Pénibilité infirmière : les contre-vérités de la Ministre de la Santé
8 avril 2010
Article rédigé en avril 2010.
Les infirmières sont des ingrates. En 2010, la Ministre de la Santé Roselyne Bachelot leur accorde un treizième mois, et elles ne sont pas contentes. Bachelot leur permet de profiter de cette revalorisation cinq ans de plus, et elles ne pensent qu’à leur retraite.
Les infirmières sont des menteuses. Elles prétendent qu’une IDE retraitée sur 4 est en invalidité, et que leur durée de vie est inférieure à celle d’une autre professionnelle. Elles racontent qu’une nouvelle diplômée sur deux arrête de travailler dans les cinq ans qui suivent leur diplôme.
Mais Roselyne Bachelot les a démasquées mercredi 7 avril 2010, en déclarant à l’Assemblée Nationale : "Est-ce que je peux rappeler que le taux de ceux qui partent à la retraite avec une invalidité est de 6,7% dans la totalité de la fonction publique hospitalière et de 4,7% pour les infirmières ? Est-ce que je peux rappeler que la gravité de l’invalidité ne cesse de baisser pour les infirmières ?", a interrogé Mme Bachelot.
http://www.assemblee-nationale.fr/13/seance/questions-differe.asp (cliquer sur accès vidéo du 7 avril, et déplacer le curseur pour aller sur 40 mn (Bachelot parle 2 mn)
Grace à elle, nous apprenons enfin que le métier d’IDE est nettement moins pénible que les autres emplois de la Fonction Publique Hospitalière, et « qu’une IDE qui part à 55 ans vivra encore 31 ans » (soit 86 ans). Pourtant, le rapport 2008 de la CNRACL (Caisse de Retraite) indique page 171 que l’âge moyen des femmes hospitalières pensionnées décédées en 2008 est de 78,8 ans (74,2 ans en invalidité) et page 179 que la durée moyenne de versement de la pension pour les pensionnés décédés en 2008 est de 20 ans.
Les infirmières sont "mauvaise langue". Elles pensent que ses chiffres lui ont été fournis par le même type d’experts qui prédisaient 40.000 morts H1N1 l’an dernier.
Les infirmières sont trop pointilleuses. Bachelot promet des milliers d’euros en 2015 pour celles qui arriveront à atteindre le dernier échelon de la future grille salariale. Elles prétendent que leur dernière revalorisation date de 20 ans (suite au mouvement de 1988), et qu’il faudra attendre décembre 2010 pour que les 200.000 infirmières touchent enfin de 32 à 46 euros brut de plus par mois, puis de nouveau une trentaine d’euros en juillet 2012, et enfin une dernière trentaine d’euros en juillet 2015.
Les infirmières sont méfiantes. Bachelot a visiblement sa propre vision de leur hausse salariale, de la pénibilité du métier, de la charge de travail. Le Parisien du 31.03.10 nous explique qu’il y a trop d’IDE et de médecin à l’AP-HP, à telle preuve « qu’à Pompidou, les effectifs passent de 1052 agents le matin à 77 personnes l’après-midi. » Quand va-t-on lire dans la presse que les infirmières passent leurs journées à boire le thé et à jouer aux cartes au lieu de s’occuper de leurs patients ?
Pour le SNPI CFE-CGC, la pénibilité du travail infirmier est de plusieurs natures (physique, psychique, mentale) :
– augmentation de la charge de travail : diminution de la durée moyenne de séjour, hausse de la gravité des cas (du fait du développement des alternatives à l’hospitalisation, des hôpitaux de jour, etc.), manque d’effectifs
– horaires perturbant la vie personnelle : travail de nuit, en horaires alternés, en "grande équipe", repos décalés ou supprimés, etc.
– manutention de malades ou de charges lourdes entrainant lombalgies et TMS
– exposition aux produits toxiques (produits de chimio, etc.)
La pression psychologique s’est aggravée ces dernières années avec :
– la peur des agressions, suite à une hausse de l’agressivité (particulièrement aux urgences), et à la médiatisation de certaines affaires
– un sentiment de solitude du fait du manque d’effectif
– la peur de l’erreur, liée à l’augmentation de la charge de travail et à la fatigue due aux heures supplémentaires non récupérées
Pour Thierry Amouroux, Secrétaire Général du syndicat infirmier de la CFE-CGC, « il y a une véritable insatisfaction au travail avec la distance entre ce que nous sommes, et ce que l’on nous demande de faire au quotidien. Il faut cesser de nous amener à enchaîner les actes de soins, au dépend du sens qui motive ces soins : l’infirmière a besoin de penser son action, et non d’être une simple exécutante d’actes techniques.
