Les infirmières peuvent-elles sauver les urgences ?

Les infirmières peuvent-elles sauver les urgences ?

17 septembre 2019

Protocoles de coo­pé­ra­tion, infir­miè­res de pra­ti­que avan­cée (IPA) aux urgen­ces : entre­tien avec Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat natio­nal des pro­fes­sion­nels infir­miers SNPI CFE-CGC, paru sur "Egora" le 04.09.19 :
https://www.egora.fr/actus-pro/sys­teme-de-sante/50094-les-infir­mie­res-peu­vent-elles-sauver-les-urgen­ces-l-arri­vee-de-l?nopa­ging=1

Egora.fr : Agnès Buzyn est reve­nue lundi sur sa volonté de favo­ri­ser la délé­ga­tion de tâches aux urgen­ces en auto­ri­sant les infir­miè­res, sur pro­to­cole, à réa­li­ser des sutu­res et pres­crire des exa­mens d’ima­ge­rie. Y êtes-vous favo­ra­bles ?

Thierry Amouroux : À notre connais­sance, ce seraient les pre­miers pro­to­co­les de coo­pé­ra­tion arti­cle 51 [créés par la loi HPST de 2009, NDLR] aux urgen­ces. Déléguer les sutu­res et la pres­crip­tion d’ima­ge­rie, c’est une demande qui remonte des méde­cins. Ce sont des actes sou­vent réa­li­sés par les exter­nes et inter­nes. Il faut savoir que la suture est un acte pour l’ins­tant auto­risé aux seules infir­miè­res de bloc opé­ra­toire (Ibode).

L’évolution des actes est une bonne chose pour la pro­fes­sion, mais la forme – pro­to­cole de coo­pé­ra­tion – est une totale aber­ra­tion ! C’est un accord de gré à gré entre un méde­cin et une infir­mière, en dehors du cadre régle­men­taire habi­tuel posé par le code de santé publi­que. Il y a un vrai besoin d’évolution des com­pé­ten­ces infir­miè­res : le décret d’actes est bloqué depuis 2002. Que l’ensem­ble des infir­miè­res puis­sent avoir de nou­vel­les com­pé­ten­ces, avec une évolution de leur for­ma­tion, c’est très bien. C’est l’avenir avec les pro­blè­mes de démo­gra­phie médi­cale en géné­ral et de méde­cins urgen­tis­tes en par­ti­cu­lier.

Mais avec le pro­to­cole de coo­pé­ra­tion, c’est tota­le­ment dévoyé. Il n’y a pas de for­ma­tion natio­nale, il y aura celles qui auront le droit de faire et celles qui n’auront pas le droit, au sein d’un même ser­vice. Ça n’a pas d’inté­rêt pro­fes­sion­nel. Si le besoin de santé est avéré, il faut que ce soit une com­pé­tence natio­nale, une for­ma­tion natio­nale, un diplôme natio­nal.

La par­ti­ci­pa­tion au pro­to­cole serait valo­ri­sée pour les infir­miè­res à hau­teur de 100 euros brut par mois. Est-ce suf­fi­sant ?

Une "prime de coo­pé­ra­tion" avait déjà été annon­cée en juin, mais n’est tou­jours pas effec­tive. On est en tout cas loin de la demande des pro­fes­sion­nels en grève : une aug­men­ta­tion de 300 euros net par mois.

Tout cela ne résout pas le pro­blème de l’absence de lits d’hos­pi­ta­li­sa­tion, avec un record de 5 jours sur un bran­card cet été. [Aux urgen­ces de Saint-Etienne, en juillet, un sep­tua­gé­naire a passé 120 heures sur un bran­card, dénonce le col­lec­tif Inter-Urgences. NDLR.]

Les choses ne font que s’aggra­ver. Le rou­leau com­pres­seur conti­nue : après les 960 mil­lions d’euros reti­rés en 2018 à l’hôpi­tal public, ce sont 660 mil­lions qui sont reti­rés en 2019 par la cir­cu­laire tari­faire. Ce qui veut dire d’autres sup­pres­sions de postes et d’autres fer­me­tu­res de lits, ce qui entraine un nouvel engor­ge­ment des urgen­ces et une aug­men­ta­tion du nombre de lits-bran­cards dans les cou­loirs.

La minis­tre a annoncé la créa­tion du métier d’infir­mière de pra­ti­que avan­cée (IPA) aux urgen­ces… Était-ce une demande de la pro­fes­sion ?

