ARS, gouvernance et refondation de la santé

Institut santé ARS gouvernance

2 juillet 2023

Nous sommes plus de 100 professionnels de santé de tous secteurs, au sein de l’Institut Santé animé par Frederic Bizard, à estimer dans une tribune que la refonte de la gouvernance est un chantier prioritaire pour sortir notre système de santé de la crise actuelle. Les ARS n’ayant pas démontré leur efficacité, les signataires (dont Thierry Amouroux) suggèrent de ramener les services de l’Etat en santé publique dans les Préfectures. (Tribune publiée dans Le Monde le 9/06/2023)

Alors que la refon­da­tion de notre sys­tème de santé est ins­crite dans l’agenda poli­ti­que, la réforme de la gou­ver­nance de ce sec­teur est sans doute la réforme la plus consen­suelle et la plus restruc­tu­rante.

La gou­ver­nance dési­gne l’ensem­ble des déci­sions, règles et pra­ti­ques visant à assu­rer le fonc­tion­ne­ment opti­mal d’une orga­ni­sa­tion (ici la santé), ainsi que les orga­nes struc­tu­rels char­gés de for­mu­ler ces déci­sions, règles et pra­ti­ques, de les mettre en œuvre et d’en assu­rer le contrôle.

Nous allons cen­trer notre ana­lyse sur le big bang initié en 1996 (ordon­nan­ces Juppé) et fina­lisé en 2009 (loi Bachelot) qui a conduit à l’ins­tau­ra­tion des agen­ces régio­na­les de santé (ARS).

La greffe des ARS n’a pas pris

Une des rai­sons de la créa­tion des ARS était de dis­po­ser d’un pilo­tage unifié de la santé, inté­grant le sani­taire et le médico-social à tra­vers des « Préfets sani­tai­res régio­naux », exté­rieurs au corps pré­fec­to­ral ins­ti­tué par Napoléon en 1800.

Outre cette volonté d’uni­fi­ca­tion propre à la santé, la créa­tion des ARS s’ins­cri­vait dans une volonté de renou­vel­le­ment des modes d’action publi­que venue des pays anglo-saxons et nor­di­ques. Cette vague, dite d’« agen­ci­fi­ca­tion » a connu une expan­sion rapide en France condui­sant à la créa­tion de 1244 agen­ces publi­ques, dont les 19 ARS. C’est la per­ti­nence de cette voie qui est en ques­tion aujourd’hui pour la santé.

Avec l’ins­tau­ra­tion des ARS en 2010, force est de cons­ta­ter que l’on est passé d’un modèle décen­tra­lisé et déconcen­tré de l’État en santé – autour des ex-direc­tions régio­na­les et dépar­te­men­ta­les des affai­res sani­tai­res et socia­les -, à un modèle peu déconcen­tré et pas du tout décen­tra­lisé.

Le crash-test de la crise Covid a été un révé­la­teur des limi­tes du modèle ARS, pri­son­nier de son orga­ni­sa­tion bureau­cra­ti­que et pas assez connecté aux acteurs et aux ter­ri­toi­res. Le préfet, en région et en dépar­te­ment, a été le vrai pilote de la coor­di­na­tion des actions et de la trans­mis­sion des ins­truc­tions natio­na­les de l’État lors de la Covid. Au point qu’il est main­te­nant offi­ciel­le­ment le seul patron de la ges­tion des futu­res crises sani­tai­res.

Le but d’uni­fier et de ren­for­cer l’action de l’État pour amé­lio­rer la ges­tion de la santé dans les ter­ri­toi­res a également échoué. L’État sani­taire en mode agence se montre lar­ge­ment impuis­sant à gérer la crise de l’hôpi­tal public, la déser­ti­fi­ca­tion médi­cale, le déploie­ment du numé­ri­que, la flui­dité des par­cours des patients chro­ni­ques…

Enfin, la mis­sion réga­lienne prio­ri­taire de l’État est de garan­tir la sécu­rité de toute nature des citoyens : phy­si­que, économique, social, sani­taire. Le scan­dale des Ehpad a montré l’impuis­sance des ARS à pré­ve­nir les déri­ves et à les cor­ri­ger. A cela s’ajoute main­te­nant les pertes de chance dues au déclin de l’accès aux soins.

Malgré le réel dévoue­ment du per­son­nel de ces ARS pour l’État, leur bilan fac­tuel impose aux res­pon­sa­bles poli­ti­ques de reconsi­dé­rer cette gou­ver­nance publi­que sani­taire.

