Pénurie infirmière et ubérisation de l’hôpital : des CDD à 3000 euros plus 7000 euros de prime

Pénurie infirmière et ubérisation de l'hôpital : des CDD à 3000 euros plus 7000 euros de prime

22 janvier 2022

L’Agence régio­nale de santé (ARS) d’Île-de-France a annoncé la mise en place d’un nou­veau dis­po­si­tif jusqu’au 28 février : tout établissement de santé fran­ci­lien (public, privé, Ehpad) pourra recru­ter en CDD des infir­miers au salaire de 3085 euros brut avec une prime de 4000 euros pour un CDD de 6 mois et de 7000 euros pour un CDD de 9 mois, pour "une acti­vité à temps plein s’ajou­te­ront l’indem­nité de pré­ca­rité et l’indem­ni­sa­tion des congés qui n’auront pas pu être pris. Il y a envi­ron 3000 postes vacants en Ile-de-France selon notre der­nière étude, et 20% des lits à cause des ses absen­ces, c’est énorme", selon le direc­teur de l’offre de soin de l’ARS.

Ce dis­po­si­tif expé­ri­men­tal peut répon­dre aux atten­tes d’un cer­tain nombre de pro­fes­sion­nels qui ne cher­chent pas un contrat stable et jusque-là font de l’inté­rim.

"Mais les infir­miers qui sont fonc­tion­nai­res hos­pi­ta­liers sont inter­pel­lés : ces agents tra­vaillent depuis des années à l’hôpi­tal ; ils ont affronté les deux ans de Covid et com­mence avec un salaire de 1800 euros. Ils sont net­te­ment moins payés que cette force d’appoint. Il y a un sen­ti­ment d’injus­tice et de déca­lage pour ceux qui sont dans l’ins­ti­tu­tion et res­tent malgré des condi­tions de tra­vail dif­fi­cile." pour Thierry Amouroux, porte-parole du syn­di­cat natio­nal des pro­fes­sion­nels infir­miers SNPI CFE-CGC.

L’infir­mière hos­pi­ta­lière débute à 2363 euros brut (1er échelon ISGS grade 1). Sa col­lè­gue avec ce CDD per­ce­vra 3862 euros brut (les 3085 euros brut plus 777 euros de la prime de 7000 euros sur 9 mois) soit 63% de plus ! Deux poids, deux mesu­res !

Pire, dans le sec­teur privé lucra­tif, une infir­mière en début de car­rière à la FHP (Fédération de l’hos­pi­ta­li­sa­tion privée) peut débu­ter à seu­le­ment 1.833,16 € brut par mois en incluant la rému­né­ra­tion annuelle garan­tie (RAG).

"En fait, on ne remer­cie pas leur fidé­lité à l’hôpi­tal malgré des condi­tions de tra­vail dégra­dées, avec une mul­ti­pli­ca­tion des heures sup­plé­men­tai­res. Les soi­gnants sont épuisés et ont du mal à com­pren­dre qu’il y a un tel déca­lage par rap­port à ces per­son­nes qui vont être recru­tés en CDD en ren­fort."

Le risque est aussi l’ubé­ri­sa­tion de l’hôpi­tal : "Il faut cons­ti­tuer un col­lec­tif de tra­vail. Il faut que les gens se connais­sent, aient l’habi­tude de tra­vailler ensem­ble. Faire appel à des forces d’appoint, c’est mieux que rien, mais ce sont des soi­gnants qui arri­vent sans connaî­tre la patho­lo­gie, les pro­to­co­les par­ti­cu­liers du ser­vice, c’est une vraie dif­fi­culté de fonc­tion­ne­ment. Une équipe, ce n’est pas une somme d’indi­vi­dus."

Pourquoi recru­ter en CDD de 9 mois non renou­ve­la­ble, alors qu’il existe déjà à l’hôpi­tal une équipe de sup­pléance cons­ti­tuée d’infir­miers titu­lai­res, qui vont au sein de l’établissement com­bler les absen­ces ponc­tuel­les dans les ser­vi­ces ? Pas besoin de pré­ca­ri­ser les soi­gnants : ceux-là peu­vent déjà rem­pla­cer dans divers endroits tout en étant payé par l’établissement.

