Hôpital : « La peur de l’erreur est constante »

5 janvier 2009

Interview sur LIBERATION.FR Recueillie par CORDÉLIA BONAL : Trois drames survenus pendant la période de Noël mettent en cause les hôpitaux et, pour beaucoup, leur manque de moyens. Retour sur les conditions de travail des soignants avec une infirmière d’un hôpital parisien.

Anne Larinier, infirmière depuis 1982, travaille à l’hôpital Saint-Joseph à Paris et est membre du Bureau National du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI - CFE-CGC).

Après le décès de deux enfants à la suite d’une erreur de médicament ou de dosage et celui d’un homme faute de place trouvée à temps, la ministre Roselyne Bachelot parle d’un manque d’organisation plutôt que d’un manque de moyens. Qu’en pensez-vous ?

Il y a un manque de personnel, c’est certain, en particulier à Noël où nous travaillons à flux tendu. Mais ça n’est que l’un des facteurs. Concernant les erreurs de médicament, il est évident qu’il y a un effort à faire sur l’étiquetage. Deux comprimés dosés différemment peuvent se ressembler en tout point. C’est arrivé à l’une de mes collègues : elle a fait une injection à un patient avec une ampoule qui portait le même logo que celle qu’il aurait fallu administrer. Le médecin est intervenu immédiatement et l’erreur n’a heureusement pas eu de conséquence grave, mais cela montre bien que le risque existe. Pour le personnel infirmier la peur de l’erreur est constante, on travaille avec une épée de Damoclès sur la tête.

Comment composez-vous avec ce stress ?

C’est un aspect qui n’est que très peu pris en compte dans la formation du personnel. Le stress vient moins de l’accumulation des heures de travail (même si nous pouvons travailler jusqu’à 12 ou 13 heures d’affilée) que du fait que nos tâches sont hachées tout le temps. On ne peut pas faire de tâche suivie : il faut dans le même temps faire un pansement, accueillir un patient, traiter l’administratif, répondre à l’appel d’un autre malade... Tout va de plus en plus vite, ce qui bien sûr accroît le stress. On ne peut plus concevoir les soins de la même façon.

Comme il faut libérer des lits, la durée moyenne de séjour est de plus en plus courte, donc on expédie l’accueil des patients. Il y a un décalage entre le travail prescrit et le travail réel : sur le papier, faire une toilette prend un quart d’heure. Mais pour un patient très dépendant, ça peut prendre une heure et demie. Il y a aussi l’agression verbale des patients, qui correspond à une évolution sociétale : on veut tout tout de suite. Mais les infirmières ne sont pas formées à ça, du coup certaines se laissent déborder.

Entre infirmières, parlez-vous de cette pression ?

Après ce qui s’est passé, le personnel était très mal, nous en avons beaucoup parlé. Nous comprenons bien sûr la douleur des familles, mais nous n’avons pas compris l’allongement de la garde à vue de l’infirmière. Sinon, d’ordinaire, on intériorise beaucoup. D’abord parce qu’il y a un turn-over de plus en plus important. On tourne sur plusieurs services, ce qui n’incite pas au collectif. Or c’est quelque chose qui soutient beaucoup, surtout quand on débute. Ensuite, c’est une profession qui suppose un engagement très fort. Certains s’oublient complètement, jusqu’au déni de soi. Ce n’est pas évident pour une infirmière d’arriver à admettre qu’on lui demande trop.

Quelles mesures permettraient d’améliorer les choses ?

Il faut arrêter de réorganiser les hôpitaux sans écouter ce que le personnel a à dire. Et il faudrait une vraie reconnaissance de notre travail. Aujourd’hui, les heures supplémentaires sont très mal reconnues et un temps plein de nuit n’est rétribué que 150 euros pas mois. C’est l’une des raisons pour lesquelles dans mon hôpital, qui vient de subir deux plans d’économie coup sur coup, l’ancienneté moyenne chez les infirmières est de sept ou huit ans seulement.

Source : http://www.liberation.fr/

Autre article :
Interwiew de Thierry Amouroux sur RTL

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