De Bruxelles à Paris : le même combat pour protéger les patients et les vulnérables

24 novembre 2025

Quand un gouvernement décide de réduire massivement les dépenses publiques, ce ne sont jamais des chiffres qui trinquent en premier. Ce sont des patients qui attendent plus longtemps, des familles qui basculent dans l’angoisse, des travailleurs usés qui voient la retraite s’éloigner. C’est ce que vit aujourd’hui la Belgique, où une grève générale de trois jours paralyse le pays. Un mouvement d’une ampleur qu’on n’avait plus vue depuis quatre décennies, face à une cure d’austérité de 20 milliards d’euros qui frappe le cœur même de l’État social : la santé, la protection sociale et les retraites. Le SNPI apporte toute sa solidarité aux citoyens belges qui défendent leur modèle de solidarité et de protection sociale.

Ce soulèvement n’est pas un réflexe de blocage. Il est le fruit d’une inquiétude profonde, dans un pays où la solidarité était considérée comme un socle et non comme une variable d’ajustement comptable. Le monde du soin, du social, de l’éducation et des services publics converge, parce que tous voient la même mécanique se mettre en place : celle qui affaiblit les protections collectives et renvoie chacun à ses propres forces.

Les autorités affirment que la santé serait relativement préservée. Pourtant, les signaux venus du terrain sont sans ambiguïté. Les hôpitaux voient leurs marges de fonctionnement se réduire, les dispositifs de prévention sont comprimés, les professionnels rapportent un alourdissement des charges sans renforcement des effectifs, et la pression s’exerce désormais sur les malades de longue durée sommés de reprendre une activité.

Dans les consultations, dans les services, dans les structures d’accompagnement, les soignants décrivent des patients qui renoncent à se déplacer, qui retardent un examen, qui interrompent un traitement faute de suivi. Les délais s’allongent, les situations s’aggravent, les complications se multiplient.

"En Belgique comme en France, ce sont toujours les mêmes qui paient le prix : les personnes âgées isolées, les patients chroniques, les familles en situation de handicap, les personnes dont la santé dépend d’un accompagnement continu. Là où la prise en charge reposait sur la proximité, la confiance et la continuité, s’installe désormais la discontinuité, l’incertitude et la vulnérabilité accrue. La santé publique n’est pas un secteur où l’on coupe sans conséquence : chaque réduction d’enveloppe devient une fracture supplémentaire dans le quotidien des plus fragiles" alerte Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers SNPI.

En Belgique, la limitation strictement encadrée des allocations de chômage, la flexibilisation du travail nocturne et la diminution des dispositifs d’appui social composent un tournant historique. C’est une protection sociale qui se rétracte et laisse des pans entiers de la population à découvert.

Les travailleurs qui alternent périodes d’emploi et périodes de maladie se retrouvent pris en étau. Les jeunes en début de parcours sans soutien familial voient l’insécurité devenir un horizon concret. Les parents seuls cumulent charges éducatives et angoisse financière. Les associations le savent mieux que quiconque. Elles constatent l’augmentation des demandes d’aide, l’effritement des solidarités locales, la montée des isolements, et désormais, l’incapacité à compenser ce que l’État se retire de lui-même.

Lorsque les protections collectives se resserrent, les situations se fragilisent en cascade : alimentation dégradée, logement instable, santé mentale altérée, ruptures de parcours scolaires, isolement social. La précarité n’est pas un état : c’est un glissement. Et ce glissement s’accélère dès lors que l’État recule.

Le mouvement belge rappelle donc quelque chose d’essentiel : la santé publique n’est pas compatible avec l’austérité. Une société qui coupe dans la protection sociale coupe dans la santé de ses habitants, et par ricochet, dans sa capacité à vivre ensemble.

La réforme des retraites présentée comme incitative pour les carrières longues pèse en réalité sur ceux dont le métier abîme le corps. Les travailleurs du soin connaissent les articulations détruites, les lombalgies qui réveillent la nuit, l’épuisement qui ne se compense plus. Prolonger l’activité, pour eux, ne signifie pas améliorer le niveau de pension : cela signifie travailler jusqu’à la limite physique, parfois jusqu’à l’accident, souvent jusqu’à l’invalidité. Une retraite trop tardive n’est pas un droit, mais une illusion. Ce que cette réforme nie, c’est la réalité biologique et sociale des métiers essentiels. Travailler plus longtemps signifie pour eux : davantage de douleurs chroniques, davantage d’incapacités physiques, davantage de départs contraints avant l’âge officiel, moins de temps vécu dans la retraite, car l’espérance de vie en bonne santé des travailleurs manuels et soignants est inférieure de plusieurs années à la moyenne.

Un miroir pour la France

Si cette mobilisation belge résonne autant, c’est parce qu’elle parle aussi de nous. Notre pays connaît lui aussi la dégradation progressive de l’accès aux soins, la fermeture discrète mais continue de lits hospitaliers, la montée des renoncements, les contrôles renforcés sur les arrêts maladie, la réforme des retraites adoptée malgré l’usure professionnelle démontrée, les PLFSS orientés vers la réduction des dépenses plutôt que vers la prévention et la santé publique.

Dans les hôpitaux français, les soignants remplacent déjà les protections sociales défaillantes. Dans les EHPAD, les familles compensent ce que le système ne finance plus. Dans les territoires désertifiés, les patients apprennent à vivre avec l’absence de réponse médicale.

Ce qui se joue en Belgique n’est donc pas un phénomène local, mais un avertissement continental : l’austérité appliquée à la santé et au social crée des inégalités irréversibles. Et lorsque la protection recule, la société se fissure.

Pour les infirmières, pour les soignants, pour les travailleurs sociaux, cette mobilisation n’est pas extérieure. Elle touche au cœur même de ce qui fonde leur engagement : protéger la vie, prévenir la souffrance, préserver l’autonomie, accompagner la vulnérabilité. Soutenir ce mouvement, c’est rappeler que la santé est un bien commun, que la solidarité est une infrastructure sociale, et que la retraite est un droit conquis pour échapper à l’usure. Ce n’est pas un débat comptable, mais un choix de civilisation.

L’Europe entière se trouve devant un choix : considérer la population comme une charge à réduire, ou comme une communauté à protéger. Et si la Belgique nous rappelait aujourd’hui que ce qui tient vraiment un pays debout, ce ne sont pas ses économies budgétaires, mais sa capacité à ne laisser personne tomber ?

Voir également :
 En Belgique, grève monstre en vue pour s’opposer à la cure d’austérité voulue par le gouvernement
https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/11/23/greve-monstre-en-vue-en-belgique-pour-s-opposer-a-la-cure-d-austerite-voulue-par-le-gouvernement_6654542_3234.html

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