Déprescription : rôle infirmier, notamment auprès des ainés polymédiqués

17 novembre 2024

Un médi­ca­ment inu­tile est un risque de trop. Les infir­miers, en pre­mière ligne, peu­vent aider à revoir la balance béné­fice risque pour sauver des vies. S’il ne faut jamais arrê­ter un médi­ca­ment sans l’avis d’un méde­cin, chaque médi­ca­ment pres­crit doit être régu­liè­re­ment réé­va­lué : est-il tou­jours utile ? Quels sont ses inconvé­nients ? Faut-il conti­nuer à le pren­dre, chan­ger de médi­ca­ment, réduire les doses ?

Chaque jour, des mil­liers de per­son­nes âgées sui­vent des trai­te­ments com­plexes, accu­mu­lant sou­vent dix médi­ca­ments ou plus. Cette poly­mé­di­ca­tion, au-delà de cer­tains seuils, peut entraî­ner des effets néfas­tes : ris­ques accrus de chutes, effets secondai­res graves, et hos­pi­ta­li­sa­tions fré­quen­tes. Pourtant, la réé­va­lua­tion des ordon­nan­ces reste une excep­tion, tandis que la simple rou­tine de repres­crire se per­pé­tue tous les six mois, sans remise en ques­tion.

La dépres­crip­tion, une pra­ti­que encore trop méconnue, consiste à réduire ou à cesser les trai­te­ments dont les béné­fi­ces ne com­pen­sent plus les ris­ques. Ce pro­ces­sus ne s’impro­vise pas : il doit être enca­dré par un méde­cin, mais l’infir­mier, du fait de sa proxi­mité avec le patient, joue un rôle essen­tiel. Leur exper­tise en fait des média­teurs pri­vi­lé­giés entre le méde­cin et le patient, notam­ment dans le cadre de la poly­mé­di­ca­tion des per­son­nes âgées.

Pour Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI, "dans le cadre de son Code de Déontologie, l’infir­mière à un rôle de média­teur entre le méde­cin et le patient âgé poly­mé­di­qué, car dans son rôle auto­nome, en tant que pra­ti­cienne, elle a une res­pon­sa­bi­lité dans le cadre d’une pres­crip­tion médi­cale. Notre vigi­lance aide à iden­ti­fier les trai­te­ments deve­nus poten­tiel­le­ment dan­ge­reux et à encou­ra­ger une évaluation régu­lière, du fait du lien de confiance avec le patient. »

Cette vigi­lance est d’autant plus néces­saire que les don­nées par­lent d’elles-mêmes : en France, 21,7 % des hos­pi­ta­li­sa­tions des per­son­nes âgées sont direc­te­ment liées aux effets indé­si­ra­bles des médi­ca­ments. Les per­son­nes âgées ont sou­vent une ordon­nance impres­sion­nante, alors que pren­dre 10 médi­ca­ments ou plus par jour est asso­cié à deux fois plus de risque de faire une chute chez les per­son­nes de plus de 60 ans. Ces chif­fres révè­lent l’urgence de repen­ser l’appro­che des trai­te­ments chro­ni­ques. L’arti­cle R 4312-42 du Code de la Santé Publique consa­cre d’ailleurs le rôle de l’infir­mier, qui doit véri­fier une pres­crip­tion en cas de doute, et, face à un risque mani­feste, adop­ter une atti­tude garan­tis­sant la sécu­rité du patient.

L’expé­rience cana­dienne illus­tre les résul­tats pos­si­bles : des bro­chu­res expli­ca­ti­ves ont été envoyées aux per­son­nes âgées qui pre­naient depuis un cer­tain temps des ben­zo­dia­zé­pi­nes (tels que Xanax, Lexomil, Témesta, Séresta, Stilnox, Imovane). Ces médi­ca­ments per­dent en effi­ca­cité au cours du temps et pro­vo­quent des effets indé­si­ra­bles impor­tants (fati­gue, chutes, trou­bles de la mémoire, etc.). C’est pour­quoi leur usage chro­ni­que est par­ti­cu­liè­re­ment déconseillé aux per­son­nes de plus de 65 ans.

Leur docu­ment expli­que en lan­gage très simple les ris­ques asso­ciés à cette prise. Il pro­pose un plan de sevrage, c’est-à-dire un guide pour décroî­tre les doses et fina­le­ment arrê­ter, car les ben­zo­dia­zé­pi­nes doi­vent géné­ra­le­ment être stop­pées pro­gres­si­ve­ment. La bro­chure invite bien sûr le lec­teur à consul­ter un méde­cin avant de cesser tout médi­ca­ment. Informées des dan­gers et d’un plan de sevrage, plus de la moitié des per­son­nes contac­tées ont réussi à cesser leur trai­te­ment après une dis­cus­sion avec un pro­fes­sion­nel de santé. Une réus­site signi­fi­ca­tive pour des médi­ca­ments répu­tés dif­fi­ci­les à arrê­ter.

Les infir­miers, au cœur du par­cours de soins, ont donc un rôle de sen­si­bi­li­sa­tion essen­tiel. En tant qu’éducateurs en santé, ils peu­vent expli­quer aux patients l’impor­tance de com­pren­dre et de gérer leurs trai­te­ments. Une impli­ca­tion qui s’avère capi­tale, sur­tout dans les régions où la poly­mé­di­ca­tion est plus fré­quente.