De plus en plus, nous quittons le travail en nous sentant coupable de ne plus pouvoir le faire comme nous aimerions : pas assez de temps pour prendre soin, expliquer un traitement, accompagner une personne en fin de vie, éduquer un malade chronique, etc. L’infirmière hospitalière a le sentiment d’être réduite à une technicienne spécialisée dans une usine à soins. »
La lecture de l’avis 2346 présenté au nom de la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale nous montre que la mesure de revalorisation salariale des infirmières est autofinancée à 90 % par une baisse du montant de leur retraite ! Selon la page 16 du rapport du Député Jacques Domergue : "L’application de la réforme, induira une charge pour les établissements publics de santé d’environ 100 millions d’euros en 2011, puis 200 millions d’euros en 2012, pour atteindre un rythme annuel de 500 millions d’euros en 2015 quand la réforme prendra pleinement effet."
Selon la page 17 du rapport : "Inversement, la suppression de la catégorie active aura pour effet de retarder le départ à la retraite des agents et donc de générer des économies importantes pour le régime de retraite de la fonction publique hospitalière, la CNRACL Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. On assistera en effet à d’une part une moindre charge de pensions, liée au décalage des départs, pour les régimes de retraite ; d’autre part un supplément de cotisation au titre des infirmiers qui prolongent leur activité."
Selon l’objectif visé par le ministère d’un taux d’option pour la catégorie A de 75 % parmi les infirmiers susceptibles de liquider leur retraite dans la décennie, « l’impact annuel de la mesure sur les comptes de la CNRACL serait un gain total de : 90 millions en 2011, 184 millions en 2012, 439 millions en 2015" En résumé, ce document de la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale nous montre que l’on nous prend d’une main ce que l’on nous donne de l’autre !
L’article 30 ne répond pas aux besoins de fidélisation et d’attractivité de la profession, et aura pour seul effet de baisser les pensions de retraites des infirmières, alors qu’elles sont déjà proches du minimum vieillesse (aujourd’hui la pension complète n’est atteinte qu’avec 41 ans de cotisations (soit 62 ans) et que les infirmières partent en moyenne épuisées à 57 ans).
Intervention de Bachelot : http://mailing.gsan.org/files/ml_GSAN/QA_IssindouSRC_07042010.pdf
"Quant au débat sur la pénibilité, je crains qu’il ne tourne court dans ce domaine. Puis-je rappeler certains chiffres ? L’espérance de vie des infirmiers et infirmières à 55 ans est de 31,6 ans, exactement comme celle de la moyenne des femmes françaises."
"Puis-je rappeler que la file active des retraités invalides est de 17 % pour les infirmiers et infirmières, alors qu’elle représente 27 % des effectifs de la fonction publique hospitalière ?
Puis-je rappeler que le taux de ceux qui partent à la retraite avec une invalidité est de 6,7 % dans la totalité de la fonction publique hospitalière et de 4,7 % pour les infirmières ?"
"Puis-je rappeler que la gravité de l’invalidité ne cesse de baisser pour les
infirmières ? De 56 % il y a quinze ans, le taux est passé à 41 % en 2008.
Voilà les chiffres, mesdames et messieurs les députés. Ils vous gênent peut-être, mais ce sont les chiffres de la vérité !"
Voir également :
– http://www.espaceinfirmier.com/actualites/detail/70190-publication-1/une-petition-pour-la-reconnaissance-de-la-penibilite-infirmiere.html
– http://www.jim.fr/en_direct/pro_societe/e-docs/00/02/28/D4/document_actu_pro.phtml
– http://www.infirmiers.com/actualites/revue-de-presse/une-petition-pour-la-penibilite-des-soignants-dans-le-secteur-public.html
– Pénibilité : les dix facteurs de risques professionnels
http://www.syndicat-infirmier.com/Penibilite-les-dix-facteurs-de.html
– Pénibilité et Travail de nuit
http://www.syndicat-infirmier.com/Penibilite-et-Travail-de-nuit.html
– Pénibilité : compte personnel de prévention
http://www.syndicat-infirmier.com/Penibilite-compte-personnel-de.html
– Prévention des risques professionnels : orientation santé
http://www.syndicat-infirmier.com/Prevention-des-risques.html
– Pénibilité du travail en hôpital psychiatrique
http://www.syndicat-infirmier.com/Penibilite-du-travail-en-hopital.html
– Travail de nuit : impact sur les conditions de vie des salariés
http://www.syndicat-infirmier.com/Travail-de-nuit-impact-sur-les.html