirmière. Le Conseil International des Infirmières, le SIDIIEF plaident en ce sens. Mais la France continue à penser ses soignants comme des auxiliaires médicaux, pas comme des professionnels de santé avec des compétences autonomes.

Alors pourquoi persister à limiter le temps de formation ?
Pourquoi retarder une réforme que tant d’autres pays ont déjà adoptée ?
Et surtout, combien d’années faudra-t-il encore attendre avant de considérer qu’un an de plus, c’est aussi des vies en moins perdues ?

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