Alors ça, c’est la bonne sur­prise !
Il faut savoir qu’il y a 330 000 IPA dans 25 pays. Il y a deux gran­des caté­go­ries : celles qui sui­vent des patho­lo­gies chro­ni­ques et celles qui se posi­tion­nent sur le pre­mier recours et sont déployées dans les déserts médi­caux, notam­ment aux Etats-Unis et en Australie. Pour l’ins­tant, en France, on est resté sur les patho­lo­gies chro­ni­ques (cancer, mala­dies réna­les, dia­bète etc.) et sur la psy­chia­trie. Avec la notion d’urgence, on rentre dans le pre­mier recours. C’est un pre­mier chan­ge­ment impor­tant.

Ce qui nous avait gênés, nous, dans la mise en place de la pra­ti­que avan­cée, c’est l’aspect coor­di­na­tion par un méde­cin : Le patient doit néces­sai­re­ment faire partie de sa patien­tèle. De fait, ça inter­dit l’exer­cice en désert médi­cal.

Là, aux urgen­ces, il y aura évidemment un méde­cin pré­sent. Mais néan­moins, on est vrai­ment dans le pre­mier recours. C’est une vraie évolution, dont on est vrai­ment contents. Même si avec le temps de for­ma­tion, les pre­miè­res diplô­mées n’arri­ve­ront qu’en juin 2022.

Le minis­tère avance plu­sieurs gran­des mis­sions, assez floues à ce stade : diag­nos­tic "à l’aide d’un algo­rithme", réa­li­sa­tion de cer­tains actes tech­ni­ques, pres­crip­tion d’ima­ge­rie… Un modèle ins­piré de l’étranger ?

Oui, ça se fait dans cer­tains pays, qui rai­son­nent par com­pé­tence et sont cons­cients que tout le monde ne peut pas tout faire étant donné les pro­blè­mes de démo­gra­phie. L’IPA a cinq années d’études -c’est le niveau de la sage-femme en France- et trois années d’expé­rience pro­fes­sion­nelle. Quand vous consul­tez une sage-femme, vous n’allez pas voir un gyné­co­lo­gue pour confir­mer le diag­nos­tic et le trai­te­ment de la sage-femme...

Les IPA ont atteint un niveau de com­pé­tence qui leur permet de suivre des patients. Mais je ne suis pas cer­tain que ces der­niers sor­tent des urgen­ces sans avoir vu un méde­cin, pour des rai­sons médico-léga­les. Néanmoins les choses auront été faites, il n’y aura pas besoin d’atten­dre deux heures pour le méde­cin pres­crive l’examen de radio­lo­gie. C’est un gain de temps pour les patients.

Quelle sera la rému­né­ra­tion de ces IPA ? Où en est-on sur ce dos­sier ?

C’est le grand flou. Le minis­tère s’est calé sur les pre­miè­res diplô­mées qui sor­ti­ront en juin pro­chain… Mais les 70 IPA qui ont suivi les mas­ters préexis­tants d’Aix-Marseille et Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, et qui ont été diplô­mées en juin der­nier, sont tou­jours payées comme infir­miè­res.

Combien d’IPA urgen­ces fau­drait-il ?

Dans un pre­mier temps, au moins une par ser­vice. Mais étant donné que 2 à 3 équipes se suc­cè­dent en 24 heures, un poste néces­site 4 sala­riés. En juin, lorsqu’Agnès Buzyn a annoncé consa­crer 15 mil­lions d’euros aux recru­te­ments, soit 350 "postes" de plus aux urgen­ces, ça fait en fait un demi-emploi phy­si­que par ser­vice…

Voir également :
- Exercice infir­mier aux urgen­ces : la minis­tre ne répond pas aux besoins (LCI, 03.09.19) https://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Exercice-infir­mier-aux-urgen­ces-la-minis­tre-ne-repond-pas-aux-besoins-LCI-03-09.html
- Urgences : état des lieux catas­tro­phi­que https://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Urgences-etat-des-lieux-catas­tro­phi­que-l-ete-de-tous-les-dan­gers.html
- Interview de Carmen Blasco, Secrétaire Générale du SNPI CFE-CGC : https://www.fran­cet­vinfo.fr/eco­no­mie/greve/greve-aux-urgen­ces/greve-aux-urgen­ces-por­trait-d-une-infir­miere-a-bout_3516477.html

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