L’Institut de recher­che et docu­men­ta­tion en économie de la santé (IRDES) a montré que les patients âgés poly­mé­di­qués (pre­nant 10 médi­ca­ments et plus par jour) rési­dent davan­tage dans le nord de la France (Nord, Pas-de-Calais, Somme, Aisne, Ardennes) et dans quel­ques dépar­te­ments du Centre (Cantal, Corrèze, Creuse, Cher) plutôt qu’à Paris. "Cette dis­pa­rité ter­ri­to­riale montre que le niveau d’impli­ca­tion du patient joue un rôle en la matière, or en tant qu’éducatrice de santé l’infir­mière doit éclairer l’ensem­ble des patients sur l’impor­tance de pren­dre en main leur trai­te­ment, et d’en parler avec leur méde­cin" estime Thierry Amouroux.

La conci­lia­tion médi­ca­men­teuse est un exem­ple concret de cette démar­che proac­tive. Le Collège de la HAS (Haute Autorité de Santé) l’a défi­nie comme « un pro­ces­sus for­ma­lisé qui prend en compte, lors d’une nou­velle pres­crip­tion, tous les médi­ca­ments pris et à pren­dre par le patient. Elle asso­cie le patient et repose sur le par­tage d’infor­ma­tions comme sur une coor­di­na­tion plu­ri­pro­fes­sion­nelle. Elle pré­vient ou cor­rige les erreurs médi­ca­men­teu­ses. Elle favo­rise la trans­mis­sion d’infor­ma­tions com­plè­tes et exac­tes sur les médi­ca­ments du patient, entre pro­fes­sion­nels de santé aux points de tran­si­tion que sont l’admis­sion, la sortie et les trans­ferts ».

Les pro­fes­sion­nels infir­miers ont un rôle d’advo­cacy, qui consiste à sou­te­nir acti­ve­ment les patients dans l’expres­sion de leurs besoins et pré­fé­ren­ces. Une appro­che par­ti­cu­liè­re­ment impor­tante lorsqu’il s’agit de popu­la­tions vul­né­ra­bles, comme les per­son­nes âgées, qui peu­vent avoir des dif­fi­cultés à faire enten­dre leur voix. En accom­pa­gnant leurs patients, les infir­miers s’assu­rent que ceux-ci par­ti­ci­pent plei­ne­ment aux déci­sions concer­nant leur santé, ce qui contri­bue à ren­for­cer la confiance et l’adhé­sion aux plans de soins, notam­ment dans le cadre de la dépres­crip­tion.

Les 140.000 infir­miers libé­raux sont les der­niers pro­fes­sion­nels de santé à se rendre chaque jour au domi­cile des patients. Par leur proxi­mité avec les per­son­nes soi­gnées, et leur exper­tise et leurs com­pé­ten­ces, les infir­miè­res sont des actri­ces essen­tiel­les dans la mise en œuvre de cette appro­che et la pro­mo­tion de la santé publi­que.

Mais com­ment géné­ra­li­ser ces pra­ti­ques et ren­for­cer le rôle des infir­miers dans la dépres­crip­tion et la conci­lia­tion médi­ca­men­teuse ? Est-ce la clé pour une meilleure uti­li­sa­tion des médi­ca­ments et une vie plus saine pour les per­son­nes âgées ?

Voir également :
 La dépres­crip­tion chez les aînés et le rôle des infir­miè­res pour tendre vers des poly­mé­di­ca­tions appro­priées, une revue nar­ra­tive de la lit­té­ra­ture
https://www.scien­ce­di­rect.com/science/arti­cle/abs/pii/S2352802817300972
L’infir­mière a un rôle impor­tant en phar­ma­co­vi­gi­lance et doit contri­buer à la dépres­crip­tion pour assu­rer le bien-être et la sécu­rité du patient. Pour assu­mer son plein rôle, il est essen­tiel que sa for­ma­tion en phar­ma­co­lo­gie soit à jour et qu’elle connaisse bien les limi­tes de sa pra­ti­que ainsi que les lois et règle­ments en vigueur dans son pays.
 Le Réseau cana­dien pour l’usage appro­prié des médi­ca­ments et la dépres­crip­tion (ReCAD)
https://www.reseau­de­pres­crip­tion.ca/
 et en par­ti­cu­lier leur vidéo sur les 5 mythes pour sur­mon­ter les obs­ta­cles à la dépres­crip­tion
https://www.reseau­de­pres­crip­tion.ca/videos-intro
 Rôle infir­mier aux cotés des per­son­nes souf­frant d’addic­tion aux opioï­des
https://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Role-infir­mier-aux-cotes-des-per­son­nes-souf­frant-d-addic­tion-aux-opioi­des.html
 Polypharmacie et dépres­crip­tion : des réa­li­tés cli­ni­ques et de recher­che jusqu’à la sur­veillance
https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publi­ca­tions/2269_poly­phar­ma­cie_depres­crip­tion_rea­li­tes_cli­ni­ques.pdf
 Déprescription : l’infir­mière peut sécu­ri­ser le trai­te­ment
https://www.espa­cein­fir­mier.fr/actua­li­tes/180214-depres­crip­tion-l-infir­miere-peut-secu­ri­ser-le-trai­te­ment.html
 Déprescription, vous avez dit dépres­crip­tion ?
https://www.infir­miers.com/pro­fes­sion-ide/depres­crip­tion-vous-avez-dit-depres­crip­tion
 Déprescription : ai-je encore besoin de ce médi­ca­ment ?
https://www.san­te­men­tale.fr/2018/02/depres­crip­tion/
 Décroissance des ben­zo­dia­zé­pi­nes : le rôle infir­mier en ques­tion
https://www.san­te­men­tale.fr/2024/05/depres­crip­tion-des-ben­zo­dia­ze­pi­nes-le-role-infir­mier-en-ques­tion/

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