La com­pé­tence réga­lienne des pré­fets s’impose en santé publi­que

Le préfet est le dépo­si­taire de jure de l’auto­rité de l’État dans les dépar­te­ments depuis plus de 200 ans, et sous forme d’admi­nis­tra­tion régio­nale depuis le décret du 14 mars 1964. Il est le repré­sen­tant du Premier Ministre et de chacun des Ministres, et est le garant de la cohé­rence de l’État dans les régions et dépar­te­ments. L’inté­gra­tion de la com­pé­tence sani­taire sous la tutelle des pré­fets n’est pas un big bang mais un retour à l’orga­ni­sa­tion ori­gi­nel de l’État fran­çais.

La réforme des régions de 2014 a créé 13 régions en métro­pole, trop gran­des pour nombre d’entre elles pour pilo­ter la santé qui est avant tout une affaire locale. Les ser­vi­ces sani­tai­res de l’État en local doi­vent être for­te­ment inté­grés dans les ter­ri­toi­res, pro­ches de tous les acteurs et armés de com­pé­ten­ces tech­ni­ques en santé publi­que.

Le préfet de dépar­te­ment, à condi­tion de lui rat­ta­cher cer­tai­nes com­pé­ten­ces de santé publi­que (comme la santé sco­laire et la santé au tra­vail), est, de par son exper­tise, son image et son auto­rité, la per­sonne de choix pou­vant rem­plir ce rôle. Il a l’exper­tise de col­la­bo­rer au quo­ti­dien avec les opé­ra­teurs publics et privés locaux, et est l’inter­lo­cu­teur natu­rel des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­ria­les au nom de l’État. Le niveau régio­nal en santé est davan­tage un échelon de stra­té­gie, de coor­di­na­tion et d’inves­tis­se­ment, qui cor­res­pond aux res­pon­sa­bi­li­tés des pré­fets de région.

De plus, l’évolution indis­pen­sa­ble de notre sys­tème de soins vers une appro­che de santé glo­bale, qui dépasse le cura­tif et intè­gre tous les déter­mi­nants de santé (économiques, sociaux, envi­ron­ne­men­taux, qua­lité de vie), plaide pour un retour de la tutelle des pré­fets en santé publi­que. C’est le rôle de ces der­niers de coor­don­ner les poli­ti­ques publi­ques trans­ver­sa­les, tout en lais­sant une auto­no­mie aux acteurs.

Un chan­tier au sein d’une réforme sys­té­mi­que

Cette réforme de la gou­ver­nance pro­po­sée par l’Institut Santé n’a de sens que si elle s’intè­gre dans une refonte glo­bale du sys­tème et de son finan­ce­ment. Entre autres, elle devrait s’accom­pa­gner de la créa­tion d’un ser­vice public ter­ri­to­rial de santé pilo­tée par la bran­che santé de la sécu­rité sociale, qui en garan­ti­rait l’auto­no­mie opé­ra­tion­nelle et l’effi­cience.

Ce retour aux sour­ces de l’orga­ni­sa­tion de l’État ne sera pas une baguette magi­que pour régler l’ensem­ble des pro­blè­mes de notre sys­tème de santé. Cependant, c’est une réforme qui com­bine des ingré­dients inté­res­sants dans le contexte actuel. Elle est lar­ge­ment consen­suelle, source d’économies signi­fi­ca­ti­ves en dépen­ses publi­ques (admi­nis­tra­ti­ves) et un vrai levier pour ini­tier la trans­for­ma­tion de notre sys­tème de santé vers un modèle pré­ven­tif et global dit de santé publi­que.

Enfin, si l’État consi­dère que la santé est véri­ta­ble­ment un sujet cen­tral dans notre société du XXIème siècle, si la France veut recou­vrer un sys­tème de santé de réfé­rence à l’échelle mon­diale, il doit alors uti­li­ser son mode d’admi­nis­tra­tion ter­ri­to­riale le plus effi­cace uti­lisé pour ses mis­sions réga­lien­nes.

L’ensem­ble des signa­tai­res de cette tri­bune ont par­ti­cipé à la réflexion menée par l’Institut Santé, centre de recher­che indé­pen­dant et trans­par­ti­san dédié à la refon­da­tion du sys­tème de santé fran­çais, com­posé d’un col­lec­tif de per­son­na­li­tés du milieu médi­cal, uni­ver­si­taire et de la recher­che.

liste des signa­tai­res :

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