Dans la fonc­tion publi­que hos­pi­ta­lière FPH, la part de fonc­tion­nai­res conti­nue de dimi­nuer années après années pour attein­dre 68,1 % en 2019. Cette nou­velle ini­tia­tive vise encore à pré­ca­ri­ser le tra­vail, à réduire la part de soi­gnants sous statut. Dans la fonc­tion publi­que hos­pi­ta­lière, 77,8 % des contrac­tuels sont concen­trés dans la filière soi­gnante, notam­ment dans les EHPAD et dans les dif­fé­rents établissements médico-sociaux. Dans la FPH, les femmes repré­sen­tent 78% des effec­tifs, en tant que sages-femmes, pué­ri­cultri­ces, infir­miè­res ou aides-soi­gnan­tes.
https://www.insee.fr/fr/sta­tis­ti­ques/5232488#­ti­tre-bloc-13

Pour com­bler les postes vacants à l’hôpi­tal, il faut rou­vrir des lits, créer des postes avec une charge de tra­vail com­pa­ti­ble avec la qua­lité des soins, et reva­lo­ri­ser les salai­res. Les soi­gnants quit­tent l’hôpi­tal du fait de la perte de sens, et des condi­tions de tra­vail déplo­ra­bles car l’admi­nis­tra­tion les fait tra­vailler sous-payés en sous-effec­tifs. Les normes inter­na­tio­na­les c’est 6 à 8 patients par infir­mière selon les patho­lo­gies, mais la situa­tion en France c’est sou­vent 15 patients par infir­mier.

Ce risque d’ubé­ri­sa­tion de la santé a été dénoncé le 22 jan­vier sur Franceinfo, par Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI CFE-CGC)

Franceinfo : Que pensez-vous de cette mesure ?

Thierry Amouroux : Cela donne un sen­ti­ment d’injus­tice chez les pro­fes­sion­nels infir­miers qui sont restés en place à l’hôpi­tal malgré la dégra­da­tion des condi­tions de tra­vail et les heures sup­plé­men­tai­res. Eux sont sous-payés : une infir­mière débute à 1.800 euros nets et va voir arri­ver ces inté­ri­mai­res qui seront payés 3.000 euros brut, plus cette fameuse prime qui revient à-peu-près à 800 euros par mois sur neuf mois.

Mais argent veut dire que la moti­va­tion des infir­miers est basse et qu’il faut les aider de cette façon-là ?

Vu le déca­lage de paye, ça risque d’avoir l’effet inverse. Vous avez une pro­fes­sion qui est sous-payée en France, nous sommes à moins 10% sous le salaire infir­mier euro­péen. On a l’impres­sion qu’on incor­pore des mer­ce­nai­res dans l’armée régu­lière. Des gens qui sont à l’hôpi­tal aujourd’hui peu­vent se dire "mais pour­quoi rester à être sous-payé alors que je peux pren­dre ce statut de contrac­tuel ?" C’est un risque d’ubé­ri­sa­tion de la santé.

Ces 3.000 postes vacants en Ile-de-France sont liés à quoi ?

À la dégra­da­tion conti­nue des condi­tions de tra­vail : des rap­pels sur repos, des heures sup­plé­men­tai­res, une perte de sens entre ce que nous sommes et ce que l’admi­nis­tra­tion nous demande de faire. Avec la tari­fi­ca­tion à l’acte vous avez une stan­dar­di­sa­tion des soins qui ne convient pas à une pro­fes­sion comme la nôtre, où l’on est là pour pren­dre soin du patient dans sa glo­ba­lité.

- https://www.fran­cet­vinfo.fr/sante/pro­fes­sions-medi­ca­les/primes-pour-atti­rer-les-infir­miers-en-ile-de-france-il-y-a-un-risque-d-ube­ri­sa­tion-de-la-sante-alerte-le-syn­di­cat-natio­nal-des-pro­fes­sion­nels-infir­miers_4925977.html
- https://www.fran­ce­bleu.fr/infos/sante-scien­ces/penu­rie-de-per­son­nels-a-l-hopi­tal-une-prime-excep­tion­nelle-pour-recru­ter-des-infir­miers-1642589378
- https://www.euro­pe1.fr/sante/hopi­tal-des-primes-accor­des-a-des-infir­mie­res-en-cdd-font-grin­cer-des-dents-4089276
- https://www.lepa­ri­sien.fr/societe/sante/penu­rie-din­fir­mie­res-en-ile-de-france-une-prime-au-cdd-pour-sauver-lho­pi­tal-18-01-2022-UH3RAXHIFRCLPMWT76WKYOUOWQ.php

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